Iraq Fatigue”? Plutôt “Western Fatigue

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“Irak Fatigue”? Plutôt “Western Fatigue”

27 décembre 2004 — Un point intéressant que nous avons relevé récemment concerne le désintérêt qui s’est emparé de l’Occident à propos de l’Irak. Cette tendance est évidemment interrompue de façon épisodique, par l’un ou l’autre événement plus violent qu’à l’ordinaire, qui force à nouveau l’intérêt pour l’Irak. D’autre part, ce désintérêt occidental n’implique nullement, bien entendu, que la situation s’améliore de quelque façon que ce soit, ni qu’elle soit moins déstabilisatrice pour autant.

Brendan O’Neill, qui est un commentateur intéressant, relève ce désintérêt grandissant pour l’Irak sur son site Spiked.com. Il précise effectivement, — comme c’est également notre appréciation —, que ce désintérêt se situe essentiellement dans le public et dans les médias. Il s’agit du phénomène qualifié en anglais, — et facilement traduisible : “Irak Fatigue”.

Comme nous, O’Neill relève que la question irakienne continue, au contraire, à être d’actualité chaque jour au niveau des dirigeants, malgré le désintérêt du public et des médias. (Et, par le terme de “dirigeants”, nous entendons naturellement désigner l’establishment dans son entièreté, comme le montre les derniers rapports sur le sujet irakien. Dans ce cas, il faut noter que les médias redeviennent partie prenante de cette persistance de l’intérêt pour l’Irak.)

O’Neill tente de donner une explication à ce phénomène du contraste entre ce désintérêt public et cet intérêt toujours très grand chez les dirigeants (essentiellement anglo-saxons, certes):

« This seeming disparity — between a “general shrug of the shoulders” on the part of much of the public and heated controversies in the White House and Whitehall reveals something telling about the Iraq war at the end of 2004. It highlights the extent to which Iraq, from the shock’n’awe of March 2003 to the aftermath today, is a crisis of the coalition's own making. It is not the anti-war movement or the disparate Iraqi resistance that have put the screws on Bush, Blair and the rest over Iraq, nor is it because events in Iraq are any nastier than in other war zones in recent history. Rather, the Iraq spats are internally generated, reflecting the coalition's own lack of purpose and continuing failure to turn Gulf War II to any political advantage at home. »

L’observation que développe O’Neill constate une rupture complète entre les dirigeants d’un côté et les citoyens et d’autres milieux de la “représentation sociale” de l’autre (les seconds montrant cet « Iraq Fatigue » qui serait plutôt de la lassitude, alors que les premiers ne cessent d’être secoués par les suites de cette affaire, ce qui provoque une fatigue plus rude). D’autre part, O’Neill constate que les avatars que connaissent à cause de l’Irak les dirigeants occidentaux (essentiellement anglo-américains) sont dus aux insuffisances et aux erreurs de ces seuls dirigeants.

(Sur ce point, on émettra une réserve : l’affirmation de O’Neill selon laquelle les problèmes des dirigeants occidentaux ne sont due qu’à eux seuls, qu’ils n’ont rien à voir, notamment, avec l’action de Irak de « the disparate Iraqi resistance », est plus contestable ; elle était juste il y a un an, elle l’est de moins en moins, parce que les événements en Irak même deviennent de plus en plus dangereux pour la situation là-bas, pour les forces anglo-américaine également. Pourtant, là où ces constats rejoignent tout de même l’analyse de O’Neill, c’est que cette situation et sa dangerosité sont les produits en bonne partie de l’absence complète de principes, de buts, d’orientation, de justification de cette guerre d’une part, donc de ces dirigeants anglais et américains ; que, d’autre part, la situation et sa dangerosité sont pour l’instant importantes par leurs effets surtout, essentiellement dans les cercles dirigeants des deux pays concernés. Si les dirigeants anglo-saxons connaissent ces difficultés dues à la situation irakienne, c’est parce qu’ils en sont prisonniers; sinon, ils n’hésiteraient pas à profiter de l’aubaine et à chasser eux aussi la préoccupation irakienne qui les déstabilise de leurs activités courantes.)

L’analyse de O’Neill est intéressante parce qu’elle met en évidence combien effectivement cette affaire irakienne est artificielle, combien elle ne répond à aucun principe (alors qu’elle en viole tellement), combien elle poursuit des buts imprécis et incertains, sinon pas de but du tout à part les élucubrations fabriquées dans le Washington-Hollywood des néo-conservateurs. Il en résulte une très grande fragilité de ceux qui ont présidé à cette opération depuis le début, en même temps qu’une extraordinaire animosité entre tous les groupes du pouvoir impliqués dans l’opération. Il faut noter dans l’extrait ci-dessous ce que O’Neill nous dit de l’animosité entre dirigeants politiques et chefs militaires à Londres.

« British military officials, meanwhile, have this year embarrassed the government by warning of “mission creep” and of British forces being stuck in Iraq for years. As John Kampfner, political editor of the New Statesman, wrote in October, when 500 British Black Watch troops were moved from Basra to Baghdad: “For all the public show of agreement between officers and their political masters, rarely in the recent history of the British armed forces can the disdain of the top brass towards ministers have been so open as it is now…. What exercises them more than anything is the idea that they are seen as willing tools of a prime minister who uses the military as the vehicle for his ‘delusions of international grandeur’. These last words are not mine.”

» The Iraq fallout is the result of a profound malaise within the coalition itself. With little sense of what they stand for and why, of what principles they are supposedly defending on the international stage, coalition leaders are easily torn by controversies involving signatures, armour or disgruntled families. A war designed to provide the American and British with some sense of unity, around what Bush called “the clearest of divides, between those who seek order and those who spread chaos”, has ended up bringing deep divisions to the fore. And if anything, the anti-war movement has done little more than feed off these spats — first by latching on to the intelligence community's leaks about WMD, and now adopting grieving military families as the “parents who might yet bring down Bush” (10). The anti-war lot are cheerleaders to the Iraq crisis, rather than having instigated it.  »

L’analyse de O’Neill contribue utilement à renforcer notre appréciation que la crise irakienne, comme la crise du terrorisme plus largement selon nous, est d’abord une très profonde crise occidentale. Si ces dirigeants ont déclenché un tel conflit, tout comme d’autres aventures auparavant et autour, c’est évidemment que les circonstances en général y poussaient, de même que ces circonstances étaient déjà favorables à l’arrivée au pouvoir d’équipes si complètement irresponsables du point de vue des situations à long terme. La crise irakienne se présente, selon cette analyse, comme une crise de plus qui n’est que le reflet d’une vaste crise du système occidental, s’exprimant évidemment dans le chaos et l’irresponsabilité des équipes au pouvoir, et cela, surtout, dans les capitales anglo-saxonnes qui prétendent s’imposer comme inspiratrices et meneuses de la politique occidentale à la conquête du monde.