Israël et Turquie, ou le désamour sans retour

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Un assez long article de Defense News, publié à partir de Tel-Aviv, donc principalement à partir de sources israéliennes, le 18 octobre 2009, montre que le désaccord entre les deux pays touche également Israël sur un mode notablement offensif. D’une façon plutôt sibylline, à moins qu’il ne soit fait allusion au désaccord remontant à 2002-2003 concernant le soutien israélien aux Kurdes d’Irak, l’article observe après avoir détaillé les conditions d’une brouille affectant fortement les liens militaires, notamment industriels et de coopération diverses: «One top Israeli defense executive, however, expressed a widely held sentiment that the Turkish-Israeli relationship actually died a few years ago and that the current rift is merely the public manifestation of a partnership that has long ceased.»

Sur l’aspect général, il s’agit donc constat très sérieux de désaccord structurel, donc en train de s’installer.

«The growing Israel-Turkey rift that culminated in Ankara canceling Israeli participation in a multinational exercise threatens to derail already declining defense cooperation between the two countries, said officials from both countries. Israel plans to withhold export licenses for the sale of defense articles and services to Turkey, and demote the country's standing from preferred to one that carries a presumption of denial, Ministry of Defense sources said.

»“Any requests from Turkey will continue to be evaluated on a case-by-case basis, but now the highest political levels will have to be more involved in the process,” one MoD official said. Additionally, the official said MoD is not responding, for the time being, to requests from Turkish industrialists to receive technical briefings in Israel by their Israeli counterparts.

»Tentative plans called for MoD to host a visiting Turkish defense industries delegation in the coming weeks, but plans for that visit are now on indefinite hold, he said. “We're not saying no, and we're not saying yes. We hope this crisis will pass quickly and that working relations will resume. But this decision must be made at the higher levels,” the official said. […]

»For their part, Turkish officials and analysts said it would be practically impossible for Israeli manufacturers to win Turkish contracts before the two countries find compromise. “We don't think there would be political will to award defense contracts to Israeli companies as long as relations remain as tense as they are today,” a Turkish procurement official said…»

@PAYANT L’article est notablement clair. Il montre que, désormais, les deux establishments militaro-industriel n’envisagent plus vraiment des relations qui ne soient pas d’abord précédées par une améliorations des relations politiques – laquelle semble bien éloignée. Il n’y a plus de liens spécifiques, ce qui traduit sans aucun doute une rupture de ce qui pouvait être considéré à un moment comme se rapprochant d’une alliance stratégique.

Le sentiment est partagé, en Israël comme en Turquie, ce qui conduit à observer qu’il ne s’agit plus d’une querelle de faction, d’orientation politique d’une faction politique, voire d’un incident d’humeur de la part d’un dirigeant politique, etc. De tous les côtés, les indications montrent qu’une situation structurelle est en train de se mettre en place avec des conséquences en chaîne au niveau des relations stratégiques, militaires et industrielles. Ce sont deux pays qui rompent, qui officialisent leur rupture.

Ce qui est remarquable dans l’article, c’est la sensation qui se dégage d’une espèce d’indifférence des Israéliens (des militaires) devant cette rupture, et une certaine acceptation presque tranquille, non dépourvue d’une certaine arrogance. Les officiels militaires israéliens semblent plutôt assurés, d’abord que la rupture est plutôt de la responsabilité des Turcs, ensuite que ce sont les Turcs qui ont le plus à perdre dans cette querelle. Ce sentiment ressort bien du climat général de l’establishment militaro-politique israélien, à la fois assuré de sa supériorité technologique et militaire, assuré d’un soutien US de toutes les façons, et totalement indifférent pour l’établissement ou la conservation de liens avec l’un ou l’autre pays musulman de la région. C’est la psychologie type “forteresse assiégée”, mais forteresse sûre d’écraser tous les assaillants possibles (bien entendu, on a déjà oublié l'aventure contre le Hezbollah en 2006); qui plus est, une psychologie qui se sent totalement étrangère à la région dans lequel Israël se trouve, voyant dans tous ses voisins des ennemis potentiels, dans tous les cas avec lesquels il est inutile de faire quelque effort sérieux pour s’accommoder. C’est la confirmation que la paranoïa qui s’est établie durant les années Bush, basée aussi bien sur l’hostilité à tout ce qui est musulman d’une part, sur l’arrogance du technologisme propre à la culture-Pentagone dont cet establishment est imprégné d’autre part, est plus que jamais en mode turbo, notamment avec l'arrivée de l'équipe Netanyahou.

En contrepartie, cette situation renforce notablement le pouvoir turc, et donc sa politique, en confirmant que l’establishment militaire turc est de plus en plus éloigné de ses liens traditionnels avec l’axe Israël-Pentagone qui a soutenu pendant des années la menace que ces militaires faisaient peser sur le pouvoir civil. Tout ce qui éloigne la Turquie d’Israël, à cette aune, renforce le pouvoir d’Erdogan et de sa politique novatrice qui prend de plus en plus ses distances des lignes radicales occidentalistes et américanistes.


Mis en ligne le 21 octobre 2009 à 18H44

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