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3503J’ai récemment été contacté par Sam Mitchell, qui a une chaîne YouTube appelée Collapse Chronicles et qui interview les suspects habituels dont Jim Kunstler. Et comme ça ne me dérange pas d’aller partout où va Jim, j’ai accepté de lui donner une interview. Vous pouvez entendre la version audio ici et souffrir de la mauvaise qualité sonore, ou vous pouvez simplement lire ma distillation améliorée ci-dessous. L’interview a été interrompue parce que la connexion internet est tombée en panne.
Sam Mitchell : « Vos opinions sont-elles devenues un peu plus sombres depuis que vous avez publié Les cinq stades de l’effondrement il y a quelques années ? »
Dimitri Orlov : « Oui, absolument. Ma prémisse dans ce livre était que l’effondrement financier, commercial et politique était inévitable dans de nombreux pays du monde, en particulier aux États-Unis (ce qui ne peut être soutenu ne le sera pas), mais que l’effondrement social et culturel pouvait être évité, comme ce fut le cas en Russie après la chute de l’URSS. Mon but était donc de fournir quelques idées sur la façon de survivre à l’inévitable mais aussi de sauver ce qui peut encore l’être. Depuis lors, je me suis rendu compte que, dans ces mêmes pays fortement surdéveloppés, l’effondrement social et culturel est en grande partie déjà bien avancé mais qu’il est actuellement dissimulé par le fait que les systèmes financiers, commerciaux et politiques fonctionnent encore à un certain niveau, ou du moins prétendent fonctionner en utilisant de l’argent injecté ex nihilo, avec de graves déséquilibres commerciaux, des statistiques falsifiées, des systèmes électoraux trafiqués, etc. Mais une fois que tout cela aura été mis à jour, il deviendra soudain évident qu’il n’y a pas d’institutions sociales éprouvées ou de culture commune cohésive sur laquelle s’appuyer. La mauvaise pensée qui a conduit à l’hypertrophie qui entraîne l’effondrement a également tué la cohésion sociale et culturelle des générations précédentes. En fait, c’était sa première victime. »
Sam Mitchell : « Êtes-vous en train de dire que l’effondrement social et culturel ne peut pas s’aggraver ? »
Dimitri Orlov : « Non, les choses peuvent toujours empirer. Par exemple : supposons que votre hangar à bois brûle. Est-ce que cela pourrait être pire ? Oui, il pourrait alors être frappé par une tornade ! Alors vous auriez votre tas de bois brûlé et de la cendre éparpillée sur toute votre parcelle de terre, ce qui est encore pire. »
Sam Mitchell : « Mais d’abord, les gens doivent admettre qu’il y a cependant quelque chose qui ne va pas. Est-ce que ça marche au moins ? Mike Sliva l’appelait “la chambre d’écho de la sphère des catastrophistes”. Il n’y a que quelques personnes parmi nous sur la planète qui en parlent. Êtes-vous d’accord pour dire que la grande masse de l’humanité est loin d’avoir cette conversation ? »
Dimitri Orlov : « Oh, la grande masse de l’humanité n’aura certainement jamais cette conversation, et c’est une bonne chose, parce que nous pouvons perdre beaucoup de temps à parler de généralités et ne jamais discuter de choses simples, terre à terre mais fondamentales qui font partie de la vie des gens. Il n’est pas possible de traiter les idées comme des généralités ; il est seulement possible de les traiter comme des détails. C’est pourquoi je ne contribue pas vraiment à cette discussion morose. Ce n’est pas intéressant. »
Sam Mitchell : « Alors, à quel moment les gens commenceront-ils à avoir cette conversation ? »
Dimitri Orlov : « Je n’en ai vraiment aucune idée. J’ai un lectorat fidèle. Je ne les appellerais pas des “followers”, mais assez de gens lisent mes articles régulièrement. Cela les aide à traiter la réalité. C’est à eux de décider comment cela les aide. C’est une forme d’expérimentation, ce qu’ils font avec les connaissances qu’ils acquièrent. J’essaie simplement de présenter la perspective la plus large possible et de tuer beaucoup de faux semblants qui circulent. En ce qui concerne les différentes étapes de l’effondrement, les détails de cet effondrement, cela m’intéresse aussi beaucoup. Je suis un érudit de l’effondrement. Mon travail est de l’étudier. Ce n’est pas à moi d’en faire autre chose. »
Sam Mitchell : « Quels sont les mensonges qui doivent être dénoncés ? Je suppose que le mensonge de la possibilité d’une croissance infinie sur une planète finie est l’un d’eux. »
Dimitri Orlov : « Certes...Vous ne devriez rien manger de plus gros que votre tête, et vous ne devriez rien penser de plus gros que votre tête non plus. “Infini” est un terme difficile pour la plupart des gens ; il existe plusieurs types différents d’infini en mathématiques. Et qu’est-ce qu’une économie infiniment grande ? Et qu’est-ce qu’une planète finie ? Elle est beaucoup plus grande que n’importe laquelle d’entre nous. C’est un endroit immense, surtout à pied, à cheval ou à la voile. La plupart des gens ne sont pas familiers avec 99,99999% de sa surface. Alors s’ils essaient d’appliquer un concept mathématique difficile à quelque chose qu’ils ne connaissent pas, est-ce bien utile ?
D’un autre côté, vous pouvez vous poser des questions beaucoup plus utiles sur certaines choses. Par exemple, qu’est-ce qui vous fait penser que vous continuerez à recevoir des soins médicaux quand vous serez vieux si vous êtes, disons, aux États-Unis ? Quelles sont les chances que vous puissiez toucher une somme d’argent importante à la retraite ? Quelles sont les chances que vous finissiez dans la rue ? (Beaucoup de gens finissent déjà dans la rue.) Et si les réponses sont négatives, qu’allez-vous faire ? Est-il raisonnable d’aller à l’université et d’accumuler des dettes étudiantes dans l’espoir d’avoir une carrière prospère ? Comment éviter de se sentir seul et de ne plus être utile à personne ? Est-ce que vos enfants vous aimeront toujours et prendront soin de vous s’il s’avère que tout ce que vous leur avez appris sur le monde est soit inutile, soit erroné, soit les deux ? Voilà le genre de questions auxquelles les gens devraient réfléchir, et non pas la taille infinie des économies ou la taille finie des planètes. »
Sam Mitchell : « Avant d’arriver aux États-Unis, vous étiez russe, n’est-ce pas ? Vous n’avez aucun accent. Quel est votre secret ? »
Dimitri Orlov : « Je suis linguiste de formation avec une expertise en phonétique et phonologie, donc les accents ne sont pas un gros problème pour moi. Je peux même utiliser un accent à l’occasion. J’ai fait des allers-retours entre les États-Unis et la Russie pendant une grande partie de ma vie, et je connais très bien les deux pays. Mais je suis tout à fait heureux d’être russe, sans regret aucun. Et je suis devenu un expert sur les États-Unis par inadvertance. »
Sam Mitchell : « Mais vous vivez en Russie maintenant. Est-ce une décision permanente ? En avez-vous fini avec les États-Unis ? »
Dimitri Orlov : « Probablement pas. Je ne prends pas de décisions permanentes. La planète sur laquelle nous nous trouvons n’est pas actuellement un bon endroit pour prendre des décisions permanentes. Les choses changent trop vite pour ça. Nous devons faire preuve de souplesse et garder nos options ouvertes. En ce moment, je suis en Russie, et j’en profite vraiment, mais je ne sais pas ce que l’avenir me réserve. »
Sam Mitchell : « Quelle est votre vision de la vie aux États-Unis ? »
Dimitri Orlov : « J’ai voyagé et vécu dans différents endroits aux États-Unis et en Europe, et c’est absolument choquant de voir à quel point les États-Unis sont devenus arriérés, inférieurs aux standards et vraiment délabrés, combien de choses sont vraiment dépassées, parfois de façon dangereuse, comme les ponts et les autoroutes et d’autres infrastructures, comme les réseaux d’eau, les égouts, le réseau électrique et ferroviaire… Il est également étonnant de voir à quel point tout est organisé de façon absolument et stupidement ridicule, du code des impôts aux systèmes de permis et de licences. Le système bancaire américain est le système bancaire le plus retardé que je connaisse. Qui entend encore parler des chèques papier ? C’est complètement anachronique. Et pourquoi les virements électroniques coûtent-ils si cher et prennent-ils des jours au lieu de quelques secondes ? Il y a d’innombrables cas d’un ridicule sans fin dont nous pourrions passer des journées à parler – de la façon dont le gouvernement fonctionne, de diverses autres choses. Dans l’ensemble, on a le sentiment que c’est une terre que le temps a oubliée. Les dinosaures pullulent aux États-Unis. Le reste de la planète est passé à autre chose. »
Sam Mitchell : « A quel moment tout ça va nous prendre à la gorge ? Avez-vous une idée de la chronologie de la chose ? »
Dimitri Orlov : « Je regarde les échéanciers lorsque je regarde en arrière dans le temps. Regarder vers l’avenir, c’est un peu trop imprévisible, surtout lorsqu’il s’agit de phénomènes chaotiques. Mais pour ce qui est de ce que les États-Unis ont déjà accompli…
… Regardez l’effondrement politique. Le pays a complètement perdu toute confiance dans sa classe dirigeante. C’est pourquoi Barack Obama a été élu, un outsider complet. Bien sûr, il s’est avéré être aussi un traître complet qui n’a produit que du vent pendant huit ans. Et puis c’est devenu encore pire quand Trump a été élu. C’est encore plus un outsider. Non seulement il parle comme un outsider, mais il agit comme tel ! Il a menacé de renverser la mangeoire pour tous les petits cochons de Washington. Et si vous regardez ce qui se passe actuellement à Washington, c’est un pays en pleine dépression nerveuse.
Ou bien la défense, regardez : les États-Unis dépensent plus pour la défense que n’importe quel autre pays sur Terre et de loin, mais ils obtiennent moins pour cela que beaucoup d’autres pays – comme la Russie ou la Chine. En termes de rendement des investissements, la parité de dépenses entre les États-Unis et la Russie est de 10 contre 1 : il faut 10 dollars de dépenses de défense américaines pour égaler 1 dollar de dépenses de défense russes. Les Russes ne gaspillent pas d’argent, ils obtiennent des résultats. Le résultat final est que les États-Unis sont maintenant militairement affaiblis. L’ensemble de la flotte de porte-avions est maintenant superflu ; elle ne peut être déployée dans aucun conflit impliquant un pays raisonnablement bien armé. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. Il y a aussi des gâchis à profusion : les F-35, les frégates Zumwalt, les missiles Patriot qui ne peuvent toujours pas abattre les SCUD de l’époque soviétique.
Ou bien encore, les finances. Les États-Unis sont occupés à scier la branche financière sur laquelle ils sont perchés depuis la Seconde Guerre mondiale, à savoir le dollar américain. Ils obligent d’autres pays à utiliser le dollar américain à leur propre désavantage économique, et ils conspirent tous pour mettre fin à leur dépendance à l’égard du dollar américain avec une planification pour y parvenir. Une fois que cela sera fait, les États-Unis vont devenir un pays beaucoup plus pauvre du jour au lendemain. Personne ne sait exactement quand, mais cela va arriver.
Ce ne sont là que quelques exemples de la façon dont les États-Unis ont déjà fait capoter la situation de manière décisive… Ce pays est sur une trajectoire de collision avec la réalité. Bientôt, les intérêts payés sur la dette nationale dépasseront le budget de la défense ; c’est un point d’inflexion intéressant. À l’heure actuelle, les États-Unis enregistrent des déficits records, et ils ne sont même pas considérés comme étant en récession… bien qu’on ne sache plus très bien ce que cela signifie puisque les États-Unis magouillent les chiffres depuis un bon bout de temps maintenant. Nous ne connaissons pas vraiment le taux de chômage réel, nous ne savons pas ce qu’est vraiment l’inflation. Mais vous pouvez regarder d’autres chiffres, qui sont plus difficiles à falsifier – statistiques sur les surdoses de drogues et les maladies du foie, les suicides dans l’armée, la pauvreté infantile, les maladies mentales – et vous pouvez voir que c’est un pays en grande détresse. »
Sam Mitchell : « J’aimerais vous poser des questions sur la fracturation et tout le débat sur le pic pétrolier. Qu’en est-il des affirmations de Donald Trump selon lesquelles les États-Unis vont être le premier producteur de pétrole de la planète ? Vous suivez toujours la prévision du Peak Oil ? »
Dimitri Orlov : « Si Donald Trump est géologue pétrolier, alors je viens de Mars. On doit faire attention à qui l’on parle. Donald Trump n’est pas du genre à éclairer quiconque sur ce sujet. Oui, les volumes bruts de pétrole que le phénomène de fracturation produit actuellement aux États-Unis sont énormes, mais l’effet est temporaire. La production totale [des USA, y compris le pétrole conventionnel] est d’environ 11 millions de barils par jour, mais le taux de déclin des puits existants [dans le schiste] atteint 500 000 barils par jour chaque mois cet été, et il est en hausse. Et la plupart des puits forés pour compenser ce taux de déclin produisent moins que les anciens parce que tous les puits les plus productifs ont déjà été exploités. Ajoutez à cela le fait que la fracturation est extrêmement énergivore, ce qui réduit l’EROI des puits fracturés. Ajoutez encore à cela le fait que l’industrie de la fracturation n’a pas gagné d’argent et qu’elle n’est maintenue à flot que par une bulle d’endettement gonflée par de faibles taux d’intérêt – qui ont tendance à augmenter. Oui, le pays est en train d’être transformé en fromage suisse toxique ; non, cela ne va pas produire beaucoup de pétrole à long terme. »
Sam Mitchell : « Il y a aussi le camp de Bill McKibben, qui prétend que le réchauffement climatique nous tuera avant que nous ayons la chance de brûler tout le pétrole. »
Dimitri Orlov : « Les effets du réchauffement climatique varient d’un pays à l’autre. Nous avons déjà des vagues de chaleur extrêmes et potentiellement mortelles dans le sud de l’Europe et dans le sud et le sud-ouest des États-Unis. Il en a résulté de nombreux dégâts aux cultures en Europe cet été. Les États-Unis ne peuvent plus concurrencer la Russie au niveau des exportations de blé. Les exportations russes de céréales ont dépassé les exportations d’armes en termes de recettes d’exportation et se situent maintenant au deuxième rang après le pétrole et le gaz. La Russie devient le grenier de la planète. Bien sûr, il y a en Russie plus de terres que dans n’importe quel autre pays sur Terre, mais il faisait assez froid avant. Maintenant, le climat s’échauffe et les choses se développent vraiment bien. Les tomates que nous avons cultivées en Russie cet été se sont très bien comportées. On est même submergé ! Il y aura donc des gagnants et des perdants. Le Bangladesh et les Pays-Bas finiront sous l’eau. La zone sud des États-Unis ne pourra pas survivre en été sans climatisation… »
Sam Mitchell : « Il fait 97ºF [36ºC] ici à Atlanta en octobre. Je ne peux pas faire fonctionner la climatisation parce qu’elle ruine la qualité sonore, alors je suis assis là, la sueur coulant sur mon visage… Mais dans quelle mesure le réchauffement climatique a-t-il affecté votre vision de l’avenir ? »
Dimitri Orlov : « Cela a affecté ma vision du présent. Le monde a été reconfiguré par le réchauffement climatique. Le fait qu’il est maintenant possible d’expédier des marchandises toute l’année dans l’océan Arctique, le long du nord de la Russie et du Canada, change la donne. Les marchandises n’ont plus besoin de passer par le canal de Suez ou le canal de Panama. Il y a une route plus directe maintenant. Il s’agit d’un changement soudain et radical qui s’est produit grâce au réchauffement de la planète – grâce au fait que l’Arctique est maintenant relativement libre de glace, à tel point que la flotte russe de brise-glaces atomiques peut garder les voies maritimes libres toute l’année. Il y aura des gagnants et des perdants. Désolé de devoir dire l’évidence, mais la Russie a l’air d’un gagnant du réchauffement climatique et les États-Unis d’Amérique d’un perdant du réchauffement climatique. Ce n’est pas seulement mon opinion : de nombreuses voix autoritaires font valoir ce point et les récents résultats économiques le confirment. »
(Le 9 octobre 2018, Club Orlov– Traduction du Sakerfrancophone.)