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1187Nous avions l’intention de simplement présenter l’article ci-dessous en rubrique Ouverture libre, mais une remarque d’un lecteur (voir le Forum du 24 août 2011, en date du 29 août 2011) nous invite à aller au-delà. Il s'agit de quelques explications supplémentaire sur ce que nous estimons être la potentialité d’une situation radicalement nouvelle d’Israël, dans le cadre de relations nouvelles entre Israël et l’Egypte, et d’une situation nouvelle dans la région en général.
Nous commençons par un extrait du texte de Linda S. Heard, du 26 août 2011, sur IntrepidReport.com. (Un autre texte de Heard, sur le même thème, avait paru sur le même site, le 24 août 2011.) Le texte de Linda S. Heard (une spécialiste britannique des questions du Moyen-Orient) est intéressant par les précisions qu’il apporte sur les diverses circonstances du développement de la tension entre Israël et l’Egypte. On note que Heard précise que cette tension n’est pas encore apaisée, et qu’il se pourrait bien que l’on s’acheminât vers une sorte d’amendement au traité de paix de Camp David qui permettrait à nouveau à l’Egypte de déployer des forces militaires dans le Sinaï et, notamment, près de la frontière israélienne. L’intention est ambiguë, puisqu’un tel déploiement peut aussi bien figurer comme une volonté égyptienne de mieux contrôler le Sinaï en fonction de nouvelles activités terroristes dans cette zone, activités qui inquiètent également Israël, – que de faire peser sur Israël une présence militaire sur sa frontière. C’est la particularité de cette situation qui fait penser que les nouvelles relations, plus équilibrées, éventuellement beaucoup plus critiques avec une Egypte assurant beaucoup plus une position traditionnelle arabe à l’égard d’Israël, sont destinées à devenir structurelles : le soupçon d’un antagonisme égyptien (avec des troupes dans le Sinaï) est très difficile à substantiver dans la mesure où existe l’argument exactement inverse du terrorisme, au nom duquel les Israéliens ont intérêt à voir les Egyptiens installer une forte présence sécuritaire sur leur frontière avec eux. (Par exemple, un texte du site DEBKAfile, proche du Mossad comme l’indique Heard, du 24 août 2011, indique que, pour les forces armées israéliennes, l’IDF, la frontière israélo-égyptiennes du Sinaï n’est plus “une frontière de paix”, – à cause de la menace terroriste, justement…)
Dans tout le texte de Heard du 26, on notera que le mot “Palestiniens” n’apparaît qu’une seule fois, et d’une façon complètement anodine (la foule égyptienne remplaçant le drapeau israélien du consulat israélien d’Alexandrie par les drapeaux égyptien et palestinien : …on tearing down the Israeli flag and replacing it with the Egyptian and Palestinian standard»). C’est une indication dans ce cas symbolique, et du sens du texte, et de celui de notre commentaire, plus bas. On voit que le problème palestinien n’interfère que très secondairement dans ce qu’il faudrait peut-être désormais identifier comme la “question égypto-israélienne”.
«When the news first broke that the Israeli army had turned its guns on its Egyptian allies, Tel Aviv did what it always does to extricate itself from culpability; it cooked-up a bare-faced lie saying the Egyptian soldiers and policeman were victims of a suicide bomber. After all, lies have been working for Israel for decades. […]
»A similar blatant fabrication might have worked prior to Egypt’s popular revolution when former Egyptian president Hosni Mubarak was in Washington’s pocket and didn’t hesitate to quell an angry street with force. But not now when the Egyptian people have managed to wrest power from authorities hitherto compliant with Israel. They are in no mood to be humiliated or pushed around by their caretaker government let alone their arrogant neighbour.
»Egyptians have reacted to the news with fury gathering outside the Israeli embassy in Cairo and the consulate in Alexandria intent on tearing down the Israeli flag and replacing it with the Egyptian and Palestinian standard, which Alexandrians succeeded in doing.
»Crowds holding high photographs of Egypt’s former president Jamal Abdul Nasser, burning depictions of the Star of David and calling for the expulsion of the Israeli ambassador and an end to the Camp David Peace Treaty were permitted to gather while Egyptian soldiers sitting atop their tanks looked on.
»This is the first time that Egypt’s security forces have refrained from intervening in protests outside the Israeli embassy reflecting the country’s anger over the deaths but also over a statement by Israel’s Defence Minister Ehud Barak to the effect the Egyptian military was “losing its grip” over the Sinai.
»When Egypt summoned the Israeli attaché (the ambassador was out of town) and threatened to recall its own from Tel Aviv, Barak soon changed his tune saying, “Israel regrets the deaths of the Egyptian officers that occurred during the attacks along the Israeli-Egyptian border . . . The peace treaty between Israel and Egypt is of great importance and strategic value for the continued stability of the Middle East.” Moreover, the Israeli government now admits that the Egyptians were probably killed in the crossfire.
»The Egyptian government is unimpressed. It is demanding an official apology in writing, a deadline for the joint probe and monetary compensation. Showing that it ‘means business’ it has unilaterally suspended the constraints put upon the numbers of Egyptian soldiers permitted to be based in Sinai under Camp David and vowed to “take protective measures and strengthen security at the border with the necessary forces capable of deterring alleged infiltrators as well as responding to any activity by the Israeli military.” And, according to the DEBKAFile website owned by people with links to the Mossad, Washington has made efforts to diffuse tensions between the two sides by agreeing to renegotiate the Camp David demilitarisation clause that ties Egypt’s hands.»
Effectivement, tout le texte de Heard est consacré aux seules relations entre Israël et l’Egypte, ce qui est absolument notre propos dans les précédents commentaires concernant cette affaire. C’est ici le point le plus important, et il indique effectivement une situation d’une très grande importance pour Israël.
La situation actuellement en développement pourrait ramener Israël 40 ans en arrière, à quelques années près. Il faut évidemment avoir à l’esprit, – et ceux qui ont vécu cette période s’en rappelle, – qu’Israël vivait, depuis 1948, stratégiquement en état de siège et constamment sur une position défensive, même si cette défensive se marquait parfois par des attaques préventives (le cas de 1956 est trop complexe pour être pris en compte, mais il y a essentiellement le cas de la guerre dite “des Six Jours”, de 1967). Il s’agit là d’une appréciation stratégique et nullement d’un jugement politique ; quel que soit le jugement qu’on portait et qu’on porte sur la politique d’Israël, sa situation stratégique d’alors, – jusqu’à la guerre d’Octobre, le 4 octobre 1973, et dans sa logique la visite de Sadate en Israël en 1977, et les accords de Camp David de 1979, – était une position de défensive stratégique qui n’a aucun rapport avec sa posture devenant agressive et même hystérique, développée peu à peu à partir de 1982 (Liban), et très rapidement depuis 9/11. Les craintes d’Israël de ses voisins arabes, et essentiellement de l’Egypte, étaient fondées sur des réalités stratégiques, même si elles étaient politiquement discutables. Elles n’avaient rien à voir avec la construction idéologique hystérique du danger iranien, et avec les comportements qui l’accompagnent.
La guerre d’octobre 1973 fut le sommet, tragique pour Israël, de cette période. Pendant trois-quatre jours après le début de la guerre déclenchée par les Égyptiens et les Syriens le 4 octobre, Israël se trouva dans une position stratégique gravissime, menacé d'effondrement. Enfoncées sur le Golan et sur le Canal de Suez, les forces israéliennes durent retraiter précipitamment tandis que l’aviation israélienne, – le point fort d’Israël dans ses guerres avec les pays arabes, – essuyaient des pertes considérables (plus de 80 avions abattus par la défense anti-aérienne arabe). C’est le pont aérien de livraison d’armes des USA qui, à partir du 8 octobre 1973, sauva Israël. Israël connut ainsi le traumatisme d’avoir été, pendant quatre jours, proche d’une défaite catastrophique. A partir de là, Israël évolua de plus en plus vers la recherche de la neutralisation de son ennemi principal, l’Egypte, ce qui fut fait entre 1977 et 1979 avec les initiatives de Sadate et le traité de paix. Une nouvelle époque commença pour Israël, débarrassé du cauchemar du front principal de l’Egypte, avec une Egypte entrée dans l’orbite US. C’est ainsi qu’Israël passa d’une posture défensive à une posture agressivement offensive, tout en s’extrayant psychologiquement de sa région, tout en devenant une sorte d’avant-poste stratégique du Pentagone de surveillance agressive de la région. On comprend dès lors l’énorme bouleversement que constitue le retour d’une Egypte devenue soudain incertaine et changeante dans sa stratégie, éventuellement tentée par un retour offensif au sein du monde arabe, éventuellement prête à s’affirmer à nouveau comme une puissance active dans la région, pesant donc d’autant sur Israël.
C’est sans aucun doute de cette façon qu’il faut considérer le problème général, et non pas (non plus) en fonction du seul problème palestinien spécifique. Le retour de l’Egypte dans la situation stratégique de la région, – avec toutes les notions paradoxales de faiblesse qu’on a vues, – constitue un facteur important également dans la mesure où il transforme la perception géographique et stratégique immédiate d’Israël. L’activisme idéologique d’Israël, manifestée par son hostilité agressive contre l’Iran et qui impliquait une absence de fronts de proximité toujours très pressants au profit d’une option théorique de projection de forces, pourrait se voir rapidement supplanté par une préoccupation stratégique rapprochée, une sorte de retour à l’époque d’avant 1973-1979. Il ne s’agit en aucun cas de prévoir un conflit, car nous parlons bien d’une “situation stratégique” et nullement d’une dynamique stratégique de confrontation ; c’est-à-dire que nous parlons plus d’un cas de perception que d’un cas d’évolution stratégique proprement dit, le premier cas dépendant à la fois de la communication et de la psychologie, le second de la politique de confrontation. L’évolution égyptienne et la réaction israélienne, qui apparaissent largement paradoxales (toujours ce “faiblesse pour faiblesse”), signifient bien plus une pression de communication et de perception poussant à un changement de psychologie et de mentalité, qu’à une montée des tensions vers un conflit. L’essentiel, dans ce cas, est bien qu’Israël est effectivement confronté à la possibilité de la perte de l’argument psychologique et de communication soutenant sa politique de paroxysme agressif d’une menace construite sur le mythe iranien (arguments du terrorisme, de l’armement nucléaire, d’une puissance non démocratique hostile et cherchant l’anéantissement d’Israël, image générale essentiellement construite selon une politique de communication bien déterminée). Le “cas égyptien” évoqué ici, impliquant une puissance arabe qui n’est plus hostile à Israël comme jusqu’en 1973-1979, qui est adoubée aux yeux de l’Occident par ce qui est désormais le mythe démocratique du “printemps arabe” (argument de communication, là aussi), mais qui peut s’affirmer par rapport à Israël comme défenderesse des intérêts arabes (dont ceux des Palestiniens), ramène effectivement Israël aux réalités de la région, et à ses propres responsabilités.
Le traité de paix de 1979 et, surtout, la neutralisation du régime égyptien par la machinerie américaniste et du Pentagone, avaient permis à Israël de s’évader de la réalité géographique et stratégique, donc de s’extraire psychologiquement, comme on l'a dit, de la région, pour s’appuyer sur une narrative destinée à l’Occident (les USA) et fondée sur le tryptique terrorisme, sécurité d’Israël, passé historique d’Israël. Cette narrative fut notamment énoncée d’une façon très concrète par les neocons dans les années 1990 (notamment Richard Perle), agissant quasiment selon une optique de relations publiques dans le cadre américaniste. La réalité égyptienne ressurgie depuis le “printemps arabe”, avec sa narrative à elle, démocratique et mobilisatrice des bonnes consciences du “parti des salonards” (dans ce cas, cela est utile), est un facteur puissant, sinon déterminant, pour ramener Israël dans la réalité de sa situation géographique et stratégique (cela, en même temps que l’Egypte revenant dans la réalité de sa propre situation géographique et stratégique dont elle avait été extraite par sa neutralisation, par les USA, de la fin des années 1970). La transformation de la Turquie, au nord d’Israël, dans le sens qu’on sait, renforce évidemment et puissamment ce mouvement d’un changement considérable. Du même coup, la question palestinienne, qui avait été également isolée de son contexte géographique et stratégique et liée à cette politique israélienne sécuritaire et extrêmement agressive qui a prévalu depuis les années 1980, suivrait la même évolution. La situation iranienne bénéficierait, elle aussi, de cette évolution, puisque l’Iran deviendrait de moins en moins soupçonnable de visées hégémoniques à cause de la présence désormais actives d’autres puissances musulmanes (la Turquie et l’Egypte), équilibrant sa puissance tout en ne lui étant nullement hostiles. Bien entendu, ces perspectives sont renforcées par l’autre facteur déterminant que constitue le déclin de la puissance et de l’influence US. Il va sans dire qu’une telle perspective, si elle se réalisait, entraînerait une révision générale de toutes les politiques en cours actuellement au Moyen-Orient (comme, par exemple, l’hostilité agressive d’Israël vis-à-vis de l’Iran, qui deviendrait complètement anachronique et impossible à développer, pour des raisons politiques, stratégiques et psychologiques, dans le nouvel environnement envisagé).
Mis en ligne le 30 août 2011 à 11H45
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