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6 avril 2005 — La formidable nouvelle annoncée par le journal israélien Haaretz, le 3 avril, n’a guère été reprise, traitée ni commentée. Haaretz n’avait fait que consulter avec minutie le “journal quotidien” du département d’État US, sur le site correspondant, et il avait constaté que deux interventions récentes de fonctionnaires du département d’État demandaient à Israël (en même temps qu’au Pakistan et à l’Inde) d’abandonner son arsenal nucléaire.
« The State Department yesterday called on Israel to forswear nuclear weapons and accept international Atomic Energy Agency safeguards on all nuclear activities. This is the second time in about two weeks that officials in the Bush administration are putting the nuclear weapons of Israel, India and Pakistan on a par. The officials called on the three to act like Ukraine and South Africa, which in the last decade renounced their nuclear weapons.
(...)
» The officials, who hold middle-level and lower ranks, are Jackie Wolcott Sanders, ambassador, Conference on Disarmament and special representative of the president for the Non-Proliferation of Nuclear Weapons, and Mark Fitzpatrick, acting deputy assistant secretary for nonproliferation. Sanders was quoted yesterday in the State Department's Electronic Journal, published ahead of the Non Proliferation Treaty (NPT) review conference scheduled in New York at the beginning of May. Fitzpatrick spoke on March 17 at a security conference of the Organization of American States (OAS). »
La nouvelle est sensationnelle parce que ces deux interventions impliquent que, pour les deux fonctionnaires américains (donc pour le département d’État, donc pour les USA?), Israël a des armes nucléaires, — selon l’idée assez logique qu’on ne peut demander à quelqu’un de se débarrasser de telles armes que s’il en a. Bien sûr, tout le monde sait qu’Israël a des armes nucléaires (selon certaines analyses, entre 200 et 400, soit plus que le Royaume-Uni); mais dans notre univers du triple et même du quadruple langage, que les USA reconnaissent implicitement mais fort officiellement le fait est véritablement un événement. Haaretz reconnaît lui-même implicitement (décidément, notre époque est celle de l’implicite) cet événement lorsqu’il précise de façon assez anodine mais significative :
« The [two US] officials called on the three [India, Israel, Pakistan] to act like Ukraine and South Africa, which in the last decade renounced their nuclear weapons. The similar phrasing used by the officials refers to Israel's military nuclear capability, as distinct from “nuclear option,” which is to be rolled back, although not necessarily in the “foreseeable future.”
» The rare use of these terms contradicts the custom of senior administration officials to avoid any possible confirming reference to Israeli nuclear weapons. »
Plus encore: le journal rappelle les engagements des deux plus récents présidents américains (Clinton et Bush) de ne pas mettre en cause l’armement nucléaire israélien. Les mots choisis pour désigner implicitement (!) cet armement (« Israel's strategic capability to protect itself »), dans ces déclarations, l’avaient été bien sûr pour éviter une reconnaissance implicite (!!) des Américains de l’armement nucléaire israélien : « In the past six years, since the Wye conference in 1998, presidents Clinton and Bush repeatedly promised then prime ministers Benjamin Netanyahu and Ehud Barak and also Ariel Sharon that Israel's strategic capability to protect itself will not be harmed. »
La reconnaissance implicite (!!!) ou explicite par les USA de la possession d’armes nucléaires par Israël est aujourd’hui un enjeu considérable. Il l’est spécialement dans la crise iranienne, où l’Iran est mis en cause pour la possibilité de posséder ou de développer des armes nucléaires, ou encore dans la crise syrienne, où la Syrie est pressée pour s’engager à ne pas développer des armes nucléaires. A chaque fois, la réponses de ces deux pays, comme d’autres éventuellement dans la région, est de dire: “d’accord, nous signons un tel engagement si les autres pays de la zone, dont Israël, signent le même engagement”. En général, cette réponse souffre de la politique officielle, israélienne et américaine, de ne pas accepter officiellement la reconnaissance d’un armement nucléaire d’Israël. On comprend alors le caractère intempestif des déclarations des deux fonctionnaires.
Que s’est-il passé ? Plutôt: que peut-il s’être passé ? — car l’on en est réduit aux hypothèses et, à notre sens, ce doit être le cas pour les Israéliens eux-mêmes, voire même pour certains services à l’intérieur de l’administration US, qui ne sont pas au courant des méandres bureaucratiques au département d’État.
• La première chose à considérer est qu’il s’explique que cette affaire soit ressortie parce que le département d’État a inscrit aujourd’hui, en haut de son “agenda”, la poussée diplomatique vers le Pakistan (bon élève qu’on veut récompenser) et l’Inde (le grand nouveau dont on veut faire une grande puissance du XXIème siècle). Ces deux pays étant un peu dans le même cas qu’Israël, mais eux deux non dissimulés, il devenait maladroit de ne pas mentionner Israël dont tout le monde connaît le statut, dans deux occurrences où il était demandé de façon assez théorique à l’Inde et au Pakistan d’abandonner leurs forces nucléaires. Cela a été fait en oubliant que la politique non-officielle mais impérative des Etats-Unis vis-à-vis d’Israël est de ne rien dire de direct et d’embarrassant à propos du nucléaire.
• Cette considération assez bureaucratique suggère effectivement que la bureaucratie aurait enregistré cette nécessité de tout faire pour améliorer les relations avec l’Inde et le Pakistan sans prêter attention au reste de la politique US (ce qui est assez habituel dans le cas US, où l’on se concentre sur un but principal en y mettant tous les moyens possibles et en oubliant le reste). On aurait donc cité Israël sans prêter attention aux implications générales de cette démarche. L’explication est d’autant plus à considérer que les deux fonctionnaires US impliqués sont de rangs subalternes et que leurs services sont pour l’instant quelque peu perturbé par un changement important de direction (départ de John Bolton, secrétaire d’Etat adjoint pour les questions de désarmement, son remplacement par Robert Joseph : les deux hommes sont aussi pro-Israël l’un que l’autre et que l’on peut l’être aujourd’hui dans la frange extrémiste de l’administration GW, et l'absence de contrôle de leurs services correspond au schéma général envisagé ici).
• Une autre hypothèse est que les Américains voudraient aligner Israël dans le groupe des pays visés par la contre-prolifération, et ces déclarations seraient un premier ballon d’essai . Haaretz note à ce propos, de façon assez sibylline et imprécise: « According to the Israeli experts, the American administration does not want to expand nuclear proliferation to additional states in the region and agrees that in time it would be preferable to have the Middle East nuclear free, but disagrees with the immediate adoption of a policy which would prevent American forces like the Sixth Fleet ships and airplanes from carrying nuclear warheads in bombs and missiles as well. » L’hypothèse d’une action mesurée et calculée est éventuellement à considérer mais nous semble trop présumer d’une habileté, ou d’un machiavélisme peu dans les habitudes de la diplomatie US, particulièrement dans les temps actuels.
Quoi qu’il en soit, ces déclarations publiques de la diplomatie américaine constituent un événement important. Même si elles n’ont pas eu de retentissement, elles ont été notées et elles feront leur chemin. Elles seront rappelées lors de négociations de contre-prolifération et elles contribuent à miner le statut spécial qu’occupe Israël dans le jeu diplomatique mondial à cause de la protection américaine. D’autre part, la diplomatie américaine en sera handicapée, ce qui confirme que Washington n’a, aujourd’hui, de pire adversaire, que ses propres maladresses dues à une combinaison d’aveuglement bureaucratique, d’inattention et d’arrogance.