J-20, F-22 et F-35 (JSF) – dilemmes, dilemmes…

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D’une part, il y a une étonnante et impudente offensive de promotion du JSF à la lumière de l’apparition du J-20 chinois. Les contradictions sont grandioses : ou bien le J-20 n’est pas du tout ce que l’on dit qu’il est (théorie du “leurre”) et alors ce n’est certainement pas un argument pour acheter le JSF, ou bien le J-20 est bien ce qu’il prétend être et il vaut mieux ne pas choisir le JSF qui sera balayé par le J-20.

Qu’importe, la machine RP (Relations Publiques de LM (Lockheed Martin) a réagi comme on devait s’y attendre et a enfourché l’argument (voir le Wall Street Journal du 18 janvier 2011 : «New evidence of China's military buildup has spurred interest in sales of the U.S.'s next-generation F-35 Joint Strike Fighter, U.S. defense and industry officials said»).

Les “alliés” embarqués dans le JSF et qui, au travers de certaines courroies de transmission de Washington, cherchent à tout prix à justifier cet engagement, ont sauté sur l’occasion. C’est le cas du ministre britannique de la défense Liam Fox, qui a signé une nouvel accord de défense du Royaume-Uni avec l’Australie et a exalté le JSF… (Dans China Military Power Mashup, le 18 janvier 2011.)

«U.K. Secretary for Defense Liam Fox emphasized Tuesday the importance of the next generation U.S. F-35 Joint Strike Fighter to counter China's development of its own stealth jet, after Britain and Australia agreed to strengthen defense cooperation in Asia during talks in Sydney. “Clearly if we don't have the equipment others have, we would put ourselves at a potential disadvantage,” Mr. Fox said in response to questions following the signing of the strategic pact. “That's why we are very committed to the Joint Strike Fighter, the F-35, because it does have the sort of fifth generation stealth technology we are likely to need in the future… »»

• Tout cela se passe dans un monde. A côté, il y a un autre monde, qui est celui des catastrophes affectant le programme JSF. Un texte de DailyTech.com du 19 janvier 2011, qui cite également un texte de Defense News du 18 janvier 2011, détaille les problèmes que cite le plus récent rapport du directeur OT&E (Operational Test & Evaluation), déjà cité d’une façon plus succincte par Bill Sweetman. Les détails sont significatifs de l’état du programme.

«According to a report compiled by the Pentagon Director of Operational Test and Evaluation, the F-35 aircraft all suffer from various problems with handling, avionics, afterburner, and the helmet-mounted display systems. The F-35A and F-35B variants are specifically said to suffer from “transonic wing roll-off, [and] greater than expected sideslip during medium angle-of-attack testing” according to the report. The report also notes that many of the components being used in the aircraft are not as reliable as expected. […]

»One key problem that is common on the aircraft is an issue described as afterburner “screech” reports Defense News. Apparently, the F-135 engine provided by Pratt and Whitney has a problem where airflow causes severe vibrations that prevent the engine from reaching maximum power. The helmet-mounted display system in the aircraft is also having issues, but the report doesn't delve into this exact problems. […]

»The report also mentions an issue with the aircraft’s onboard inert Gas Generation System that helps prevent oxygen from building up inside the fuel tanks where it becomes a fire hazard. The report recommends a redesign for the system.»

Le rapport du directeur de l’OT&E du Pentagone représente un pas de plus dans l’évaluation de l’état catastrophique du programme JSF, et laisse présager de nouveaux délais et de nouvelles augmentations de coût si la ligne modérée est suivie, ou des appréciations plus radicales contre le programme si le Pentagone change de politique vis-à-vis du JSF après le départ de Gates possible dans les semaines qui viennent. Une indication sérieuse est l’annonce par le secrétaire à l’Air Force du lancement d’un grand programme de modernisation d’une partie de la flotte des F-15 et des F-16 à partir de l’année fiscale 2012, pour allonger la vie et les capacités opérationnelles des avions traités jusqu’en 2020-2025. (La modernisation est estimée plus de $25 millions par F-15, variant selon les versions, et à $9 millions par F-16.) Il s’agit d’une indication selon laquelle l’USAF commencerait à craindre de ne pas disposer de JSF opérationnels d’une façon substantielle et efficace, si elle en dispose, avant cette période (2020-2025). Bien entendu, ces mesures de modernisation n’empêchent pas de considérer d’autres alternatives au JSF, plus radicales et prenant en compte la possibilité d’un effondrement du JSF.

• Les problèmes du JSF sont fondamentaux, sans nul doute, mais, pour certains commentateurs, aucun n’égale les capacités opérationnelles inhérentes à cet avion de combat. Ces capacités sont jugées, par ces commentateurs, complètement insuffisantes face aux nouveaux avions de combat russe et (surtout, surtout) chinois. Un texte significatif à cet égard est celui de Daniel Goure, président du Lexington Institute, pourtant temple de la défense du JSF avec Loren B. Thompson. «Bring Back The F-22», titre Daniel Goure le 18 janvier 2011. C’est une apologie d’une relance du F-22, avec une mention discrète et à peine favorable au JSF («In view of the new appreciation of the threat it is time to bring back the F-22. Recent war games by Western think tanks have concluded that the projected U.S. tactical fighter force would be overwhelmed by the sheer number of less capable third and fourth-generation Chinese fighters. Add in the J-20 and the outlook for the U.S. military becomes decidedly bleak. Even when the F-35 Joint Strike Fighter is deployed this will not provide the U.S. with enough offensive capability given the limited number of F-22s that will be combat capable.»)

On se permettra de penser que ce n’est pas un hasard si ce texte est repris par un site israélien, Defense Update, le 19 janvier 2011, sous un titre encore plus énergique («Bring Back the F-22 !»), et avec une foule de commentaires dont certains viennent manifestement d’officiers de la force aérienne israélienne, en faveur du F-22 et contre le F-35. Cette prise de position de Goure, dans un institut qui vit grâce aux subventions de Lockheed Martin, n’est pas loin d’illustrer la possibilité d’un changement de stratégie de LM, ou, dans tous les cas, d’une partie de LM qui serait favorable à une reprise du F-22 (produit LM également), fût-ce, – comme ce le sera nécessairement, – aux dépens du F-35… (Que cela soit contradictoire avec l’offensive RP en faveur du JSF contre le J-20 n’a strictement aucune importance. Nous n’en sommes pas à une contradiction près dans l’univers fantasmagorique et virtualiste de la communication autour du JSF, et d’ailleurs chacun se bat pour sa survie dans cette affaire. LM n’aurait aucun scrupule, bien entendu, à pousser le JSF comme huitième merveille du monde tout en préparant sa “dégradation”… L’idée est qu’il y aurait toujours quelques “idiots utiles”, – UK, Australie, Canada, – pour l’acheter dans des conditions abracadabrantes, – et qu’il faut dans tous les cas alimenter la pression dans ce sens.)

Ce dernier point des rapports conflictuels entre F-22 et F-35 est des plus intéressants. Notre appréciation est que la question va se poser de plus en plus douloureusement et de façon pressante à LM : ne vaut-il pas mieux “dégrader” l’image d’un programme de toutes les façons catastrophiques (le JSF), en faire un avion de seconde classe, sinon de seconde ligne, en relançant le F-22 comme pilier central de la force aérienne US, plutôt que risquer un effondrement du JSF en continuant au rythme actuel, où les erreurs, les insuffisances et les décisions erronées conduisent réellement à un risque d’effondrement du programme et à son abandon ? Il est manifeste que les militaires israéliens, par exemple, sont complètement de cet avis.

Par contraste absolument stupéfiant, les trois pays anglo-saxons coopérants, – les Britanniques (mais avec une commande réduite), les Australiens et les Canadiens, – continuent, seuls, à jouer la carte JSF à 100%. (“Seuls”, y compris par rapport aux autres pays coopérants, remarquablement discrets et dans l’expectative.) Il y a quelque chose d’absolument surréaliste dans cette attitude, et d’incompréhensible sinon par l’ignorance complète des politiques (des ministres de la défense, sélectionnés pour cela) au profit d’un suivisme idéologique aveugle mais de plus en plus mal informé, et par le conformisme absolument aligné, mais lui aussi bien mal informé, des establishment militaire respectifs. Personne, dans aucun de ces trois pays, n’a l’air de comprendre que le JSF n’est plus “le” choix américaniste obligé de leur soumission habituelle, mais “un” choix américaniste parmi d’autre(s) possible(s), et qui est de plus en plus contesté, lui-même, à Washington même.


Mis en ligne le 22 janvier 2011 à 05H57