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763La crise financière irlandaise, ayant aussitôt débouché sur une composante sociale extrêmement sévère par le biais des mesures budgétaires, a tout aussi rapidement débouché sur une crise politique. La pression de manifestations sociales proches de ce que les politiciens craignent de la transformation d’un tel mouvement en insurrection, a pesé beaucoup dans cette évolution politique très rapide. Dans ces conditions, la perspective de nouvelles élections en janvier 2011 n’enterre pas cette dramatisation, elle la conforte et la renforce.
• The Independent du 23 novembre 2010 rapporte les péripéties du jour (hier, 22 novembre), où la crise financière devenue sociale, devient politique… «An extraordinary day in Irish politics ended in a major setback for Brian Cowen's government last night after his coalition allies forced him to concede an election as soon as his budget goes through. The Green party, which has kept Mr Cowen's Fianna Fail in power for several years, effectively pulled the plug by calling for an election in January, giving him little notice of its demands.»
• D’une façon générale “les marchés” (les financiers, les experts, etc.) lient le cas irlandais aux cas portugais et espagnols, deux pays menacés du même sort que l’Irlande. Nous lions plutôt, dans notre présentation, le cas irlandais au cas britannique. Les Britanniques, très concernés par la crise irlandaise, autant pour des raisons techniques (financières) que pour des raisons politiques et historiques, sont directement liés à l’évolution de cette crise. Les Britanniques interviennent pour une “aide” directe à l’Irlande, mais la décision est fortement contestée, dans son orientation et nullement sur le fond, par les “eurosceptiques” du parti conservateur au pouvoir, ce qui accroît la fragilité de la direction politique. Toujours The Independent du 23 novembre 2010 :
»Mr Osborne told the Commons that Ireland was a “friend in need” and insisted it was “overwhelmingly in Britain's national interest” for a major trading partner with an “interconnected” banking sector to have a stable economy and banking system. In addition, the UK will contribute about 13 per cent of the money from an EU stability fund. The total British contribution is expected to reach about £7bn.
»But Douglas Carswell, a Tory Eurosceptic, said: “We should be helping Ireland to quit the euro. At a time of austerity, we are again paying vast sums to the EU.” Bill Cash, chairman of the Commons EU Scrutiny Committee, said: “The real issue is the Government saying it will do something about European rules but then acquiescing in another European integration process.”»
• Le même jour (23 novembre 2010), la police britannique se prépare à une seconde journée (le 24 novembre) de protestation des étudiants britanniques, à cause des mesures de restriction dues à l’austérité. Des observateurs jugent qu’il y a une possibilité que cette journée d’action se trouve renforcée, voire “transcendée” par la crise de l’Irlande très proche.
@PAYANT Lorsque les commentateurs financiers et les économistes rapprochent les cas portugais et espagnols du cas irlandais, ils impriment aux événements catastrophiques en cours la dimension d’irréalité de la vision financière et économique du monde. Ils répondent à leur propre logique déstructurante, qui existe effectivement, de l’enchaînement comptable dans une situation financière totalement pervertie et par conséquent catastrophique. De ce fait, ils obligent le jugement à acquiescer à une vision technique et comptable du monde qui correspond au diktat du système, purement attaché à une dynamique de la matière, en crise profonde sinon terminale certes, mais paralysante par ailleurs pour envisager des prolongements réels intéressants. Le jugement est à nouveau placé devant l’enchaînement mécanique des choses, et contraint d’envisager des mesures du même ordre (interventions diverses d’autorités financières, assorties de conditions draconiennes d’austérité, aggravant encore la situation). La catastrophe appelle la catastrophe et tend, sous la pression de menaces non moins catastrophiques, à empêcher toute réaction politique susceptible d’ouvrir une brèche à une autre logique, dont le terme serait la mise en cause radicale et absolue du système.
Nous cherchons plutôt, quant à nous, dans cette occurrence de la crise irlandaise, à reconnaître et à interpréter les liens entre l’Irlande et l’Angleterre, qui sont certes financiers en partie, mais qui sont également politiques, sociaux et psychologiques, en raison de la proximité des deux pays, de leurs proximité historique constante, de leurs réactions immédiates et également connectées vis-à-vis du facteur européen général qui joue un grand rôle dans la crise. Un autre facteur conjoncturel complètement aléatoire (deuxième manifestation des étudiants britanniques, demain, en même temps que l’Irlande passe directement de la crise financière à une crise politique et sociale) peut éventuellement jouer son rôle, qui serait celui d’une dramatisation conjoncturelle en Angleterre même mais avec des échos en Irlande, si la situation irlandaise a elle-même un effet de dramatisation sur le mouvement étudiant britanniques. Il n’y a aucune certitude de telles connexions à caractère politique pour cet événbement mais la possibilité en existe et c’est déjà un fait intéressant. Les réactions violentes des forces de sécurité, après la première manifestation des étudiants britanniques comme en préparation de celle de demain, montrent l’inquiétude de la direction politique britanniques à cet égard, et témoignent de la “politisation” effective, moins du mouvement en lui-même, que de la perception qu’on a de l’événement. En d’autres mots, elles témoignent de la vulnérabilité grandissante de la psychologie de cette direction politique face aux événements, vulnérabilité qui se traduit par l’affaiblissement d’un jugement uniquement conditionné par la logique catastrophique financière, pour commencer à considérer la logique de la situation catastrophique politique et sociale.
Effectivement, c’est dans cette connexion entre Irlande et Angleterre, à la fois logique par la proximité et les liens des deux pays, et fortuite par l’enchaînement chronologique d’événements en apparence distincts, qu’on peut aboutir à une “politisation” de ces mêmes événements. (Cela serait alors une sorte de “modèle” pour passer du diktat de la logique financière à la réalité de la logique politique.) Un tel phénomène, s’il avait lieu, – nous sommes encore loin d’une concrétisation à cet égard mais elle peut se réaliser très rapidement, – représenterait effectivement une rupture importante par rapport à la logique de l’enchaînement des crises financières de pays éloignés (Irlande, Portugal, Espagne), qui mobilise le jugement dans le sens d’une soumission à l’enchaînement catastrophique imposé par la logique financière et qui interdit le plus souvent la “politisation” du processus général en continuant à nous soumettre au diktat du système. L’ensemble Irlande-Angleterre est beaucoup plus intéressant, et cela d’autant plus que les Britanniques eux-mêmes commencent à considérer des réactions sociales violentes à l’imitation d’une autre connexion et d’une autre proximité historique, avec la France cette fois, à la suite des événements en France durant le mois d’octobre.
Il s’agit effectivement de rompre une logique soumise à l’irréalité totalitaire du circuit financier, qui parcellise ses effets catastrophiques et empêchent la psychologie d’assimiler une perception à la fois chronologique et de proximité de l’extension de la catastrophe, et de structurer le jugement dans ce sens. La “politisation”, sous quelque forme que ce soit, passe par cette perception psychologique qui restructure le jugement des événements, contre la déstructuration qu’impose la parcellisation imposée par la logique financière du système. Il est manifeste que les directions politiques elles-mêmes sont touchées par cette évolution, comme le montre la rapidité avec laquelle la direction politique irlandaise a tout de suite transcrit, ou été forcée de transcrire la crise financière et les conditions totalitaires d’oppression du système qui l’accompagnent en une crise politique fondée sur les menaces de crise sociale grave. De ce point de vue, on peut voir un signe que les événements catastrophiques, exerçant une pression psychologique considérable sur elles, forcent les directions politiques à se rapprocher de la réalité politique au détriment de la seule vision imposée par le système au travers de sa logique financière.
On doit se garder de tirer aussitôt des hypothèses prospectives de possibilité de “révolte” organisée, de mouvements structurés, etc., car ce n’est pas de cette façon que fonctionne la situation présente. Il s’agit d’événements épars, qui éclatent par surprise ou qui passent par surprise d’un domaine (la logique financière) à l’autre (la crise politique), sans préméditation d’aucune sorte, et sans planification sérieuse. Ce qui nous importe, bien entendu, c’est la constante augmentation de la pression psychologique, ou de la pression appliquée sur la psychologie, qui touche tous les acteurs, – aussi bien les responsables politiques, au départ acquis à la seule logique financière et éventuellement contraints d’évoluer, que les citoyens qui souffrent des conditions catastrophiques qui leur sont imposées et qui finissent ainsi par alimenter la perception, pour ces responsables politiques, d’une population qui se trouverait dans une latence insurrectionnelle pouvant très rapidement déboucher sur des événements concrets. L’essentiel est effectivement la transformation de la crise financière en “crise insurrectionnelle” (mais en réalité, d'abord une “crise insurrectionnelle de la psychologie”), – ce qualificatif (”insurrectionnel’) désignant aussi bien d'éventuels mouvements sociaux que l'essentielle transformation du jugement des directions politiques de l'influence du diktat financier vers l'influence de la réalité humaine, politique et sociale. La psychologie et sa perception sont le moyen fondamental de cette transformation.
Mis en ligne le 23 novembre 2010 à 06H53
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