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307214 janvier 20234 (20H45) – Caitlin Johnstone, qui n’a pas sa plume dans sa poche, s’est arrêtée à une lettre d’explication de Nancy Waugh, responsable des “normes journalistiques” de la CBC, la principale chaîne canadienne d’information, et chaîne publique. Waugh a reconnu l’emploi de qualificatifs et autres mots descriptifs différents, selon que l’on parle des victimes de l’attaque du 7 octobre 2023 en Israël, et des victimes palestiniennes de Gaza des bombardements continuels (ils n’ont nullement cessé, ni en intensité) et autres canonnades diverses effectuées “de loin” par rapport à l’objectif, hors-champ visuel...
« En réponse à de multiples plaintes d’un professeur retraité du Humber College concernant le langage extrêmement tendancieux utilisé par le radiodiffuseur public canadien pour décrire la guerre d’Israël contre Gaza, Waugh a reconnu que la CBC utilisait régulièrement des mots tels que “meurtrier”, “vicieux”, “brutal”, “massacre” et “tuerie” pour parler de l’attaque du Hamas du 7 octobre, alors qu’elle utilisait des mots beaucoup moins chargés d’émotion tels que “intensif”, “implacable” et “punitif” pour décrire les actions d’Israël dans la bande de Gaza au cours des trois derniers mois. »
Les explications de la dame sont les suivantes, ‑– ci-après. Comme on le voit, elles ne portent pas sur les faits, sur les intentions, sur les responsabilités et toutes ces sortes de choses dont finalement il ne faut pas trop s’embarrasser, mais sur l’essentiel, sur les émotions éprouvées par les auditeurs et téléspectateurs, – les ‘voyeurs’, veux-je dire, – de cette sorte de spectacle qu’on leur donne à voir et à entendre. C’est un peu comme un directeur de production répondant à ceux qui font des remarques sur la cohérence et la logique du script et qui répond par l’affirmation dictatoriale du “style émotionnel” du script qui commande tout. Voici ce que nous dit dame Waugh, cela vaut son pesant de scripts émotionnels revus par les communicants de la presseSystème :
« Des mots différents sont utilisés car, bien qu’ils entraînent tous deux des morts et des blessés, les événements qu’ils décrivent sont très différents. Le raid a vu des hommes armés du Hamas franchir la barrière frontalière et attaquer directement les Israéliens avec des armes à feu, des couteaux et des explosifs. Les hommes armés ont poursuivi des festivaliers, attaqué des kibboutzniks et leur ont tiré dessus, se sont battus au corps à corps et ont lancé des grenades. L’attaque a été brutale, souvent sauvage et certainement meurtrière».
» Les bombes larguées à des milliers de mètres et les obus d’artillerie lancés sur Gaza à des kilomètres de distance provoquent la mort et la destruction à grande échelle, mais ils sont exécutés à distance. Les résultats meurtriers sont invisibles pour ceux qui les ont provoqués et la source est invisible pour ceux qui souffrent et meurent. »
Ses explications sont diverses et extrêmement inclusives. Elles reprennent, à l’avantage de la vertueuse croisade entreprise par les Israéliens un caractère tout à fait remarquable de l’introduction de toutes les formes de progrès dans la science militaire (on préférera cette expression à celle d’“art militaire”), d’une façon également tout à fait remarquable à partir de la Grande Guerre de 1914-1918.
Le drame affreux que l’on a pris l’habitude de qualifier sous l’expression de “gueules cassées” concernait les stigmates physiques horribles laissés chez nombre de centaines de milliers, sinon de millions de blessés du conflit. La cause principale en est que les progrès foudroyants de l’artillerie, des explosifs et des engins porteurs (les obus principalement), – vertu du Progrès et des technologies, – furent la cause de 75% à 80% des morts et des blessures de cette guerre. Les dommages physiques infligés, avec les conséquences psychologiques à mesure, l’étaient par des morceaux de ferrailles déchirés par l’explosifs, et eux-mêmes déchirant les chairs et les structures des corps, – à une époque où la médecine de reconstruction était encore très peu développée.
Effectivement, de tels engagements qui furent le caractère essentiel de cette guerre, et la cause principale de la paralysie du plus grand nombre des opérations, se firent sans vision ni contact des adversaires que l’on tuait ou que l’on blessait. Effectivement, on peut argumenter que de tels engagements pouvaient être qualifiés d’“intensifs”, d’“implacables” et de “punitifs”. Par contre, les commentateurs de guerre pouvaient qualifier les ennemis de leurs camps, lors des engagements se faisant sur des contacts visuels jusqu’aux corps-à-corps, de “meurtriers”, “vicieux”, “brutaux”, “massacreurs” et “tueurs”. Effectivement (suite et re-suite) les opérateurs du premier type d’engagements pouvaient, ne voyant pas nécessairement le plus souvent, les effets de tirs à distance, prendre un peu de repos la conscience tranquille ; dans l’autre cas, cela pouvait souvent être le contraire. Ainsi comprend-on à quoi aboutissent les consignes dialectiques des journalistes de CDC, et d’innombrables autres auteurs de la presseSystème, avec effets à mesure sur leurs lecteurs et rythme parfaitement adapté aux politiques occidentales qui entendent parer leurs interventions militaires de toutes les vertus possibles.
La même situation de perception psychologique, et donc de positions idéologiques, existe bien entendu pour les bombardements aériens. On peut même voir en supplément un effet fascinatoire avec l’introduction des films de tirs de missiles à partir de l’avion impliqué, essentiellement à partir de la première Guerre du Golfe. Je me rappelle, j’étais alors encore journaliste accrédité à l’OTAN, au cœur du sanctuaire de notre grandeur, un poste de télévision installée dans la grande salle “des pas perdus” du bloc d’alors, retransmettant en continu sur CNN, les premiers jours de l’attaque aérienne de l’Irak. De petits groupes se renouvelaient disons toutes les 4-5 minutes et observaient le spectacle, – exactement cela : “le spectacle”... Et qui n’eût entendu sourdre cette perception fascinée et déjà conquise de ces performances de communication exaltant les performances des technologies qui laissaient si peu de place à la moindre réflexion du sort des lieux bombardés et où se trouvaient être souvent, comme par inadvertance, des maisons et des gens innocents vaquant à leurs occupations ? Moi, je l’ai entendue.
Or, il se trouve que les machinations des adversaires en jeu mettent en évidence qu’on trouve l’essentiel de la première technique du côté de notre civilisation américanistes-occidentalistes. On a déjà beaucoup glosé sur le sujet au sujet du général LeMay, promoteurs des bombardements, massifs et de loin. Mais on lui reconnaîtra, à ce LeMay qu’on entendait venir de loin disaient ses admirateurs parce qu’il avait des couilles en bronze, une honnêteté certaine lorsqu’il ne se dissimulait pas une seconde l’effet de sa technique. Pour lui, tout Japonais, fût-ce un enfant, un vieillard ou une femme enceinte, était un ennemi qu’il fallait détruire, anéantir, désintégrer, « éparpiller, façon puzzle » comme disait Blier-Audiard dans ‘Les tontons-flingueurs’. Nous, aujourd’hui, ce n’est pas ça : au mieux, on parle de “dégâts collatéraux”, au pire, – ou simplement d’une manière générale, – on s’en fout. La morale est, chez nous, une question de proximité, en mètres sinon en centimètres et face caméra, car c’est à cette distance que se révèle le salaud, l’immonde ; d’où le vocabulaire recommandé par la Waugh : dites “meurtriers”, “vicieux”, “brutaux”, “massacreurs”, “tueurs”.
Il ne faut pas se leurrer. Il s’agit à nouveau d’une mise en scène inconsciente, par réflexe, à laquelle tout le monde souscrit, les spectateurs comme les acteurs et les metteurs en scène. Ils sont peu nombreux, les pilotes de bombardement qui, comme l’écrivit Jules Roy dans ‘La vallée heureuse’ retraçant son expérience de pilote d’un quadrimoteur lourd ‘Halifax’ de la RAF écrasant sous ses bombes, de nuit par surcroît, les habitants des villes et villages de la Ruhr, peuvent traîner toute leur vie une immense culpabilité d’avoir ainsi massacré des innocents en toute impunité. Aujourd’hui, nous massacrons de haut et de loin avec un sentiment d’une vertu presque invincible, d’une inconscience heureuse comme la vallée en question, d’une certitude de porter les vertus de la civilisation qui se décomptent en tonnages de bombes. L’important enfin, c’est de bien traquer et clouer au pilori le terroriste qui, en général, risque sa peau directement en emportant celle des autres, et même la sacrifie en s’intitulant ‘kamikaze’.
Il n’y a pas de jugement de valeur dans tout cela, mais simplement l’affirmation d’une valeur sur laquelle il n’est pas question de revenir. Madame Waugh aurait pu tirer son épingle du jeu dans sa réponse en faisant du façon Blier-Audiard, toujours eux, en promettant aux Palestiniens de se retrouver au « terminus des prétentieux » où l’on trouve les tombes qui vont bien. Mais elle n’est pas LeMay puisqu’elle n’a pas de couilles en bronze et le goût affiché de l’anéantissement, ni Blier-Audiard puisqu’elle n’a pas leurs talents respectifs et la conscience de faire du cinéma. Par contre, c’est vrai, elle a pour elle de n’être pas un “mâle blanc de plus de 50 ans”. Ceci explique cela, pour les sourds et les mal(es)-entendant.
Le texte vint bien sûr de Caitlin Johnstone, via ‘Le Grand Soir’ et ‘Réseau International’. Le titre original est « Les Occidentaux ont une vision absolument psychotique des frappes aériennes »
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Le site canadien en ligne The Breach a publié une lettre de Nancy Waugh, responsable principale des normes journalistiques à la CBC, qui met parfaitement en évidence la relation psychologique bizarre que les Occidentaux entretiennent avec les bombes et les frappes aériennes dans les pays étrangers.
En réponse à de multiples plaintes d’un professeur retraité du Humber College concernant le langage extrêmement tendancieux utilisé par le radiodiffuseur public canadien pour décrire la guerre d’Israël contre Gaza, Waugh a reconnu que la CBC utilisait régulièrement des mots tels que «meurtrier», «vicieux», «brutal», «massacre» et «tuerie» pour parler de l’attaque du Hamas du 7 octobre, alors qu’elle utilisait des mots beaucoup moins chargés d’émotion tels que «intensif», «implacable» et «punitif» pour décrire les actions d’Israël dans la bande de Gaza au cours des trois derniers mois.
Waugh a défendu cette divergence extrême en affirmant que les attaques d’Israël à Gaza diffèrent des attaques du Hamas contre les Israéliens en ce sens que les meurtres commis par Israël le sont «à distance».
«Des mots différents sont utilisés car, bien qu’ils entraînent tous deux des morts et des blessés, les événements qu’ils décrivent sont très différents», a écrit Waugh. «Le raid a vu des hommes armés du Hamas franchir la barrière frontalière et attaquer directement les Israéliens avec des armes à feu, des couteaux et des explosifs. Les hommes armés ont poursuivi des festivaliers, attaqué des kibboutzniks et leur ont tiré dessus, se sont battus au corps à corps et ont lancé des grenades. L’attaque a été brutale, souvent sauvage et certainement meurtrière».
«Les bombes larguées à des milliers de mètres et les obus d’artillerie lancés sur Gaza à des kilomètres de distance provoquent la mort et la destruction à grande échelle, mais ils sont exécutés à distance», poursuit Waugh. «Les résultats meurtriers sont invisibles pour ceux qui les ont provoqués et la source est invisible pour ceux qui souffrent et meurent».
J’ai écrit un certain nombre d’essais sur la façon irrationnelle et sans fondement dont les Occidentaux considèrent les explosifs militaires comme un moyen bien plus civilisé et humain de tuer des êtres humains que les balles ou les lames, mais je n’ai jamais rien écrit qui le résume aussi clairement que cet aveu franc du responsable principal des normes journalistiques de la Canadian Broadcasting Corporation.
Les explosifs militaires déchiquettent les corps humains. Ils brûlent les gens vivants. Ils les emprisonnent sous les décombres où ils meurent avec une lenteur atroce, de l’une des manières les plus horribles que l’on puisse imaginer. Ils laissent les gens sans membres. Ils démembrent et défigurent les enfants à vie. Nombre des morts les plus atroces de l’histoire de l’humanité ont été causées par des bombes.
Des milliers d’habitants de Gaza n’ont pas encore été comptés parmi les morts parce que leurs corps sont encore ensevelis sous les décombres des bâtiments détruits. Nombre d’entre eux ne seraient pas morts sur le coup. Certains sont encore en vie, attendant depuis des jours, dans un état de terreur et de douleur intense, des secours qui ne viendront jamais.
Selon un rapport de l’UNICEF publié le mois dernier, plus d’un millier d’enfants ont été amputés d’une jambe ou des deux depuis le 7 octobre à la suite des dommages causés par les frappes aériennes israéliennes soutenues par les États-Unis, un chiffre qui devrait être beaucoup plus élevé à l’heure actuelle. Nous savons que nombre de ces amputations ont eu lieu sans anesthésie, parce que la guerre de siège israélienne a coupé le système de santé de Gaza des fournitures nécessaires.
Si ce n’est pas vicieux, alors rien n’est vicieux. Si ce n’est pas brutal, alors rien n’est brutal. Si ce n’est pas meurtrier, alors rien n’est meurtrier. Mais la presse occidentale ne le qualifie pas comme tel, parce que cela se fait «à distance».
Croire que ces attaques devraient être considérées comme moins vicieuses et moins brutales parce qu’elles sont lancées à distance par des personnes qui n’en verront pas les effets est aussi immature psychologiquement qu’une petite fille qui croit qu’on ne peut pas la voir parce qu’elle s’est caché les yeux. Une attaque qui tue, mutile et torture ne cesse pas d’être brutale et vicieuse simplement parce qu’elle vous apparaît comme un point sur un écran. La souffrance humaine n’est pas rendue moins aiguë ou moins significative par le fait d’être loin.
Mais c’est ainsi que la plupart des Occidentaux voient l’utilisation d’explosifs militaires de nos jours. Nous sommes tellement habitués à entendre notre gouvernement et ses alliés déverser une pluie de bombes sur le Moyen-Orient et l’Afrique que nous avons développé une sorte d’immunité à l’impact psychologique de ce que cela signifie exactement dans la réalité. L’esprit occidental typique en est venu à considérer les bombardements davantage comme un phénomène météorologique qui se produit simplement dans ces régions, à l’instar des moussons dans les pays d’Asie du Sud.
En réalité, les bombardements ne sont pas moins sauvages que les attaques à l’arme à feu, à la grenade, au couteau ou à la machette. En fait, ils permettent une plus grande sauvagerie, parce qu’ils tuent beaucoup plus efficacement et parce que les troupes qui les utilisent peuvent continuer à tuer sans perdre le moral et sans accumuler les traumatismes mentaux dus aux horreurs qu’elles ont infligées à leurs semblables.
La mort est la mort. Le démembrement est le démembrement. La douleur est la douleur. L’angoisse est l’angoisse. L’hypothèse inconsidérée selon laquelle les méthodes préférées de l’empire occidental pour tuer sont moins brutales et meurtrières que celles d’un groupe militant démuni est un mécanisme de défense psychologique que nous avons mis en place pour nous protéger de la conscience de notre propre brutalité et de notre caractère meurtrier.
En vérité, si l’on considère la mort, la destruction, la souffrance et la douleur qu’Israël a infligées à Gaza depuis le 7 octobre, il ne fait aucun doute qu’Israël est bien plus vicieux, brutal et meurtrier que le Hamas ne l’a jamais été, tout comme le sont ses alliés qui soutiennent ses actions. La seule façon de croire le contraire serait de se cacher psychologiquement de la réalité de ce qui se passe, qui est aussi véridique et mature que l’enfant qui se met les mains sur les yeux en disant : «Maintenant, tu ne peux plus me voir !»