Jacques Schröder peut aller en paix, Gerhard Chirac s’occupe de tout

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Jacques Schröder peut aller en paix, Gerhard Chirac s’occupe de tout


16 octobre 2003 — D’abord, dissiper toute équivoque. Nous aurions pu écrire, en guise de titre : “Gerhard Chirac peut aller en paix, Jacques Schröder s’occupe de tout”. Cela, pour signifier qu’il n’y a aucune prépondérance de l’un sur l’autre, tout le monde l’a bien compris.

D’ailleurs, l'époque des prépondérances est close en Europe. On s’affronte sur le “modèle”. Toutes les sources nous disent l’alacrité de Schröder pour s’opposer aux demandes de l’Espagne et de la Pologne pour que ces deux pays aient un statut de “grand” pays en Europe. L’Allemand ne cédera pas. Ce faisant, il défend indirectement le concept d’“Europe-puissance” qui ne peut s’appuyer que sur une seule formule : un triumvirat de facto entre Berlin, Paris et Londres. Le temps que mettra ce triumvirat à se faire, on verra, — cela dépend de Londres qui est déjà en mouvement (voir plus loin). En attendant, Berlin-Paris est allé de l’avant. En attendant (bis), pas question d’usurper le titre de leader européen en laissant des pays moyens s’affirmer comme “grands”.

Mais ce n’est pas le sujet, quand bien même cela y conduit illico presto. Le sujet, c’est l’entente franco-allemande, symbolisée par cet événement étonnant d’un sommet de l’UE, demain, où Jacques Chirac représentera la France et l’Allemagne. Politiquement, cela ne mange pas de pain (il y a fort peu de décisions à ce sommet, qui sera surtout formel) ; symboliquement, l’affaire est considérable, pour affirmer avec emphase et originalité l’entente franco-allemande. (A notre époque, le symbolisme tient une place considérable dans la politique à cause du phénomène de la communication.)

La nouvelle a été diversement commentée. Les Britanniques sont évidemment aux premières loges (toute alliance franco-allemande sur le continent a toujours été considérée par Londres comme un événement fâcheux, au pire une menace pour le Royaume-Uni). Leur réaction montre leur embarras, — mais ce n’est qu’une péripétie.


«  Although the move will have little practical impact, it was welcomed yesterday by the European Commission president, Romano Prodi, who said it was an example of national interests being set aside. But the gesture set alarm bells ringing in other capitals. Conscious that Britain enjoys more influence when France and Germany are out of sync, Tony Blair's spokesman sought to play down the importance of the development, saying: “What it underlines is that this summit is not a decision-making summit.”

» Other diplomats interpreted the initiative as an implicit threat to recreate a new “inner core” to Europe, if the nations about to join the EU next year prove troublesome. France and Germany say they want to adopt the draft constitution for the EU, drawn up by the former French president Valéry Giscard d'Estaing, with minimal changes. »


L’alliance franco-allemande est née d’une nécessité tactique : opposer un front commun aux poussées américaines pour la guerre en Irak. Elle a été scellée solennellement le 22 janvier 2003, pour le 50e anniversaire du Traité de l’Élysée. Depuis, elle n’a cessé de se renforcer, provoquant une surprise considérable dans la mesure où la plupart des commentaires annonçaient une rupture du front dès que la guerre serait terminée, sous les pressions US. Au contraire, l’alliance tactique est en passe de trouver sa stratégie : agir au coeur de l’Europe pour une conception de l’Europe qui se révèle beaucoup plus proche chez les deux dirigeants qu’on ne pouvait le croire. Du coup, l’alliance sert aussi bien à résister et à contrôler le choc de l’élargissement qu’à poursuivre l’affirmation d’une position européenne originale.

Les Britanniques vont finir par admettre que cette alliance Paris-Londres est un fait dont il faut désormais tenir compte, — adaptant du même coup que l’époque des concurrences nationales est passée en Europe. Ils vont faire ce qu’il faut, ils s’adapteront et s’adaptent déjà, même si cela coûte quelques changements de cap qui peuvent surprendre. Tony Blair, toute honte bue, a amorcé un virage pro-européen dans le domaine de la défense, depuis la rencontre à trois de Berlin (fin septembre). Le Financial Times en parle ce matin, sur le sujet qui donne tout son crédit à l’information, c’est-à-dire le mécontentement américain à cet égard.


« The US has received mixed signals from London despite assurances from UK diplomats that Britain would seek to scupper such moves.

» Donald Rumsfeld, the US defence secretary, raised the issue in a meeting with Britain's Geoff Hoon at the informal gathering of Nato defence ministers last week in Colorado. Condoleezza Rice, White House national security adviser, has telephoned Sir Nigel Scheinwald, Mr Blair's chief foreign policy aide, to express her concern.

» “There is no sense of crisis between London and Washington over this,” said a senior Bush administration official. “But there is a sense of real confusion and real concern. For the US, the issue of Nato's primacy in Europe is of real importance to us. We have made that clear.” »


En d’autres termes, si l’on ajoute le collage franco-allemand déjà fait et l’évolution britannique en cours : la guerre en Irak est en train de faire jouer à plein son effet. L’essentiel porte sur les relations transatlantiques et nous fait anticiper une séparation grandissante, marquée par une affirmation autonome européenne au niveau de la sécurité.

L’Europe, placée devant le danger de la dilution avec l’élargissement et le danger de la parcellisation sous la pression US, n’a qu’une seule voie possible : un leadership affirmé de ses grandes puissances, probablement à trois, le Royaume-Uni venant s’ajouter à l’alliance franco-allemande parce que c’est le seul moyen pour les Britanniques pour compter à hauteur de leur rang en Europe. D’ores et déjà, certains pays petits ou moyens sont favorables à cette formule : le Benelux (y compris les Pays-Bas, cela a été dit clairement dans plus d’une enceinte), mais aussi certains pays périphériques (la Suède et la Finlande sont deux exemples de ce cas, éventuellement la Grèce). Les pays latins importants (l’Espagne et l’Italie) y viendront malgré leur orientation actuelle. Le reste suivra parce qu’il ne peut faire autrement. C’est le seul schéma possible pour l’Europe, on commence à le réaliser un peu partout.