James Fenimore Cooper et le grand patriarche indien 

Les Carnets de Nicolas Bonnal

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James Fenimore Cooper et le grand patriarche indien 

La dimension initiatique, chevaleresque et médiévale de Fenimore  Cooper est évidente. Parfois on croit aussi lire du Tolkien. Lançons-nous quand le grand auteur présente un vieux chef à la Merlin ou à la Gandalf :

« Le costume de ce patriarche, car son âge, le nombre de ses descendants et l'influence dont il jouissait dans sa peuplade permettent qu'on lui donne ce nom, était riche et imposant. Son manteau était fait des plus belles peaux ; mais on en avait fait tomber le poil, pour y tracer une représentation hiéroglyphique des exploits guerriers par lesquels il s'était illustré un demi-siècle auparavant. Sa poitrine était chargée de médailles, les unes en argent et quelques autres même en or, présents qu'il avait reçus de divers potentats européens pendant le cours d'une longue vie. Des cercles du même métal entouraient ses bras et ses jambes ; et sa tête, sur laquelle il avait laissé croître toute sa chevelure depuis que l'âge l'avait forcé à renoncer au métier des armes, portait une espèce de diadème d'argent surmonté par trois grandes plumes d'autruche qui retombaient en ondulant sur ses cheveux dont elles relevaient encore la blancheur.

La poignée de son tomahawk était entourée de plusieurs cercles d'argent, et le manche de son couteau brillait comme s'il eût été d'or massif. »

On lit encore sur ce grand homme :

« Aussitôt que le premier mouvement d'émotion et de plaisir

causé par l'apparition soudaine de cet homme révéré se fut un

peu calmé, le nom de Tamenund passa de bouche en bouche.

Magua avait souvent entendu parler de la sagesse et de l'équité

de ce vieux guerrier Delaware. La renommée allait même jusqu'à lui attribuer le don d'avoir des conférences secrètes avec le grand Esprit, ce qui a depuis transmis son nom, avec un léger changement, aux usurpateurs blancs de son territoire, comme celui du saint tutélaire et imaginaire d'un vaste empire. Le chef huron s'écarta de la foule, et alla se placer dans un endroit d'où il pouvait contempler de plus près les traits d'un homme dont la voix semblait devoir avoir tant d'influence sur le succès de ses projets. »

La dimension religieuse ressort de tout ce prodigieux épisode :

« Il serait impossible de donner une idée du respect et de l'affection que témoigna toute la peuplade en voyant arriver inopinément un homme qui semblait déjà appartenir à un autre monde. Après quelques instants passés dans un silence commandé par l'usage, les principaux chefs se levèrent, s'approchèrent de lui tour à tour, lui prirent une main et l'appuyèrent sur leur tête, comme pour lui demander sa bénédiction. Les guerriers les plus distingués se contentèrent ensuite de toucher le bord de sa robe. Les autres semblaient se trouver assez heureux de pouvoir respirer le même air qu'un chef qui avait été si vaillant et qui était encore si juste et si sage. »

Face à cette humanité elfique, initiatique, la race de la Fin du Monde. Les blancs sont ainsi écrits dans le Dernier des Mohicans, et par Magua, celui des Indiens qui leur ressemble le plus :

« À d'autres il donna une peau plus blanche que l'hermine, il leur commanda d'être marchands, chiens pour leurs femmes, et loups pour leurs esclaves. Il voulut que, comme les pigeons, ils eussent des ailes qui ne se lassassent jamais ; des petits plus nombreux que les feuilles sur les arbres, un appétit à dévorer la terre. Il leur donna la langue perfide du chat sauvage, le cœur des lapins, la malice du pourceau, mais non pas celle du renard, et des bras plus longs que les pattes de la souris ; avec sa langue cette race bouche les oreilles des Indiens ; son cœur lui apprend à payer des soldats pour se battre ; sa malice lui enseigne le moyen d'accumuler pour son usage tous les biens du monde ; et ses bras entourent la terre depuis les bords de l'eau salée jusqu'aux îles du grand lac. Sa gloutonnerie la rend insatiable ; Dieu lui a donné suffisamment, et cependant elle veut tout avoir. Tels sont les blancs. »

Magua fait ensuite l’éloge de la race indienne à la si belle peau rouge :

« Ces peaux sont brillantes et plus rouges que le soleil qui nous éclaire, ajouta Magua en montrant par un geste expressif cet astre resplendissant qui cherchait à percer le brouillard humide qui couvrait l'horizon ; et ceux-là furent ses enfants de prédilection ; il leur donna cette île telle qu'il l'avait faite, couverte d'arbres et remplie de gibier. Le vent fit leurs clairières, et le soleil et les pluies mûrirent leurs fruits ; quel besoin avaient-ils de routes pour voyager ? ils semaient au travers des rochers ; lorsque les castors travaillaient, ils restaient étendus à l'ombre et regardaient. Les vents les rafraîchissaient dans l'été ; dans l'hiver, des peaux leur prêtaient leur chaleur. S'ils se battaient entre eux, c'était pour prouver qu'ils étaient hommes. Ils étaient braves, ils étaient justes, ils étaient heureux. »

On pourrait dire que cela relève du racisme. Plus loin Fenimore Cooper ajoute :

« Je sais que les blancs sont une race d'hommes fiers et affamés. Je sais qu'ils prétendent non seulement posséder la terre, mais que le dernier de leur couleur s'estime plus que les Sachems de l'homme rouge… »

Après on évoque un passé mythique comme les elfes chez Tolkien (voyez nos trois livres sur cet auteur !) ; on est dans le monde animé du moyen âge ou du romantisme allemand :

« Il fut un temps où nous dormions dans un lieu où nous pouvions entendre les eaux du lac salé mugir avec fureur. Alors nous étions les maîtres et les Sagamores du pays. Mais lorsqu'on vit les blancs aux bords de chaque ruisseau, nous suivîmes le daim qui fuyait avec vitesse vers la rivière de notre nation.

Les Delawares étaient partis ! bien peu de leurs guerriers étaient restés pour se désaltérer à la source qu'ils aimaient.

Alors mes pères me dirent : « C'est ici que nous chasserons. Les eaux de la rivière vont se perdre dans le lac salé. Si nous allions vers le soleil couchant, nous trouverions des sources qui roulent leurs eaux dans les grands lacs d'eau douce. Là un Mohican mourrait bientôt comme les poissons de la mer s'ils se trouvaient dans une eau limpide. Lorsque le Manitou sera prêt et dira : « Venez », nous descendrons la rivière jusqu'à la mer, et nous reprendrons notre bien. Telle est, Delawares, la croyance des enfants de la tortue, nos yeux sont toujours fixés sur le soleil levant, et non sur le soleil couchant ! Nous savons d'où il vient, mais nous ignorons où il va. »

La mort d’Uncas et Cora est célébrer par les Indiens comme personne. Un peu de Tolkien d’abord : 

- Voici la Nimrodel ! Dit Legolas. Sur cette rivière, les Elfes Sylvestres composèrent de nombreuses chansons il y a longtemps, et nous les chantons encore dans le Nord, nous souvenant de l'arc-en-ciel dans ses cascades et des fleurs d'or qui flottaient dans son écume. Tout est sombre à présent, et le Pont de la Nimrodel est rompu. Je vais me baigner les pieds, car on dit que l'eau est bienfaisante aux gens fatigués. 

Tolkien évoque ensuite la pureté et le pouvoir thaumaturgique de ces eaux. C’est toujours notre elfe qui mène le bal, avec ses longues tresses et ses mocassins :

« Il s'avança, descendit la rive escarpée et entra dans la rivière. 

- Suivez-moi! Cria-t-il. L'eau n'est pas profonde. Passons à gué de l'autre côté. Nous pourrons nous reposer sur l'autre rive, et le son de la cascade nous apportera Peut-être le sommeil et l'oubli de notre chagrin. 

Un par un, ils descendirent à la suite de Legolas. Frodon se tint un moment près du bord, laissant l'eau couler sur ses pieds fatigués. Elle était froide, mais le contact en était pur et, à mesure qu'il avançait et qu'elle lui montait aux genoux, il sentit ses membres lavés de la souillure du voyage et de toute lassitude. »

Revenons à Fenimore Cooper qui souligne aussi dans des pages admirables cette dimension initiatique et sacrée de l’espace de ses chers Indiens :

« Six filles Delaware, dont les longues tresses noires flottaient sur leurs épaules, paraissaient à peine avoir le courage de jeter de temps en temps quelques herbes odoriférantes ou des fleurs des forêts sur une litière de plantes aromatiques, où reposait sous un poêle formé à la hâte avec des robes indiennes tout ce qui restait de la noble, de l'ardente et généreuse Cora. Sa taille élégante était cachée sous plusieurs voiles de la même simplicité, et ses traits naguère si charmants étaient dérobés pour toujours aux regards des mortels. À ses pieds était assis le désolé Munro. Sa tête vénérable était courbée jusqu'à terre, en témoignage de la soumission avec laquelle il recevait le coup dont la Providence l'avait frappé ; mais l'expression de la douleur la plus déchirante se lisait sur son front. La Gamme était près de lui ; sa tête était exposée aux rayons du soleil, tandis que ses yeux expressifs se portaient sans cesse de l'ami qu'il lui était si pénible et si difficile de consoler, sur le livre saint qui pouvait seul lui en donner la force et les moyens. Heyward, appuyé contre un arbre à quelques pas de là, s'efforçait de réprimer les élans d'une douleur contre laquelle venait échouer toute sa force de caractère. »

Encore un peu de Tolkien :

« Quand toute la Compagnie fut de l'autre côté, ils s'assirent, se reposèrent et prirent quelque nourriture, et Legolas leur raconta des histoires de la Lothlorien que les Elfes de la Forêt Noire conservaient toujours dans leur cœur, des histoires au sujet de la lumière du soleil et des étoiles sur les prairies au bord du Grand Fleuve avant que le monde ne fût gris. 

Finalement, un silence s'établit, et ils entendirent la musique de la cascade coulant mélodieusement dans les ombres. Frodon imagina presque entendre une voix qui chantait, mêlée au son de l'eau. 

- Entendez-vous la voix de la Nimrod? Demanda Legolas. Je vais vous chanter une chanson de la vierge Nimrodel, qui portait le même nom que la rivière près de laquelle elle vivait au temps jadis. »

Parfois le chagrin est trop proche (beau moment du film de Jackson) :

« Mithrandir, Mithrandirchantaient les Elfes, O Gris Pèlerin! Car c'est ainsi qu'ils se plaisaient à le nommer. Mais si Legolas se trouvait avec les compagnons, il ne voulait pas leur interpréter les chants, sous prétexte qu'il n'en avait pas le talent et que pour lui le chagrin était encore trop proche, que c'était un sujet de larmes et non encore de chansons. »

Comme Tolkien, Fenimore Cooper écrit :

« Par intervalle les chants étaient interrompus par des explosions de sanglots et de gémissements, pendant lesquels les jeunes filles qui entouraient le cercueil de Cora se précipitaient sur les fleurs qui la couvraient et les en arrachaient dans l'égarement de la douleur. Mais lorsque cet élan de chagrin en avait un peu diminué l'amertume, elles se hâtaient de replacer ces emblèmes de la pureté et de la douceur de celle qu'elles pleuraient.

Quoique souvent interrompus, ces chants n'en offraient pas moins des idées suivies qui toutes se rapportaient à l'éloge d'Uncas et de Cora. »

Comme une elfe un belle indienne chante :

Une jeune fille distinguée entre ses compagnes, par son rang et ses qualités, avait été choisie pour faire l'éloge du guerrier mort ; elle commença par de modestes allusions à ses vertus, embellissant son discours de ces images orientales que les Indiens ont probablement rapportées des extrémités de l'autre continent, et qui forment en quelque sorte la chaîne qui lie l'histoire des deux mondes. Elle l'appela la panthère de sa tribu ; elle le montra parcourant les montagnes d'un pas si léger que son pied ne laissait aucune trace sur le sable ; sautant de roc en roc avec là grâce et la souplesse du jeûne daim. Elle compara son œil à une étoile brillante à travers une nuit obscure, et sa voix au milieu d'une bataille au tonnerre du Manitou. Elle lui rappela la mère qui l'avait conçu, et s'étendit sur le bonheur qu'elle devait éprouver d'avoir un tel fils ; elle le chargea de lui dire, lorsqu'il la rencontrerait dans le monde des Esprits, que les filles Delaware avaient versé des larmes sur le tombeau de son fils, et l'avaient appelée bienheureuse.

D'autres lui succédèrent alors, et donnant au son de leur voix encore plus de douceur, avec ce sentiment de délicatesse propre à leur sexe, elles firent allusion à la jeune étrangère ravie à la terre en même temps que le jeune héros, le grand Esprit montrant par là que sa volonté était qu'ils fussent à jamais réunis. »

Cooper compare ce chant à la littérature médiévale européenne :

« Il est curieux de comparer ce chant de mort avec le coronach du jeune Duncan dans la Dame du Lac. »

La légende enchantée va demeurer d’Uncas et Cora :

« La sympathie que les mêmes infortunes avaient établie entre les simples habitants de ces bois et les étrangers qui les avaient visités ne s'éteignit pas si aisément. Pendant bien des années, l'histoire de la jeune fille blanche et du jeune guerrier des Mohicans charma les longues soirées, et entretint dans le cœur des jeunes Delaware la soif de la vengeance contre leurs ennemis naturels. »

Dans ce monde digne de Nerval ou Novalis on identifie les arbres et les hommes :

« Pour moi, je ne suis plus qu'un tronc desséché que les blancs ont dépouillé de ses racines et de ses rameaux. Ma race a disparu des bords du lac salé et du milieu des rochers des Delaware ; mais qui peut dire quel serpent de sa tribu a oublié sa sagesse ! Je suis seul… »

Et puis la fin du monde arrive comme toujours avec le Blanc :

« – C'est assez, dit-il. Allez, enfants des Lenapes ; la colère du Manitou n'est pas apaisée. Pourquoi Tamenund attendrait-il encore ? Les blancs sont maîtres de la terre, et l'heure des Peaux-Rouges n'est pas encore arrivée. Le jour de ma vie a trop duré. Le matin j'ai vu les fils d'Unamis forts et heureux ; et cependant,

avant que la nuit soit venue, j'ai vécu pour voir le dernier guerrier de l'antique race des MOHICANS ! »

Reprenons l’enseignement sacerdotal forestier (voyez notre paganisme au cinéma, notre Tolkien, et notre Perceval et la reine !) :

« La voûte immense de la forêt s’étendait jusque sur la rivière, en couvrait les eaux, et donnait une teinte sombre à leur surface. Enfin les rayons du soleil commencèrent à perdre de leur force, et la chaleur excessive du jour se modéra à mesure que les vapeurs sortant des fontaines, des lacs et des rivières, s’élevaient comme un rideau dans l’atmosphère. Le profond silence qui accompagne les chaleurs de juillet dans les solitudes de l’Amérique régnait dans ce lieu écarté, et n’était interrompu que par la voix basse des deux individus dont nous venons de parler, et par le bruit sourd que faisait le pivert en frappant les arbres de son bec, le cri discordant du geai, et le son éloigné d’une chute d’eau. »

Et comparons avec Tolkien :

« II y a longtemps qu'aucun des miens n'est revenu jusqu'ici, cette terre d'où nous partîmes à une époque lointaine, dit Legolas, mais nous avons appris que la Lorien n'est pas encore désertée, car il existe toujours un pouvoir secret qui tient le pays à l'abri du mal. Ses habitants se laissent néanmoins rarement voir et Peut-être demeurent-ils aujourd'hui au plus profond des bois, loin de la frontière septentrionale. »

Fenimore Cooper insiste sur le caractère sacré du bois et la dimension chevaleresque de l’Indien qui est relié :

« Le premier était assis sur une vieille souche couverte de mousse, dans une attitude qui lui permettait d’ajouter à l’effet de son langage expressif par les gestes calmes mais éloquents d’un Indien qui discute. Son corps presque nu présentait un effrayant emblème de mort, tracé en blanc et en noir. Sa tête rasée de très près n’offrait d’autres cheveux que cette touffeque l’esprit chevaleresque des Indiens conserve sur le sommet de la tête, comme pour narguer l’ennemi qui voudrait le scalper, et n’avait pour tout ornement qu’une grande plume d’aigle, dont l’extrémité lui tombait sur l’épaule gauche ; un tomahawk et un couteau à scalper de fabrique anglaise étaient passés dans sa ceinture, et un fusil de munition, de l’espèce de ceux dont la politique des blancs armait les sauvages leurs alliés, était posé en travers sur ses genoux. Sa large poitrine, ses membres bien formés et son air grave faisaient reconnaître un guerrier parvenu à l’âge mûr ; mais nul symptôme de vieillesse ne paraissait encore avoir diminué sa vigueur. »

A l’inverse la barbarie peut surgir provenant des Hurons bien sûr :

« Ces sons affreux éclatèrent bientôt autour d’eux de toutes parts ; les uns appelaient leurs compagnons du bord de l’eau, et les autres leur répondaient du haut des rochers. Des cris plus dangereux se firent entendre dans le voisinage de la crevasse qui séparait les deux cavernes, et ils se mêlaient à ceux qui partaient du ravin dans lequel quelques Hurons étaient descendus.

En un mot, ces cris effrayants se multipliaient tellement et semblaient si voisins, qu’ils firent sentir mieux que jamais aux quatre individus réfugiés dans la grotte la nécessité de garder le plus profond silence. »

Et Cooper de dénoncer cette barbarie qui nous évoque aussi els orques de Tolkien, des elfes défigurés comme on sait :

« L’air continuait à retentir de hurlements féroces tels que l’homme peut en produire, et seulement quand il est dans l’état de la barbarie la plus complète. »

La barbarie attaque les pauvres prisonniers anglais (responsabilité français ou pas dans ce massacre par les Hurons alliés ?) :

« À l'instant, et avec la même rapidité que des chevaux de course à qui l'on vient d'ouvrir la barrière, environ deux mille sauvages sortirent de la forêt, et s'élancèrent avec fureur sur l'arrière-garde de l'armée anglaise encore dans la plaine, et sur les différents groupes qui la suivaient de distance en distance.

Nous n'appuierons pas sur la scène d'horreur qui s'ensuivit ; elle est trop révoltante. Les Indiens étaient complètement armés ; les Anglais ne s'attendant pas à être attaqués, leurs armes n'étaient pas chargées, et la plupart de ceux qui composaient les derniers groupes étaient même dépourvus de tous moyens de défense. »

L’horreur des âges sombres arrive :

« La mort était donc partout, et elle se montrait sous son aspect le plus hideux. La résistance ne servait qu'à irriter la fureur des meurtriers, qui frappaient encore, même quand leur victime ne pouvait plus sentir leurs coups. Le sang coulait par torrents, et ce spectacle enflammant la rage de ces barbares, on en vit s'agenouiller par terre pour le boire avec un plaisir infernal. »

La sagesse sacerdotale revient avec le calumet de la paix (voyez le chapitre sur Schuon et les Indiens) ; le respecte de Cooper pour la race indienne est ici mirifique :

« Après un court intervalle de silence, Chingachgook alluma une pipe dont le godet était une pierre tendre du pays, très artistement taillée, et le tuyau un tube de bois. Après avoir fumé quelques instants, il la passa à Œil-de-Faucon, qui en fit autant et la remit ensuite à Uncas. La pipe avait ainsi fait trois fois le tour de la compagnie, au milieu du silence le plus profond, avant que personne parût songer à ouvrir la bouche. Enfin Chingachgook, comme le plus âgé et le plus élevé en rang, prit la parole, fit l'exposé du sujet de la délibération, et donna son avis en peu de mots avec calme et dignité. Le chasseur lui répondit, le Mohican répliqua, son compagnon fit de nouvelles objections, mais le jeune Uncas écouta dans un silence respectueux, jusqu'à ce qu'OEil-de-Faucon lui eût demandé son avis. D'après le ton et les gestes des orateurs, Heyward conclut que le père et le fils avaient embrassé la même opinion, et que leur compagnon blanc en soutenait une autre. »

On est en désaccord mais on reste tranquille (on sent très bien cela dans Danse avec les loups par exemple – le blancs préfèrent s’engueuler ou bombarder) :

 « La discussion s'échauffait peu à peu, et il était évident que chacun tenait fortement à son avis. Mais malgré la chaleur croissante de cette contestation amicale, l'assemblée chrétienne la mieux composée, sans même en excepter ces synodes où il ne se trouve que de révérends ministres de la parole divine, aurait pu puiser une leçon salutaire de modération dans la patience et la courtoisie des trois individus qui discutaient ainsi. Les discours d'Uncas furent écoutés avec la même attention que ceux qui étaient inspirés par l'expérience et la sagesse plus mûre de son père, et bien loin de montrer quelque impatience de parler, chacun des orateurs ne réclamait la parole pour répondre à ce qui venait d'être dit qu'après avoir consacré quelques minutes à réfléchir en silence sur ce qu'il venait d'entendre et sur ce qu'il devait répliquer. »

On s’élève à l’initiation ensuite et au rite :

« Le chasseur paraissait pourtant céder, et la question était sur le point d'être décidée contre lui, quand tout à coup il se leva, et secouant son apathie, il prit toutes les manières et employa toutes les ressources de l'éloquence indienne. Traçant un demi-cercle en l'air, d'orient en occident, pour indiquer le cours du soleil, il répéta ce signe autant de fois qu'il jugeait qu'il leur faudrait de jours pour faire leur voyage dans les bois. Alors il traça sur la terre une longue ligne tortueuse, indiquant en même temps par ses gestes les obstacles que leur feraient éprouver les montagnes et les rivières. »

La description de l’espace forestier développe les sens, et on est encore proche ici de Tolkien (always follow your nose !) :

« – Voilà une trace que l'odorat seul peut suivre, dit le chasseur en jetant en arrière un regard satisfait sur le chemin difficile qu'ils venaient de parcourir ; l'herbe est un tapis dangereux pour l'homme qui y marche en fuyant ; mais le bois et la pierre ne prennent pas l'impression du mocassin. Si vous aviez porté vos bottes, il aurait pu y avoir quelque chose à craindre ; mais quand on a sous les pieds une peau de daim convenablement préparée, on peut en général se fier en toute sûreté sur les rochers. »

Encore un peu de Tolkien façon Tolkien :

« Le chasseur ne s'aveuglait pas sur les périls et les difficultés de son entreprise audacieuse. En approchant du camp des Hurons, il avait calculé tous les moyens d'échapper à la vigilance et aux soupçons d'ennemis dont il savait que la sagacité était égale à la sienne… »

Ici le chasseur indien se rapproche encore de son elfe :

« En entrant dans la clairière, il marcha avec plus de précaution et de lenteur, reprenant les allures de l'animal dont il portait la peau. Cependant ses yeux vigilants étaient toujours en mouvement pour épier s'ils ne découvriraient pas quelques indices qui pussent être dangereux ou utiles pour lui. »

On évoque comme un nain ou un elfe la grandeur de la course à pied :

« – Oui, oui, reprit OEil-de-Faucon, il y a de la vérité dans ce que vous dites. Je suis convaincu qu'à la course, vous battriez toute leur nation, que vous arriveriez au camp de l'autre peuplade, et que vous auriez le temps d'y reprendre haleine avant qu'on pût seulement y entendre la voix d'un de ces coquins. Mais les hommes blancs sont plus forts des bras que des jambes… »