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1397…En fait de s’interroger, c’est bien plus que cela, si l’on se réfère à l’article de Leslie Gelb, publié sur Daily Beast le 17 janvier 2012, signalé par John Glaser de Antiwar.com le 18 janvier 2012, également commenté par l’ancien analyste de la CIA et spécialiste de l’Iran Paul Pillar, le 18 janvier 2012, sur le site de The National Interest.
Gelb dénonce furieusement l’actuelle poussée vers une guerre contre l’Iran. Glaser met en évidence l’importance de cette intervention, en raison de l’importance du personnage au sein de l’establishment :
«Leslie Gelb, President Emeritus and Board Senior Fellow at the Council on Foreign Relations, has a piece at the Daily Beast which warns not just against starting a war with Iran, but against “letting a bunch of ignorant, sloppy-thinking politicians and politicized foreign-policy experts draw ‘red line’ ultimatums” and march us hyperventilating into an unprovoked preemptive strike on Iran. His key point: in the past, Americans have had faith that their leaders knew what they were doing getting us into war, but history tells us they don’t know shit. […]
»The whole thing is worth a read. I think it’s noteworthy because it illustrates that even many of those firmly within the foreign policy establishment of imperial forever war are cautioning against the psychotic babble of warmongering politicians…»
Leslie Gelb est effectivement un personnage important de l’establishment. Pillar résume bien cette qualification de Leslie Gelb, et l’influence qui va avec au sein de l’establishment, notamment sa position à la tête du Council of Foreign Relations pendant plusieurs années et les positions qu’il y conserve : «Gelb is well qualified to make such observations, based on his experience in directing the writing of the Pentagon Papers as well as his later work as a journalist, State Department official and president of the Council on Foreign Relations.»
Dans son article, Gelb examine avec une plume impitoyable la façon dont l’Amérique évolue vers la guerre, emmenée par ces politiciens ignorants des matières de politique extérieure et seulement préoccupés de leurs intérêts divers, électoraux et autres, et par la bande habituelle des fauteurs de guerre. Il pose les nombreuses questions que soulèvent aussi bien l’affaire du détroit d’Ormouz que celle du nucléaire iranien, et il rappelle divers précédents où une analyse rationnelle de divers conflits vinrent trop tard pour empêcher les USA de s’y plonger, avec la défaite au terme.
« On the surface, the strait question is open and shut. If Tehran violates a fundamental principle of international law and closes an international waterway, that waterway must be reopened by whatever force necessary. My gut reaction is right there. But then the questions arise: Why does this burden fall almost entirely on the United States? What of the other states that buy and sell the Gulf oil that moves through the strait? How long will it take, and at what cost, to reopen the strait and keep it open? Is it necessary to attack shore targets to accomplish the job? How far ashore? And what of economic destruction and, above all, civilian casualties? Is such a military action likely to convince the Iranians that they must acquire nuclear weapons, or would it dissuade them? Would a U.S.-led naval action in the strait make it more likely that Israel would use this as cover to launch a full-scale attack against Iranian nuclear facilities? And would this broader action trigger Iranian retaliation against both Israel and the United States? There are no hard and fast answers to most of these queries. And yes, some military plans would be aired partially to Tehran’s advantage. Nevertheless, their being raised and addressed gives Americans a much clearer sense of what they’re getting into—and, more, compels Congress and the executive branch to think much harder about their intended actions. Often, administrations don’t answer the toughest questions themselves until they have to, until it’s too late.» […]
»The Senate Foreign Relations Committee or some public commission has to pose the tough questions here: Do we really know enough to hit and destroy the key underground targets? If not, why go ahead? How long will it take for Tehran to rebuild the facilities and make them less vulnerable? What’s the potential for collateral damage on oil prices and lives? If Washington doesn’t use force, will Israel go it alone, and will Tehran regard this as a quasi-American attack anyway? If Iran actually acquired nukes, why wouldn’t prospects of an overwhelming Israeli or American attack in a crisis deter it? Iranian leaders haven’t acted like crazy Hitlers. They’ve been pretty cautious, forever issuing threats and making trouble behind the scenes, which suggests they’re deterrable. Would war on Iran trigger worldwide terrorist attacks? Is it in the overall interests of the United States, given our worldwide security needs and economic weaknesses, to enter another war? And don’t fool yourselves, this would be war. […]
»Senator J. William Fulbright’s brilliant hearings on Vietnam and the James Baker/Lee Hamilton Iraq Study Group both came far too late to save us. But there’s still time now for a full-scale, nonpartisan, and systematic examination of policy. Don’t let the usual hawks stop us with the argument that we’d be giving away too much information and signaling weakness to the enemy. What we’d truly be giving away if we heeded these hawks is not our military plans, but our constitutional and democratic rights to freely and openly debate whether our sons and daughters once again must fight and die.»
Cette intervention est importante parce que Gelb est ce qu’il est, avec l’influence qu’il a et ainsi de suite. Sa forme d’intervention ressemble, dans l’esprit de la chose, à celle de Brent Scowcroft et de James Baker, qui conduisit à la mise en place du Iraq Study Group en 2006 (que Gelb cite justement), qui fut la principale révolte de tout un courant de l’establishment contre la folie de la guerre irakienne. La situation stratégique et “belliciste” est bien entendu différente, puisqu’il n’y a pas d’engagement en Iran comme il y avait un engagement en Irak en 2006 quand le groupe fut constitué, mais la similitude se trouve effectivement dans la duplication de la situation dans l’establishment. Il y a toutes les chances pour que Gelb s’engage, avec un tel article qui est bien plus polémique qu’analytique, dans une action qui a le soutien d’une partie non négligeable de l’establishment, celle qui fait des comptes, mesure l’effondrement de l’influence et de la puissance US dans le monde, et qui s’effraie des conséquences terribles d’un tel éventuel conflit avec l’Iran. Cela, sans aucun doute, constitue le point principal caractérisant, du point de vue politique, l’intervention de Leslie Gelb.
D’un autre côté, on doit aussi remarquer que, paradoxalement, les conditions générales prévalant aujourd’hui alors que se développe, ou se poursuit simplement cette crise iranienne, sont très différentes de celles qui prévalaient en 2006, alors que se poursuivait la guerre en Irak. On a l’impression que Gelb décrit une situation beaucoup plus folle dans ses tenants et aboutissants, notamment du côté des directions et des influences à Washington. Il ne suffit pas d’accuser, d’une façon générale, les politiciens complètement ignorants et la bande habituelle des fauteurs de guerre pour mieux situer le problème, car ces accusations ne font en fait que résumer d’une manière un peu plus policée le désordre extraordinaire qui règne à Washington, aussi bien qu’entre les divers pays concernés, à propos de cette affaire iranienne. En lisant le texte de Gelb, on ne peut s’interdire de l’impression qu’il décrit une machinerie folle, que plus personne ne contrôle, – le Système et rien d’autre, bien entendu, en train de poursuivre son évolution suicidaire d’une dynamique de surpuissance se transformant en une dynamique autodestructrice ; on a l’impression que ce que Gelb nous décrit finalement, c’est beaucoup moins la folie d’une éventuelle attaque contre l’Iran que la folie de la situation à Washington qui accouche, notamment, de ce monstre qu’est la rhétorique enivrée d’une attaque contre l’Iran. (Il suffit de lire la plaidoirie de la présidente de la commission des relations extérieures de la Chambre, Ileana Ros-Lehtinen dénonçant comme une absurdité meurtrière la possibilité de reprendre des négociations avec l’Iran [sur AFP/Spacewar.com, le 18 janvier 2012] pour mesurer le degré de volatilité, d’irresponsabilité hystérique et d’incontrôlabilité de la situation washingtonienne.)
De ce point de vue, l’intervention de Gelb, aussi bien intentionnée soit-elle du point de vue de l’establishment et des modérés qui pensent qu’il vaut mieux éviter un conflit parce que les risques sont trop grands pour les USA, ne fera qu’accentuer le désordre entre les différentes fractions. La situation est si désordonnée et si fluctuante d’un extrême à l’autre qu’on trouvera sans doute rapidement une ligne de critique pour mettre sur le même plan Gelb et ce qu’il représente, et Ron Paul, – alors que les différences entre eux sont si fondamentales, – pour les accuser d’être “munichois” et “traîtres” vendus aux Iraniens. Cela, en retour, ne fera que renforcer plus encore la détermination des adversaires d’une attaque, et rien ne sera encore résolu. Il est difficile de concevoir ce qui peut changer cet extrémisme dans tous les sens du désordre de Washington, sans pourtant avancer en aucune façon que l’issue de la guerre en est l’inévitable aboutissement.
Mis en ligne le 19 janvier 2012 à 12H34
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