Israël: un allié discret de la Russie

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“Israël, un allié discret de la Russie”

Nous empruntons au site Mondialisation.ca, cet article du professeur Yakov M. Rabkin, du 5 décembre 2014. (Rabkin est professeur d’histoire à L’Université de Montréal ; son dernier ouvrage est Comprendre l’État d’Israël, Écosociété, 2014.) Le thème est celui des relations entre Israël et la Russie dans le cadre de la crise ukrainienne et de la tension entre la Russie et le bloc BAO. Cet article est déjà daté, mais il examine le problème considéré sur le fond et reste donc parfaitement d’actualité pour ce qui est de la tendance. Il confirme, pour notre compte, deux remarques.

• La première concerne l’importance, à laquelle nous avons accordée une grande place, des relations très spécifiques, très “particulières”, entre Israël et la Russie, notamment (mais pas seulement) dans le cadre de la crise ukrainienne. (Voir notamment le 12 avril 2014 et le 17 septembre 2014.) C’est effectivement la crise ukrainienne qui est le centre et l’occasion de réflexions sur ces rapports “particuliers”, mais il est évidents que ces rapports sont spécifiques aux deux pays et concernent tous les problèmes et les crises qui les concernent, qu’ils soient dans des positions d’opposition ou dans des positions de convergence. On sent, et l’on constate, qu’il y a toujours des tractations possibles entre les deux pays, fondées sur cette particularité de leurs relations qu’on peut qualifier d’ontologique

• Indirectement, ce fait des relations entre les deux pays confirme une fois de plus la mécanique très particulière du pouvoir washingtonien, sa compartimentalisation, l’impossibilité de poser des jugements généraux sur la situation politique et donc de réellement définir une politique, – c’est-à-dire, au bout du compte et tenant compte de la corruption psychologique et de la nullité culturelle des hommes de pouvoir (parlementaires, fonctionnaires, etc.), l’impuissance et la paralysie politiques qui en découlent. On trouve par conséquent des situations pleines de contradiction dans ce cas où se mélangent les rapports USA-Israël, USA-Russie er Israël-Russie. Ainsi, la politique US, totalement sous l’empire du lobby sioniste (AIPAC) pour certains problèmes spécifiques, a une politique antirusse hystérique presque complètement contraire à la position d’Israël vis-à-vis de la Russie (voir notamment le 14 avril 2014). On est loin, très loin, de la possibilité de définir la grande politique des USA (grande quantitativement, ou “surpuissante”, incroyablement basse dans sa qualité), ou plus précisément et justement du Système, d’une façon générale et précise, et particulièrement dans ce cas avec les deux pays en question, – Israël et la Russie, – et les contradictions sans nombre de leurs connexions diverses.

L’article du professeur Rabkin permet de fixer un arrière-plan général qui offre une documentation supplémentaire pour mieux sentir et comprendre un aspect de cette complexité, celui qui concerne les relations entre Israël et la Russie. Il s’en déduit aisément qu’on ne peut donner une seule explication, ou une explication centrale à une grande politique générale de telle puissance (notamment des trois pays concernés), – par exemple, l’impossibilité de donner une seule explication centrale à la politique US dans des domaines essentiels oùIsraël est concernée, celle de l’influence considérable du lobby sioniste. Tout cela constitue le terrain rêvé, du côté US, pour la domination complète, l’annexion complète de la politique US par la politique-Système, situation effective et incontestable, puisqu'aucune puissance, fût-ce celle de l'influence du lobby sioniste, ne peut être considérée comme absolue. Au reste, l'explication peut aussi bien être inversée, et on peut même dire qu'elle doit l'être : c'est la politique-Système, qui a mis l'entièreté de la dynamique politique US à son service, qui empêche cette situation.

dedefensa.org


Israël: un allié discret de la Russie

«Depuis qu’ont commencé les sanctions occidentales contre la Russie, je vois beaucoup de produits alimentaires israéliens dans les magasins. L’avocat, le radis, la carotte, la pomme de terre – tout vient d’Israël», m’a assuré un ami moscovite avec qui je viens de parler au téléphone. Je voulais avoir un témoignage oculaire de ce qu’avait annoncé le ministre israélien d’agriculture Yaïr Shamir. Il avait promis d’occuper sans tarder la part du marché russe qui appartenait auparavant aux compagnies européennes. Israël, lui aussi, subit des sanctions de la part de l’Union européenne qui veut ainsi restreindre la colonisation israélienne des territoires conquis en juin 1967. Il est donc logique qu’Israël ne soit guère motivé de suivre les Européens dans ses relations avec la Russie.

Si “la relation spéciale” qu’Israël entretient avec les Etats-Unis est bien connue, ses rapports avec la Russie n’en sont pas moins particuliers. Le projet sioniste à la base de l’actuel État d’Israël était mis en pratique au début du dernier siècle largement par des ressortissants russes. Ils ont formé les premières élites, et la présence russe dans les cercles dirigeants de l’État sioniste reste importante. Le président de la Knesset est né en Ukraine et a grandi en Russie soviétique, le président de la commission parlementaire des relations extérieures est également soviétique d’origine, le ministre des affaires étrangères, lui aussi, est issu de l’ancienne URSS. Israël abrite la plus grande diaspora russophone, plus d’un million de personnes. Des dizaines de vols quotidiens lient Israël à toutes les grandes villes de la Russie. Il y a quelques années les deux ont aboli l’exigence du visa, ce qui a grandement contribué au volume touristique. Le président russe a inauguré à Netanya, au bord de la Méditerranée, un monument aux soldats soviétiques dont plus de vingt millions sont morts dans la Seconde guerre mondiale. Par ailleurs, Poutine y a trouvé son institutrice d’école qui avait émigré en Israël de sa Leningrad natale et lui a offert un appartement qui convient à son âge et l’état de santé. Il n’est pas étonnant que Vladimir Poutine ait remarqué : «Israël, c’est un peu la Russie».

Mais au-delà de la langue, des anecdotes et des sentiments, il y a des intérêts communs qui lient les deux pays. Même si Israël a profité considérablement du démantèlement de l’Union soviétique, jadis un allié des pays arabes hostiles à Israël, il est depuis plusieurs années mal à l’aise avec la dépendance des Etats-Unis et ses remontrances occasionnelles. C’est dans l’effort de réduire cette dépendance et de diversifier ses appuis à travers le monde qu’Israël, puissance militaire et nucléaire redoutable, a tissé des liens stratégiques avec trois puissances nucléaires indépendantes : la Chine, l’Inde et la Russie. Ces liens ne se limitent pas à l’exportation des légumes. Israël et la Russie ont fabriqué ensemble des drones fournis à l’armée indienne, la Chine a utilisé l’expertise israélienne dans la réforme de l’Armée de libération populaire, et l’équipement israélien de sécurité a servi lors des Jeux olympique à Sotchi. Gazprom, le géant d’hydrocarbures, a signé plusieurs contrats avec Israël et avec les Palestiniens qui se trouvent sous le contrôle israélien. En considérant les intérêts régionaux d’Israël, la Russie a annulé la vente de son système de défense anti-aérienne S-300 à l’Iran. Les avantages paraissent donc réciproques et équilibrés.

La position d’Israël dans la crise actuelle en Ukraine est des plus prudentes. Le représentant israélien à l’Assemblée générale de l’ONU s’est absenté du vote qui condamnait la Russie pour l’annexion de la Crimée. Quelques mois plus tard, Israël a voté avec la Russie – et contre les Etats-Unis – en appuyant, toujours à l’ONU, la résolution condamnant la résurgence du nazisme. En plus, des activistes israéliens de l’extrême droite appuient avec enthousiasme la politique de la Russie, le font sur les ondes de la radio et de la télévision russe, et s’opposent aux sanctions occidentales. Certains ont même proposé aux autorités du Donbass de leur envoyer une unité de soldats bénévoles israéliens. Sur ce plan, la droite israélienne se trouve alignée à la droite internationale, dont le Front national en France et les partis de la coalition gouvernementale en Hongrie. La Russie, à son tour, semble accepter de fait la colonisation israélienne des territoires occupés en 1967. Ainsi, les représentants officiels russe et israélien ont signé à Ariel, ville érigée sur des territoires palestiniens et réservée aux Israéliens non-arabes, un accord important de collaboration en matière d’innovation (Skolkovo).

La Russie jouit ainsi d’une alliance discrète mais importante avec Israël. Cette alliance se reflète dans l’opinion publique. Les sondages montrent que les citoyens russes en majorité appuient Israël et cet appui s’est renforcé depuis quelques années. Bien entendu, les deux pays sont conscients des limitations de cette alliance et maintiennent leurs options ouvertes, la Russie dans dossier nucléaire iranien, Israël dans ses rapports complexes avec les nationalistes ukrainiens. Mais il est indéniable que les relations entre la Russie et Israël influent sur deux zones d’importance majeure pour les Etats-Unis et ses alliés occidentaux : le Moyen Orient et l’Europe de l’est.

«The problem is that the Washington elite depends primarily on mainstream television and on the three newspapers: The New York Times, Washington Post and Wall Street Journal. Our point of view never, since last February, when the crisis began, has appeared on their opinion pages, never. We’ve been excluded. Jack Matlock hasn’t been there, professor Mearsheimer hasn’t been there, my articles have been rejected. I’ve never seen this before in America, this is something very strange to me, because newspapers used to like controversy, but on this issue, they seem to have convinced themselves there’s only one point of view.» (Stephen Cohen on RT, le 5 octobre 2014)

Yakov Rabkin