Israël, le destin du JSF et l’attaque contre l’Iran

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Dans le détail de la catastrophe générale qu’est le programme JSF, il y a divers domaines différents dans lesquels on peut ranger par importance les différentes (mauvaises) nouvelles possibles. Dans le domaine des commandes non-US (les pays coopérateurs), la commande israélienne est en première ligne. Lockheed Martin et le Pentagone l’espèrent la plus rapide possible, pour donner une impulsion et un signe de confiance au reste du troupeau non-US.

• Le Jerusalem Post (le 8 mars 2010) annonce qu’Israël a sans doute décidé d’un délai d’au moins un an par rapport à une prévision de commande pour ce mois-ci, – laquelle commande était d’ailleurs, elle-même, fort nébuleuse et avait déjà été remise à plusieurs reprises. Cette fois, l’annonce du délai israélien est directement lié à l’annonce, à Washington, que le programme est officiellement retardé de deux ans, et une visite du chef d’état-major israélien au Pentagone depuis dimanche est directement liée à cette affaire.

«One top IDF officer told The Jerusalem Post on Sunday that the Defense Ministry was unlikely to sign a letter of agreement (LOA) with the Pentagon before the end of 2010. “Everything now appears to be pushed off by at least a year,” the senior officer said.

»On Sunday night, IDF Chief of General Staff Lt.-Gen. Gabi Ashkenazi flew to Washington for talks with top Pentagon officials. Ashkenazi plans to speak with his American counterpart, Adm. Michael Mullen, and other Pentagon officials about the delays in the production of the JSF and how it will affect the IDF.»

Le Post ajoute que des bruits sérieux courent selon lesquels Israël pourrait abandonner le JSF au profit d’une commande supplémentaire de F-15. (La commande israélienne de JSF porte en théorie sur 25 avions en une première phase, plus 50-75 dans une seconde.)

«Israel had planned to order a first squadron of 25 jets within the coming months and to procure another 50 by the end of the decade. Due to the delays, some IAF officers are calling for a review of the procurement plans and to consider the possible purchase of additional F-15Is made by Boeing Company. Israel already has a squadron of F-15Is that are capable of carrying massive amounts of weaponry and flying long distances, including to Iran.

»“There is some thought in this direction,” a top IAF source said recently. “Based on the development requirements, the F-35 is supposed to be a more advanced plane primarily since it is stealth, but delays in the production have led to new thinking within the IAF.”»

• Une autre dépêche, de UPI, en date du 5 mars 2010 et venue de Washington, annonçait l’évolution des choses dans le même direction. Elle lie plus précisément la nouvelle aux capacités nécessaires aux Israéliens pour la possibilité d’une attaque contre l’Iran. Cette dépêche parle également d’un possible abandon de la commande, cette fois au profit du F-15 Silent Egale (F-15SE), une version avancée du F-15 avec des capacités de furtuvité.

«But the F-35 problems could mean that the upgraded F-15 Eagle, with radar-evading stealth capability, which Boeing has been touting as an alternative to the costly F-35 could find its prospects enhanced as far as Israel is concerned. Boeing says it can start delivering in 2011 at a cost of $100 million per jet, significantly undercutting Lockheed Martin on cost and delivery.»

Notre commentaire

@PAYANT Pour diverses raisons, notamment des raisons de réputation et de prestige opérationnels et des raisons de proximité entre les USA et Israël, la commande israélienne est considérée par le Pentagone et LM comme prioritaire. Elle devrait constituer une affirmation tonitruante de la confiance dans la réussite du programme JSF d’une force aérienne non-US prestigieuse, et les USA comptaient sur leurs liens avec Israël pour l’obtenir rapidement. Des obstacles considérables sont apparus ces deux dernières années, – le prix de l’avion d’une part, les restrictions draconiennes des USA sur la technologie des USA d’autre part (avec une quasi-interdiction faite aux Israéliens d’introduire certains éléments de leurs propres technologies dans l’avion). Mais l’évolution catastrophique du programme aux USA devenue officielle ces dernières semaines a supplanté tout cela, et notamment l’annonce officielle d’un délai de deux ans du côté US. Les Israéliens avancent maintenant cet argument pour reculer leur engagement, peut-être, dans tous les cas chez certains militaires de plus en plus réticents vis-à-vis de l’avion, pour disposer d’un argument impératif pour résister aux pressions US et abandonner le JSF. L’affaire est désormais présentée par les Israéliens comme un impératif de sécurité nationale, le délai mettant en danger leurs capacités militaires en général.

A ce point, le jeu devient plus complexe. L’affaire du JSF se complique de la question des intentions israéliennes d’attaquer l’Iran ou d’être prêt à le faire, pour lesquelles ils ont, disent-ils, besoin d’un renforcement de leur aviation militaire (le JSF, et même un autre avion comme le F-15SE s’ils décidaient d’abandonner le JSF). Le Pentagone, Mullen en l’occurrence, se trouve alors dans une situation plus complexe. Mullen est un opposant résolu à toute initiative israélienne contre l’Iran, et l’on peut considérer que la fourniture d’avions, retardée selon la situation présente, est un moyen de pression sur Israël. Dans ce cas, Mullen devrait insister encore plus pour qu’Israël reste dans le programme JSF, non seulement pour le programme lui-même mais parce que le délai affaiblit Israël et diminue les chances d’une attaque. On peut imaginer que de nouveaux délais du JSF, d’ailleurs très probables d’ici 2015 (date théorique de livraison des premiers avions à capacités opérationnelles limitées, avant une capacité opérationnelle complète en 2019), deviennent un moyen pour encore mieux “tenir” Israël; la situation devient alors presque rocambolesque en considération de délais d’une telle longueur…

En effet, l’on parle ici de dates comme 2015 ou 2019 (ou 2013-2014 pour le F-15ES, si les Israéliens choisissaient cette option) alors qu’on parle par ailleurs de l’imminence d’une attaque israélienne, depuis quelques semaines, à propos de laquelle Mullen est décidé à tout faire pour l’empêcher. L’affaire est alors encore plus complexe qu’on la décrivait précédemment. Les Américains jouent à fond sur l’affirmation que les Israéliens n’ont pas les capacités opérationnelles de lancer une attaque, qu’ils désapprouvent totalement de l’autre point de vue de l’approche politique. Ils tentent de convaincre les Israéliens qu’ils ne peuvent rien faire sans de nouveaux matériels et insistent pour que ce soit le JSF, ce qui nous reporte en 2015-2019, au mieux!

(Encore ces dates sont-elles pour l’USAF, et les Israéliens estiment qu’ils seront servis après l’USAF, au moins dans un délai de deux ans, parce que l’USAF ne peut envisager d’équiper une autre force aérienne d’un nouvel avion en même temps qu’elle, – l’argument a été avancé du côté israélien. Il est d’ailleurs faux puisque cette simultanéité a existé avec le F-16, les quatre premiers pays acheteurs du F-16 [La Belgique, la Hollande, le Danemark et la Norvège] ont reçu leurs premiers avions en même temps que l’USAF, en 1979. Il est possible que, pour les appâter, le Pentagone offre aux Israéliens une livraison simultanée USAF-Israël. De toutes les façons, vu l’état du programme, ils ne prennent pas des risques considérables, notamment si, un jour, il fallait choisir une alternative au JSF qui aurait disparu corps et bien…)

L’on voit l’importance considérable de cette affaire qui interfère sur deux domaines complètement différents: le programme JSF et la crise avec l’Iran. Le JSF peut y jouer un rôle étrange, si les USA arrivent à convaincre les Israéliens, notamment par pressions diverses, de rester dans le programme, et s’ils arrivent à les convaincre que ce programme est vital pour leur puissance. Les retards du JSF, voire pire encore, deviendraient un étrange moyen pour le Pentagone de contrôler Israël dans ses divers projets d’aventures guerrières, essentiellement contre l’Iran. Plus le JSF a du retard, – ce qui semble de toutes les façons inéluctable, à notre sens bien au-delà de 2015, et encore si le programme ne s’effondre pas, – plus Israël serait tenu dans ses projets…

D’un autre côté et inversement, cette situation, si les Israéliens sont convaincus de la nécessité de leur rééquipement et voient ces délais s’allonger d’une façon inquiétante, peut pousser ces mêmes Israéliens à une action très rapide contre l’Iran, comme il en est question en ce moment. Pour eux, ce serait profiter de ce qu’on nomme “une fenêtre d’opportunité”, pendant laquelle ils estiment avoir encore la supériorité, – et, surtout, bien entendu, leur plan étant d’entraîner les USA avec eux dans cette attaque. Toutes ces différentes spéculations sur les capacités militaires sont effectivement des spéculations, faites par des généraux complètement infectés par le mythe de la puissance technologique, et ne nous disent rien des véritables perspectives opérationnelles. Mais, en l’occurrence, ce sont les généraux qui pensent et qui influencent les politiciens, et l’on est obligé de tenir compte de ces arguments sur la puissance, la technologie, etc., qui se sont avérés tant de fois complètement erronés et déplacés. Même si nous ne nous dissimulons pas une seconde que leur réalité est faussaire, nous raisonnons à partir de cette réalité faussaire parce que c’est à partir d’elle qu’une décision d’attaque de l’Iran pourrait être prise.

Quoi qu’il en soit, voilà bien le JSF installé dans une nouvelle situation. Il a un effet direct sur une situation de crise ou de guerre. Le paradoxe, – un de plus, là où il n’en manque pas, – est que son catastrophique développement peut devenir, dans certains cas, un moyen efficace de “tenir” Israël. Il s’avérerait alors que le JSF sert bien à quelque chose, surtout s’il ne sert à rien…


Mis en ligne le 9 mars 2010 à 09H34