Israéliens indignés, – eux aussi…

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Aljazeera.net, dépendant de la fameuse station TV à la réputation un peu ternie ces derniers mois par une politique éditoriale qui épouse un peu trop les intérêts politiques des dirigeants qataris, se rattrape lors qu’il s’agit d’Israël. Ce qui a fait avec une couverture très détaillée des événements intérieurs d’Israël, dont on a commence à avoir un écho depuis les deux dernières semaines, et qui, depuis samedi, commencent à figurer d’une façon intéressante sur le scène de la communication, – à la rubrique, assez inattendue pour Israël, des “indignés”, nom désormais générique de la colère confuse mais clairement antiSystème des populations civiles.

D’abord, Aljazeera a consacré, le 1er août 2011, un programme TV au thème inattendu de «Has the Arab Spring arrived in Israel?». La présentation du programme résume le propos immédiat de l’agitation nouvelle dans les rues israéliennes, suivi des bonnes questions…

«More than 100,000 people took to the streets of 11 cities in Israel on Saturday to protest against the spiralling cost of living in the country. Protesters at the largest gatherings, in Tel Aviv, Jerusalem, Be'er Sheva and Haifa, chanted “the people demand social justice” and “we want justice, not charity”. […] On this episode of Inside Story, we ask: Has the Arab Spring reached Israel? What are its root causes? Is it likely to affect Binyamin Netanyahu's grip on power? What impact will it have on Arab-Israelis?»

Une très longue analyse d’Aljazeera.net a été également consacré à ces évènements d’Israël, le 31 juillet 2011. Elle met en évidence les caractères essentiellement intérieurs, sociaux, du mouvement, mais aussi des caractères qui ont une logique générale dépassant les frontières et s’inscrivent de facto, – surprise, surprise, – dans une dynamique transnationale qui implique une opposition au Système en général ; qui pourrait effectivement s’inspirer du soi disant “printemps arabe”, et s’inscrire éventuellement dans la structure de chaîne crisique de cet événement (en même temps certes que le mouvement dit des “indignés”, en Grèce, en Espagne et ailleurs).

«Before summer, the prime minister of Israel was riding high, with an approval rating higher than 50 per cent. Though this threatened to be a long hot summer, there has been no war, third intifada or attack on Iran. Admired at home for “standing up” to the US president in Washington, Binyamin Netanyahu is now being stood down by the common man on the streets of Tel Aviv. The latest survey of public opinion in Israel shows Bibi's popularity, at 32 per cent, has taken a dive due to rapidly escalating housing protests.

»In the aftermath of feared Nakba, Naksa, Flotilla II and Flytilla protests on which the media and the defence-oriented, right-wing government had been fixated, tent cities have sprung up in dozens of locations around the country. […]

»Tent cities have sprung up just 60 days before Palestinian envoys take their case to the world body at its annual gathering in New York. But top figures in the somewhat leaderless popular protest movement, as well as Israeli and Palestinian officials, are loath to conflate an internal Israeli problem with the Palestinian question.

»At Saturday's massive rallies – billed by the Ma'ariv daily “150,000 in largest social protest in the history of the country” – an unprecented number of Israelis marched across the country. Ordinary citizens expressed a sense of communal euphoria, and a glowing pride in the size of the new movement. They also chanted anti-Netanyahu refrains louder than the week prior on July 23.

»For several weeks, grassroots protesters from Tel Aviv and Jerusalem to Ashdod and Kiryat Shmona have been camping out in city centres and blocking streets. Marching on the prime minister's residence and chanting “Bibi Habayta” [“Bibi, go home”] and “Netanyahu dégage” was unthinkable just last month, so the ruling coalition is looking increasingly vulnerable.

»The problem uniting protesters hinges on real estate – a lack of urban housing at decent prices. That and the issue of the basic standard of living, tied to soaring costs for all sorts of goods, has energised previously apolitical citizens to clamour for change, united by a common sense of feeling ripped off. The rhythmic Hebrew slogans used at many of the protests are strikingly similar to punchy Arabic lines that have reverberated throughout the Middle East since January: “Ha'am doresh / tzedek chevrati” [“The people demand social justice”].»

On trouve également dans ce texte un aspect intéressant qui est une spéculation sur les rapports, au niveau du système de la communication, donc de la dynamique du mouvement et de son poids politique par conséquent, entre ces événements intérieurs et les événements de sécurité nationale. La vigueur des premiers dépend de l’effacement des seconds et, sans aucun doute, jugent certains, vice-versa. C’est un aspect très spécifique d’Israël, où les questions de sécurité nationale ont une importance qui n’a d’équivalent dans aucun autre pays. D’autre part, existe un cas rarissime où, au contraire, les événements intérieurs et un évènement de sécurité nationale pourraient additionner les effets, comme le note encore le texte de Aljazeera.net : les événements intérieurs en cours et la possible proclamation unilatérale d’un Etat palestinien.

«With calm borders, many commentators suggest the press needed a new focus, and protesters have the political space they need so as not to be accused of harming national security. Bibi's twin nightmares – a growing domestic housing crisis and the imminent push for Palestinian statehood at the UN in September – threaten to merge internal and external forces into a political colossus.

»“If another intifada or a serious security flare up happens, then the [housing protests] could all end very quickly,” the Jerusalem Post's Hartman says. “The duration of the protests just depends on whether a serious enough 'foreign policy' crisis distracts the media.”»

Nous avons nécessairement pris l’habitude de considérer Israël comme un avant-poste stratégique, pour le meilleur et pour le pire selon le sentiment qu’on en a, et pas comme un pays comme un autre. Cette habitude fait penser que le seul débat possible est de type sécurité nationale. De même, elle fait considérer comme seule opposition sérieuse à l’actuelle équipe en place, et au “parti de la guerre” israélien, une poussée pacifiste comme il y eut au début des années 1990, directement liée, là encore, à la situation de sécurité nationale. Les nouvelles de ces derniers jours mettent brusquement en question cette conviction. Elles nous font envisager que les Israéliens sont aussi sensibles aux questions civiques en général, y compris économiques, c’est-à-dire, dans le climat actuel et les circonstances présentes, les questions liées à l’application dévastatrice du Système dans les conditions intérieures. Soudain apparaît la possibilité qu’Israël soit un pays comme un autre, avec le développement d’une puissante opposition, au niveau de l’opinion publique, contre les conditions de vue imposées par le Système. (On ajoutera à cela qu’Israël est d’autant plus “un pays comme un autre” qu’il fut considéré jusqu’ici comme ne l’étant pas, y compris par les forces économiques prédatrices, qui s’y sont développées dans ce qu’elles croyaient être une totale impunité, – pressions de sécurité nationale oblige, – jusqu’à faire de ce pays un compromis entre une structure mafieuse et “Etat failli”.)

Il s’agit d’un développement potentiellement très important, confirmant le renversement de tendance qui s’opère depuis 2007-2008 au niveau des structures internationales. De 2001 à 2007, il y eut donc la politique extérieure imposée par la direction US, avec Israël comme supplétif, à la suite de l’attaque 9/11 (politique notamment exprimée sous forme de la fameuse “politique de l’idéologie et de l’instinct”, qui vient d’ailleurs de plus loin que de 2001 et de 9/11). Ce courant a été frappé à mort, d’abord par la crise de l’automne 2008, puis en 2010 par le basculement vers les crises eschatologiques (notamment celles qui sont liées à la crise environnementale). Le phénomène de la chaîne crisique démarré en décembre 2010 a renforcé cette évolution. Depuis cette période, la politique extérieure belliciste des années 2001-2007 est devenue erratique, incohérente, plongée dans un désordre profond que toutes les thèses complotistes du monde ne parviennent plus à organiser et à présenter comme des effets des forces dissimulées. L’élément israélien apparu ces derniers jours constitue alors un facteur considérable qui, s’il est poursuivi et devient structurel, achèvera de boucler complètement l’épisode 2001-2007. Il aura d’autant plus d’importance que des répercussions considérables se feraient sentir, en réaction indirecte, notamment des effets sur les pressions internes du lobby israélien à Washington, par conséquent affaiblissant les derniers pans de la politique de 2001-2007 aux USA.

On comprend, – le texte le dit d’ailleurs clairement, – qu’il s’agit d’un danger terrible pour Netanyahou et toute sa clique. Un tel mouvement est une possibilité sérieuse qui peut mettre en question le carcan terroriste où la direction israélienne tient la population, lui imposant une cohésion interne à toutes forces sous le prétexte des menaces pesant sur la sécurité nationale, – les pays arabes, le terrorisme, la bombe iranienne, la dialectique de l’Holocauste et le reste. Il existe même cette occurrence où le mouvement interne israélien peut ressurgir sur la politique extérieure, mais d’une façon constructive, si une relation de renforcement mutuel est trouvé avec la poussée palestinienne pour un Etats indépendant de septembre prochain. C’est ce que le texte d’Aljazeera.net désigne comme le “scénario de cauchemar” de Netanyahou. A l’inverse, on peut évidemment envisager que cette situation intérieure sera nécessairement un argument de plus pour que Netanyahou cherche une diversion en politique extérieure, par un acte brutal ou l’autre (mais on pense surtout à une attaque contre l’Iran). Simplement, la manœuvre présente des faiblesses évidentes, puisqu’une dénonciation du danger de l’Iran sera de plus en plus perçue, justement, comme une manœuvre de diversion (cela, d’autant plus qu’il y a eu l’intervention de l’ancien chef du Mossad Dagan contre cette attaque).

Mais ceci, sous forme d’hypothèse que suggèrent les évènements israéliens, est certainement le plus important… Si, dans les meilleures conditions envisageables, on pouvait assister à un rapprochement entre Israël et les pays arabes de la région par le biais d’oppositions populaires de même nature, on arriverait à la potentialité d’une situation extraordinaire. Le problème du Moyen Orient et le problème israélien évolueraient non pas à cause de l’évolution des problèmes spécifiques vieux de plus d’un demi-siècle, mais à cause des problèmes causés par le Système, par le biais de la globalisation et du reste, et qui seraient ainsi nouvellement réalisés. Il s’agirait d’une véritable intégration de cette région dans la problématique de la crise centrale du Système qui, derrière l’écran des vieilles problématiques géopolitiques qu’on voudrait prolonger à toute force, déchire en vérité ce début du XXIème siècle.


Mis en ligne le 2 août 2011 à 11H08