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137417 janvier 2003 — On se réfère ici aux deux articles de The Independent que nous avons relayés hier avec un rapide commentaire, et qui concerne cette phrase du ministre de la défense Geoffrey Hoon qui a fait scandale à Londres. Il s’agit de cette phrase de commentaire de Hoon concernant BAE, le grand groupe d’armement (britannique? Là est tout le sel de la polémique), lorsque Hoon mentionne (incidemment?) que BAE « is no longer British ».
Nous avons écrit dans notre commentaire que « Le ministre britannique de la défense a commis hier une gaffe », un peu contre la signification des articles que nous entendions commenter. Finalement, oui, c’est une “gaffe” par rapport à ce que révèle cette remarque de la crise et des contradictions britanniques aujourd’hui, mais c’est aussi une sorte de gaffe bienvenue.
De plusieurs choses l’une, selon ce commentaire, et selon ce que les articles disaient ou laissaient entendre :
• Soit Hoon prépare le terrain au choix du groupe Thalés pour le futur porte-avions UK, et alors il avance que BAE n’a pas à être favorisé parce qu’il est britannique, — parce qu’il n’est plus, financièrement parlant, britannique. (Ce dernier point, d’ailleurs, est irréfutable.)
• Soit Hoon poursuit la vendetta du MoD avec BAE et entend obtenir d’autres avantages en signifiant au groupe UK (ex-UK) qu’il n’a droit à aucun traitement de préférence.
• Soit Hoon prépare indirectement le terrain à un choix BAE pour le porte-avions et entend justifier ce choix en cédant devant les réactions de protestation réaffirmant que, non, BAE, malgré les réalités financières, reste britannique et doit être favorisé comme tel.
Voilà quelques hypothèses. Elles nous importent finalement assez peu, sinon pour les signaler comme pur aspect tactique du cas. Ce qui nous importe, c’est la substance, c’est-à-dire la réaction quasi-spontanée à cette déclaration de Hoon. Dans ce cas, il ne nous intéresse pas de savoir ce qu’il a voulu dire ou obtenir, il ne nous intéresse pas de savoir s’il est ou n’est pas conforme au portrait qu’en fait Jeremy Warner: « The Defence Secretary, Geoff Hoon, is not the sharpest knife in Tony Blair's Cabinet, and he has just proved it again. » Il nous intéresse au contraire de constater que les réactions se sont développées autour de quelques thèmes centraux:
• BAE est et doit rester britannique, au contraire de ce qu’affirme Hoon. On note par exemple cette remarque: « Bernard Jenkin, the Conservatives' defence spokesman, weighed into the row saying: “BAE Systems is a British company and Geoff Hoon sounds as if he is trying to cover his back. Whichever company wins this contract, we must not lose proprietary technology and British jobs as a result.” » (Le contrat auquel il est fait allusion est celui du porte-avions, où BAE est en compétition avec Thalés.)
• La nationalité d’une société ne doit pas se mesurer à son actionnariat (sinon Hoon a raison). The Independent explique:
« An MoD spokesman said that Mr Hoon had merely been reiterating what the Government's position was on the issue of UK ownership of defence contractors. However, his comments, directly linking BAE's nationality to the ownership of its shares, appear to contradict directly a defence industrial policy paper published by the MoD last year.
» That said: “One result of the defence industry's internationalisation has been to blur the definition of what comprises the UK defence industry. The UK defence industry should therefore be defined in terms of where the technology is created, where the skills and the intellectual property reside, where jobs are created and sustained and where the investment is made.” »
Bel et bon, tout cela. Il n’empêche que, depuis les années 1980 (époque Thatcher), la politique britannique, conservateurs et travaillistes confondus, a été :
• Philosophie du Value For Money. Tout se mesure à la rentabilité, ce qui induit une logique qui vaut aussi pour l’actionnariat, qui s’appuie sur l’importance de l’actionnariat. L’activité (la défense) devient économique et tout se mesure en termes financiers. A ce compte, Hoon a malheureusement raison et les états d’âme du MoD (voir la circulaire citée) n’y changeront rien.
• BAE a parfaitement suivi cette évolution, qui correspond à l’évolution de la globalisation, qui se traduit, dans le domaine considéré (comme ailleurs), purement et simplement par l’américanisation. Effectivement, BAE est en bonne voie d’américanisation avec près de 30% de son chiffre d’affaires aux USA, et l’espoir d’arriver à 50% pour 2005-2007. C’est là le résultat d’une politique de la société elle-même, d’ailleurs sanctifiée par les conservateurs (entrée de Michael Portillo au Conseil d’Administration de BAE l’année dernière) et à laquelle les travaillistes n’ont jamais tenté de s’opposer (ils ont une golden share au CA).
• Cette américanisation de BAE n’est pas seulement quantitative, elle est qualitative et fondamentale, avec sa participation à hauteur de 8% du programme dans le programme JSF. Bernard Jenkin aura beau nous parler de la « proprietary technology » de BAE dans quelques années : elle sera US et complètement contrôlée par le Pentagone. Et, dans ce cas, il ne s’agit plus d’une politique d’une compagnie mais d’une politique gouvernementale constante depuis ... combien? Quatre, cinq, six décennies?
En quelque sorte, BAE selon Hoon (« no longer british »?) est le reflet d’une évolution générale du Royaume-Uni. La question n’est pas de savoir si le Royaume-Uni est pro-américain ou pas, la question est de savoir si le Royaume-Uni est encore british, ou s’il restera encore longtemps british à ce rythme. Les relations avec les USA, lorsqu’elles veulent être “spéciales” comme les veut Blair, deviennent nécessairement prédatrices et intégratrices, — et l’on devine au profit de qui. Les cris de fureur accueillant la remarque de Hoon ressemblent aux plaintes qu’on entend, en petit comité et entre quatre (six au maximum) yeux, avec des militaires britanniques vous confiant que le comportement US avec eux est proche d’être insupportables tant il empiète sur la souveraineté nationale britannique.
Il paraît bien difficile de séparer le sort de BAE de la politique britannique, — de la philosophie de la politique britannique autant que de son orientation. De cette façon, l’exclamation de Hoon (« no longer british ») sonne comme un constat et comme un aboutissement logique ; si elle sonne également comme une cause d’extrême alarme et une infamie pour certains, comme cela semble être le cas pour beaucoup au Royaume-Uni, alors il est temps pour les Britanniques de s’interroger sur ce qu’ils veulent être et ce qu’ils veulent devenir, sur ce qui peut et doit être fait pour cela, sur ce que doit être par conséquent leur politique générale.
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