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744Comme l’on sait, le débat est ouvert à Washington sur la possibilité d’une intervention militaire US au Yémen, à la suite de l’affaire du vol 253. On peut considérer que les militaires viennent de prendre position sur la question avec une intervention de l’amiral Mullen, le président du Joint Chief of Staff, le 6 janvier au soir, lors d’une conférence devant les étudiants de l’université George Washington.
Le Wall Street Journal du 7 janvier 2010, notamment, rapporte l’intervention du président du Joint Chief of Staff.
«Adm. Mike Mullen, the chairman of the Joint Chiefs of Staff, appeared to rule out direct U.S. military action in Yemen, the home of the al Qaeda affiliate that has claimed responsibility for the alleged attempt to blow up a U.S. airliner on Christmas Day.
»Speaking to students at George Washington University, Adm. Mullen, the nation's top military officer, was asked whether the U.S. was considering carrying out airstrikes on targets inside Yemen or deploying American ground forces there. He replied that the U.S. effort would be limited to helping fund and train the Yemeni security forces, some of whom are already mentored by small teams of elite American Special Operations forces. “We've worked ... to support a growing Yemeni armed forces capability,” Adm. Mullen said. “We are going to continue to support the Yemeni government in the execution of their strategy to eliminate these terrorists.”»
@PAYANT Il est remarquable que l’affirmation de Mullen ait été faite, non dans le cours de son intervention mais, comme l’indique le texte, en réponse à une question. Cette circonstance – provoquée ou non, la question à propos de la question publique demeure posée – implique que Mullen ne tenait pas à faire une grande publicité de cette position des militaires mais qu’il a saisi l’occasion de la faire connaître publiquement tout de même. Cela marque la tension du climat politique à Washington autour de cette question, avec des républicains qui exploitent à fond l’attentat manqué du vol 253 pour attaquer Obama sur la question de la lutte contre le terrorisme et le presser de faire “quelque chose” d’important au Yémen. Il est difficile, ou plutôt risqué politiquement, pour le président du JCS, de faire une déclaration de cette sorte au cœur d’une conférence publique, dans un texte préparé; mais l’occasion (la question d’un des auditeurs) a fait le larron.
Reste donc le fait de l’extrême prudence des militaires US, qui pourrait se résumer au constat qu’ils sont simplement opposés à une intervention importante au Yémen et qu’ils se contenteraient d’“unités spéciales” comme le Pentagone a désormais l’habitude d’envoyer un peu partout selon les circonstances. Il s’agit d’une situation qui rend bien compte des contradictions entre d’une part la politique générale, qui est conduite sous la pression des différents centres de pouvoir qui sont en cette sorte de circonstances très bellicistes, avec la politique du Pentagone elle-même qui est effectivement d’intervenir partout où cela est possible, et d’autre part les moyens disponibles. Ce dernier point concerne essentiellement les militaires, encore plus que les dirigeants civils du Pentagone et les planificateurs, qui sont parfaitement au courant de la situation très difficile où se trouvent les forces armées actuellement, dans des conditions budgétaires elles-mêmes très particulières. Le budget du Pentagone est colossal (en réalité proche des $1.000 milliards) mais ne parvient pas à fournir les forces adéquates pour les opérations engagées et les structures de forces à conserver, ni même à stopper des processus de réduction de ces structures (cas de l’USAF), à cause d’une crise interne de gestion et de paralysie des processus bureaucratiques. La réponse de Mullen implique simplement que les militaires US n’ont actuellement pas les moyens d’une intervention conséquente au Yémen.
Mullen peut difficilement aller au-delà de ce qu’il a dit, c’est-à-dire détailler cette absence de moyens. Il sait que l’administration Obama est fiscalement contrainte et ne pourrait augmenter le budget dans les proportions telles qui permettraient une augmentation des moyens – bien que des augmentations budgétaires soient déjà envisagées pour les prochaines années, simplement pour tenter de permettre à l’énorme structure militaire de ne pas sombrer un peu plus qu’elle n’est en train de le faire. Mullen sait d’autre part que s’il admettait cette situation, il donnerait des armes aux républicains pour attaquer Obama sur une prétendue “absence de moyens” budgétaire pour que le Pentagone lutte contre le terrorisme, ce qu’il ne peut se permettre vis-à-vis de son pouvoir civil.
Reste enfin la question de fond de savoir si Mullen serait partisan d’une intervention au Yémen même s’il en avait les moyens. Sans doute pas précisément parce qu’il a déjà montré de la prudence en diverses occasions, alors que par ailleurs et contradictoirement, la politique du Pentagone, que Mullen soutient également, est celle de l’expansionnisme belliciste, avec également le cas précis de l’extension de la guerre en Afghanistan. Ces contradictions sont simplement l’illustration du désordre et de la crise de Washington, qui sont aussi le désordre et la crise du Pentagone. Il y a déjà plusieurs années que l’illusion des moyens et des capacités militaires US correspondant aux “ambitions impériales” des années 2001-2003 (avec forte préparation dans les années 1990) est complètement dissipée. La machine militaire US est bien entendu, comme le reste aux USA, en pleine crise et dans une situation de tension de l’utilisation de moyens disponibles extrêmement pressante, tandis que s’exacerbe plus que jamais la déclamation de la politique interventionniste, pour des raisons politiciennes mais aussi pour des raisons psychologiques plus profondes.
Mis en ligne le 8 janvier 2010 à 06H15