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15 août 2005 — Des précisions ont été données par Aviation Week & Space Technology (AW&ST) sur les négociations en cours entre les USA (Boeing) et l’Inde concernant la vente proposée par les Américains d’avions de combat F/A-18E/F à l’Inde. (Il s’agit de 120 unités dans un marché où le F/A-18E/F est opposé en concurrence au Mirage 2000, au F-16, au JAS-39 et au MiG-29.)
L’article présente essentiellement le point de vue de Boeing, c’est-à-dire qu’il faut le prendre pour ce qu’il est : un article de promotion de la vente de l’avion américain à l’Inde. Les difficultés qu’il décrit sont, dans ce contexte favorable à l’avion, d’autant plus à considérer comme sérieuses.
Il apparaît clairement que le principal obstacle, non pas à la vente à l’Inde des avions mais à la prise en considération des Indiens de l’offre américaine, est le comportement politique du gouvernement américain. La question porte autant sur les technologies disponibles, sur le contrôle exercé sur ces technologies, sur l’attitude du gouvernement US après la vente, pour les problèmes d’entretien, de logistique, de modernisation.
On donne ci-après quelques extraits de l’article de AW&ST sur quelques aspects des problèmes déjà rencontrés et en cours de traitement.
« With a request for proposal for India's multirole fighter due in two months, Boeing is trying to overcome Indian skepticism about U.S. export policy on spare parts as the company pursues a contract for the F/A-18E/F Super Hornet.
(...)
« “Ideally, we would like to deliver a Block 2 with an APG-79 [radar] capability,” says [Chris Chadwick, Boeing Integrated Defense Systems vice president for F/A-18 programs.] But that depends on U.S. government approval. And that has the Indians worried, given the past U.S. weapons embargo due to India's nuclear policy. Skepticism among India's military leaders remains despite President Bush's vow to Indian Prime Minister Manmohan Singh that the U.S. wants to open a new chapter with India on nuclear and military export policies.
» U.S. export approval will be needed for the F/A-18E/F's Amraam air-to-air missiles and active electronically scanned array (AESA) radar because of their beyond-visual-range capabilities. The aircraft's electronic warfare suite will be another key component.
(...)
» Given the mistrust about the U.S. as a stable supplier, industry officials here speculate that it may want to integrate its own weapon systems with the fighter. Chadwick knows that the subject of regular access to spares is a sensitive one. But Boeing has no control over the issue. “It's totally subject to U.S. government releasability,” he says. »
Ces détails en apparence techniques ont leur pleine et forte signification politique. Il faut bien comprendre qu’ils ne concernent que la possibilité pour les Américains de figurer dans la compétition, c’est-à-dire qu’il s’agit de conditions sine qua non et nullement de l’approche concrète de la vente elle-même. Les Indiens n’envisageront pas d’accord(s) avec les Américains s'il n’existe pas une garantie de complète autonomie pour eux, de complète souveraineté de contrôle sur les systèmes qu’ils acquerront, contrôle aujourd’hui et dans l’avenir, aussi bien sur la bonne marche de ces systèmes que sur leur modernisation.
Les Américains pourront-ils leur donner une telle garantie? On commence à comprendre comment cela se passera, lorsqu’on lit à propos de la question d’accès aux pièces de rechange “sensibles” : « But Boeing has no control over the issue. “It's totally subject to U.S. government releasability,” [Chadwick] says. » Lorsque les Indiens se tourneront vers le gouvernement américain (le Pentagone et le reste), si ce n’est déjà fait, et qu’ils poseront la même question de la garantie, la même réponse leur sera donnée avec la variante d’usage : « It's totally subject to U.S. Congress releasability. » Et ainsi de suite…
Bien sûr, il ne suffit pas de proclamer qu’on autorise telle puissance à devenir son allié, après avoir dit la chose incroyable que « US unveils plans to make India “major world power” », — pour que la chose se fasse. Les Indiens sont connus pour être particulièrement sensibles en ce qui concerne leur souveraineté nationale. Avec les Américains, ils vont être servis. Le beau projet géopolitique américain d’opposer le poids indien à la terrible menace chinoise, élaboré dans les bureaux washingtoniens où l’on observe le monde sur des cartes virtuelles, va très vite se heurter à la réalité courante.
La décision du gouvernement indien de tenter l’expérience d’une alliance US est particulièrement mal vécue en Inde, tant dans l’opposition que chez les militaires. Les arguments contre cette alliance ne vont plus cesser de s’empiler dès lors qu’apparaîtra la réalité du comportement de Washington vis-à-vis de ses alliés, — et cela va aller très vite. AW&ST suggère que les équipements sensibles que les USA ne voudraient pas livrer à l’Inde pourraient l’être par Israël (« If the U.S. limits the F/A-18's electronic warfare package, defense analysts expect India to seek Israel's help. The Israelis are India's second biggest defense supplier after Russia. »). Là encore, nous sommes en pleine tartarinade, lorsqu’on se reporte au comportement américain vis-à-vis d’Israël lorsque ce pays s’avise de livrer des armes à la Chine. (Car il faut bien le comprendre : ici, la Chine n’est que le prétexte, l’intention américaine est bien de contrôler la disposition des technologies israéliennes vers l’exportation ; si le Congrès a décidé que l’Inde n’aura pas cette technologie, il ne permettra à personne d’autre sur lequel il a barre de les livrer.)
La seule possibilité d’une alliance avec les USA est un complet agrément, voire une complète soumission de l’“allié” à toutes les exigences washingtoniennes. Ces exigences ont la simplicité de la chose brute et nette : une complète liquidation de tout ce qui peut ressembler à une quelconque autonomie, à la moindre souveraineté. L’Inde n’échappera pas à la règle. Les Indiens s’en apercevront très vite et l’alliance entre l’Inde et les USA durera donc le temps de cette réalisation. Les analystes en géopolitique devront alors repasser à une autre carte virtualiste du monde pour nous annoncer une nouvelle alliance du même domaine du fabuleux américaniste servant à décrire le monde tel qu’il serait nécessaire qu’il soit, et vite fait encore.