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1582Alors que la bataille déchire Gaza et que l'action d’Israël et les effets de sa politique militaire agressive sont de plus en plus contestés, l’observation d’un fait social et déstructurant important mais assez méconnu prend une dimension intéressante. Un article du Los Angeles Times du 6 janvier 2009 offre une perspective sur le “crime organisé” en Israël, qui semble être devenu un phénomène social majeur.
«Reporting from Jerusalem — His name rhymed with Al Capone and he came to a bad end behind the wheel of a rented white Volkswagen. Until the moment a bomb planted on his car exploded on a Tel Aviv street, mob boss Yaakov Alperon was living large. He and his Carmela Soprano-blond wife, Ahuva, were media darlings who even took part in a 2006 reality show in which a famous Israeli model moved in with their family.
»After her husband's assassination in November, a tearful Ahuva went on Israeli television to plead for an end to the violence. “I'm left with seven orphans,” she said. “I beg you, don't look for revenge.” But as he stood over his father's grave, one of her sons appeared to have vengeance on his mind: “I will send back that person to God,” he said. “He won't have a grave because I'll cut off his hands, head and body.”
»Israelis are fond of saying they “live in a rough neighborhood.” But chances are they aren't talking about what's been happening recently in this country of 7 million. An over-the-top gang war between Israeli crime families, complete with daylight bombings, bystander deaths and the occasional rocket attack, has laid bare the shortcomings of the country's formidable security apparatus. “In many respects we are losing the battle,” said Menachem Amir, a criminology professor at Hebrew University.
»Organized crime blossomed here in the 1980s and '90s while security forces were focused on Palestinian terrorist threats. By the time Israeli authorities truly began to grapple with the problem a few years ago, they faced a sophisticated global network of gambling, prostitution and drug trafficking, with Los Angeles as one of its hubs.»
Le rapport entre cette situation des organisations criminelles et la situation de sécurité nationale, – effort maximal et constant contre différents “ennemis”, essentiellement le “terrorisme”, militarisation de l’Etat, politique axée sur l’emploi de la force, – vient évidemment à l’esprit. Il est largement confirmé par les faits, en plus de la corrélation de date (naissance et développement du crime organisé dans les années 1980).
«Israel is a heavily militarized country where weapons flow freely. While the intelligence agencies and army vigilantly watch the borders for Palestinians intent on carrying out attacks, Israeli criminals use the country's tightknit social connections to steal guns, explosives and antitank missiles from the army. “Why would you bother smuggling weapons into Israel?” Amir said. “Everybody has weapons.”
»The country's mandatory military service also produces a uniquely trained recruiting pool for the mafia. Amir Mulner, a reputed mob boss and explosives expert, reportedly learned his lethal skills in the army. “A lot of Israelis, they get out of the army and they don't have a job. They're for hire,” said Amir, the criminology professor.»
Certains aspects de la situation renvoient à des références typiques pour la technique et les pratiques, que ce soit le crime organisé aux USA (Cosa Nostra), notamment dans la période des années 1940 et 1950, que ce soit la situation en Sicile avec la Mafia omniprésente, la mafia russe, etc.
«Israel's size – smaller than New Hampshire – greatly hinders one of the key aspects of any organized crime prosecution, inducing mid-level mafiosi to turn informant and testify against their bosses. Put simply, Israeli police have been unable to protect their witnesses, and several cases have fallen apart when witnesses either recanted their testimony or were killed. In December 2005, convicted murderer Yoni Alzam was poisoned in his prison cell the day before he was to testify in a mafia trial.
»“If someone gives testimony, the day afterward they will be killed with their family,” said Livneh, head of the nascent witness protection department. “Israel is very good at fighting terror. We have to reach the same level of ability in fighting crime families. The danger is the same.”»
Il s’agit d’un aspect de la situation d’Israël qui est extrêmement peu connu par rapport à l'image que l'actualité nous restitue d'Israël, et qui nous apparaît comme extrêmement spectaculaire quand il est connu. Comme pour le cas de la transformation, de l'américanisation de l’armée israélienne, – Tsahal devenant symboliquement l’IDF, ou Israël Defense Force, – le développement du crime organisé répond au calendrier de l’américanisation d’Israël en même temps que de l’introduction d’une économie libérale qui favorise notamment l’individualisme, l’atomisation de la société, sa fragmentation, etc. L’autre aspect, qui est l’évolution de la nécessité de la sécurité vers l’obsession sécuritaire, c’est-à-dire la bataille permanente contre le terrorisme, puis ”contre la terreur” à l’image de la bataille menée par les USA, avec l’usage de moyens de plus en plus violents et de plus en plus déstructurants, nourrit un contre-coup général à l’intérieur d’Israël. D’une certaine façon, l’illégalité foncière de l’action extérieure d’Israël se retrouve dans l’évolution intérieure; que cette illégalité soit justifiée ou pas importe peu, du moment qu’elle existe d’une façon ouverte, affichée, et qu’elle est quasi-permanente.
Cette évolution qui apparente par certains côtés Israël à un de ces failed states que ce pays s’emploie en général, comme les USA, à considérer avec le plus grand mépris, rejoint finalement celle de tout le système. De même, aux USA, de plus en plus d’aspects et de situations de la société et des infrastructures renvoient au Tiers-Monde. Il y a là une disparité criante et de moins en moins supportable, entre cette réalité découverte d’Israël de l'évolution de la situation intérieure sociale illustrée par celle du crime organisée et les affirmations officielles de ce pays, à la fois des “valeurs” s’apparentant aux valeurs occidentales, à la fois d’un combat extérieur pratiqué impitoyablement pour une cause identifiée par une pression ininterrompue de la communication à la justice et à la liberté. L’impuissance ou l’incompétence des services de sécurité face au crime organisée semblent avoir été renouvelées récemment, selon l’article, comme pour accompagner le regain d'activité agressives extérieures de l'IDF: «[T]oday, the growing confidence and capability of the Israeli police are being badly undermined by their inability to contain a series of violent feuds between the top families – many of them tightknit clans of Arab Jews who emigrated here from Egypt and Morocco. The string of public shootings, bombings and rocket attacks has killed and wounded dozens of bystanders.»
Il est possible que certains estiment que les actions menées par l’IDF, comme à Gaza actuellement, contribuent opérationnellement à la sécurité d’Israël. Même ce fait est très fortement contestable, on peut admettre qu’il soit débattu. Ce qui nous semble par contre indiscutable, c’est que cet usage forcené de la violence au mépris des règles et des structures légales a fortement relativisé la perception des citoyens israéliens de leur cadre intérieur légal et de sa nécessité, et a constitué un cadre bien adapté pour accueillir le développement du crime organisé. Le concept de failed state, ou éventuellement de failed nation, se développe encore plus par la psychologie que par les faits sociaux.
Mis en ligne le 12 janvier 2009 à 13H00
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