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644Il a été annoncé hier que les forces armées israéliennes avaient décidé de déployer un élément de son système général anti-missile Iron Dome sur sa frontière égyptienne, dans le Sinaï. Il s’agit d’une décision technique assez souple, les batteries inclues dans Iron Dome étant mobiles et d’un déplacdement aisé, mais à forte signification stratégique selon les conceptions israéliennes, et, par conséquent, à forte signification politique.
Russia Today rapporte la nouvelle ce 12 juilet 2012, relayant divers rapports parus dans la presse israélienne à partir de déclarations officielles des militaires.
«Israel is to install a mobile air defense system at the Egyptian border, following cross-border attacks in the area, reports the Israeli media. The Iron Dome system is designed to defend against rockets fired from anything up to 70 kilometers away. […]
»The system has been used against Palestinian rocket attacks from the Gaza Strip in the past and this time "will be placed near Eilat as part of an operational deployment program which includes changing the locations of the batteries from time to time,” according to an Israeli military spokeswoman.»
Dans un pays hyper-militarisé comme l’est Israël, où la sécurité nationale inspire toutes les décisions, celle de déployer des batteries du système Iron Dome est particulièrement significative. Iron Dome, qui est l’équivalent israélien du système anti-missiles que les USA et l’OTAN déploient à une vaste échelle stratégique notamment en Europe, a une très grande signification militaire pour la direction de sécurité nationale israélienne. Ce point de vue militaires prend principalement en compte l’exiguïté stratégique du territoire israélien et ce que les chefs militaires considèrent comme l’activisme anti-israélien de plusieurs pays et organisations ; il est “stratégique” également, mais toujours selon la perception israélienne basée sur les facteurs mentionnés ci-dessus. Ce système anti-missiles constitue une mesure de défense immédiate et d’ores et déjà activée. (Iron Dome est déjà intervenu dans plusieurs cas d’attaque de roquettes ou de missiles venues des territoires palestiniens ou du Sud Liban, dans des situations tactiques beaucoup plus que stratégiques mais toujours selon la conception “stratégique” de type israélien.)
L’importance accordée à cette forme de défense, selon les conceptions des militaires israéliens fortement influencées par le technologisme des USA et la confiance mise dans les moyens de défense automatisés, et la perception de communication à mesure qui l’accompagne, conduisent au constat que toutes les décisions concernant le déploiement de Iron Dome ont effectivement une signification stratégique forte, – cette fois, le terme “stratégique” pris dans son sens objectif le plus large, – et, par conséquent, une signification politique à mesure. Ainsi considérée dans sa dimension véridique, telle qu’elle sera perçue, la décision concernant Iron Dome est d’une très grande signification stratégique, sans commune mesure avec, par exemple, la décision de déployer plusieurs bataillons sur la frontière du Sinaï, cela impliquant a priori une simple mesure de sécurité antiguérilla de basse intensité. La décision Iron Dome implique que l’état-major israélien juge qu’une menace de haute intensité est possible du côté égyptien, c’est-à-dire une menace impliquant des armements importants, de capacités techniques à mesure, etc., et cela entraînant le jugement implicite que les autorités égyptiennes pourraient laisser faire de tels développements et, par conséquent, devraient en être considérées comme partie prenante et d’une hostilité à mesure de ceux qui agiraient dans ce sens. De là l’interprétation politique qui s’enchaîne, selon laquelle, effectivement, l’Égypte entre dans la catégorie des pays hostiles vis-à-vis d’Israël. L’obsession sécuritaire des chefs militaires israéliennes conduit irrésistiblement à cette perception qu'on en a déjà et qu'on en aura de plus en plus.
Par ailleurs, il s’agit là d’un enchaînement classique dû à l’évolution du système du technologisme. Les mesures d’ordre technologique, souvent prise (et présentée) comme techniques, prévisionnelles plutôt que réactives, engendrent pourtant une nouvelle situation stratégique et, par conséquent, conduisent à une nouvelle position politique, complétant et renforçant, d’ailleurs après l’avoir suscitée du point de vue technique, le raisonnement développé plus haut. Il y a déjà eu des incidents sur la frontière égyptienne d’Israël depuis la chute de Moubarak, mais rien de fondamentalement déstabilisant si l’on observe les choses d’un point de vue évènementiel. Dès le départ, on a vu que ce n’était pas l’analyse des militaires israéliens, qui jugeaient cette situation comme évolutive et non fixées, comme l’annonce d’une inéluctable aggravation. Dès l’été dernier (2011), plusieurs chefs militaires annonçaient que l’armée considérait désormais l’Égypte comme la première menace contre la sécurité israélienne, – évaluation potentielle, certes, mais aussitôt traduite en un processus de décision concernant un redéploiement de forces qui aboutit aujourd’hui à cette étape du déploiement, même mobile, d’éléments de l’Iron Dome. L’évaluation prévisionnelle est devenue une évaluation actuelle, effective, traduite par des mesures dont la plus récente est donc bien de l’ordre du stratégique. Quoi qu’on en veuille, l’événement devient donc effectivement stratégique, et par conséquent effectivement politique. C’est un processus assez semblable, mais beaucoup plus rapide en raison des conditions spécifiques d’Israël qui se trouve dans une position stratégique défensive contrainte, à celui du déploiement des anti-missiles en Europe, notamment par rapport à la Russie. Quelles que soient les affirmations politiques et les déclarations d’intention, le simple fait du déploiement, même temporaire et occasionnel, mais toujours prêts à être renouvelé, représente une mesure technique qui est nécessairement de type stratégique et politique et désigne la menace, installe l’antagonisme, n’est pas loin d’identifier un ennemi nouveau. La logique du technologisme, par conséquent l’emprisonnement de l’évaluation stratégique et politique par rapport à l’évolution logique du technologisme, est de ce point de vue inéluctable.
On doit conclure en voyant dans cette mesure israélienne une déclaration stratégique et politique sans aucune ambiguïté : désormais, l’Égypte est dans la catégorie des “ennemis“ d’Israël. C’est un événement d’importance, quoi qu’il se passe aujourd’hui en Égypte ; et c’est un événement qui va influer sur le cours des choses entre l’Égypte et Israël dans le futur, dans le sens de l’exacerbation des relations. Cela est d’autant plus prévisible que la vision militaire, stratégique et politique va être très vite accélérée et aggravée par la psychologie qui ne cessera, elle, d’aggraver la perception, dans les conditions de la tension endémique que la disparition de Moubarak a installée entre les deux pays.
Mis en ligne le 13 juillet 2012 à 09H07
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