Jimmy Goldsmith et le désastre de la civilisation

Les Carnets de Nicolas Bonnal

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Jimmy Goldsmith et le désastre de la civilisation

« Le destin du spectacle n’est pas de finir en despotisme éclairé » (Guy Debord)

1993 : l’Amérique est en bouillie, le vainqueur de l’Irak vaincu par un apprenti de la Trilatérale, les socialistes de Cresson-Mitterrand sont enfin tambourinés aux élections, et l’Allemagne est mal réunifiée et à moitié ruinée… Debord toujours :

« Les nouvelles concernent toujours la condamnation que ce monde semble avoir prononcée contre son existence, les étapes de son autodestruction programmée. »

Debord se faisait alors menacer à la télé (Polac, F.O.G.), comme Goldsmith ; aujourd’hui ils sont complètement oubliés puisque tout va bien.

Mais parlons de Jimmy Goldsmith régulièrement insulté aujourd’hui par les MSM.

Ce fut un beau coup d’éclair alors : le milliardaire de la finance qui allait mettre son poids financier et son charisme, sa connaissance de l’économie et des grands de ce monde pour nous seconder dans un combat toujours perdu d’avance. Ils cassent le monde, dit la chanson de Boris, Vian, il en reste assez pour moi. Assez pour toi, crétin, mais pas pour nous. Avec l’effondrement de la santé, l’explosion de la dette, la destruction du monde pauvre, la négation des nations et la guerre à venir, nous sommes bien barrés en effet. Comme dit mon ami, ils ont touché le fond, alors ils creusent encore…

Sur le site de sir James j’ai pu retrouver des extraits du piège en anglais retraduits en français ; il est élémentaire (l’anglais, pas le piège), et cela donne à propos de notre monstrueux développement scientifique, technologique et économique :

« L'augmentation des connaissances scientifiques, le développement de nouvelles technologies et la croissance économique sont poursuivis comme s'ils - et non le bien-être - devraient être les objectifs de l'effort humain. La stabilité sociale et parfois des cultures entières sont sacrifiées dans la poursuite de ces objectifs. Je crois que cette inversion des valeurs est la cause de beaucoup de nos maux. »

On est en 1993. Sir James reprend le flambeau contre le progrès que nous en sommes de moins en moins à contester. En Angleterre tout avait commencé avec des révolutionnaires médiévaux comme le trop ignoré et pourtant passionnant Arthur Penty, William Morris, Belloc, Chesterton. Il poursuit sur les effets méphitiques du PNB (qui est une simple mesure des activités du mal sur la terre) :

« Le produit national brut est l'indice officiel utilisé pour évaluer la prospérité. Mais le PNB ne mesure que l'activité. Il ne mesure ni la prospérité ni le bien-être. Par exemple, si une calamité se produit, comme un ouragan ou un tremblement de terre, la conséquence immédiate est une croissance de PNB car l'activité est augmentée afin de réparer les dégâts. Si une grande épidémie frappe une communauté, le PNB augmente à la suite de la construction de nouveaux hôpitaux et de l'embauche d'agents de santé publique. Si le taux de criminalité augmente, le PNB augmente à mesure que la police rejoint la force et que de nouvelles prisons sont construites. »

Plus cela va mal, comme en Amérique, santé, guerres, guerre civile, terreur, pollution (c’est pourquoi le cirque n’est pas prêt de s’arrêter, pas plus que la dette de monter), plus le PNB monte.

Karl Marx écrit admirablement, dans le Capital, à propos de la dette et de son effet-richesse :

« Le système du crédit public, c'est-à-dire des dettes publiques, dont Venise et Gênes avaient, au moyen âge, posé les premiers jalons, envahit l'Europe définitivement pendant l'époque manufacturière. Le régime colonial, avec son commerce maritime et ses guerres commerciales, lui servant de serre chaude, il s'installa d'abord en Hollande. La dette publique, en d'autres termes l'aliénation de l'État, qu'il soit despotique, constitutionnel ou républicain, marque de son empreinte l'ère capitaliste. La seule partie de la soi-disant richesse nationale qui entre réellement dans la possession collective des peuples modernes, c'est leur dette publique. Il n'y a donc pas à s'étonner de la doctrine moderne que plus un peuple s'endette, plus il s'enrichit. Le crédit public, voilà le credo du capital. Aussi le manque de foi en la dette publique vient-il, dès l'incubation de celle-ci, prendre la place du péché contre le Saint-Esprit, jadis le seul impardonnables. »

Sir James explique pourquoi il faut détruire la famille ; sa destruction crée le PNB qui est, je le répète la mesure des maux spirituels et physiques de la planète (l’anorexie ou l’obésité créent du PNB, pas la minceur ou la bonne santé, le crime de ghetto en crée, pas l’amabilité, vive l’Amérique) :

«Prenons l'exemple de deux familles voisines. Dans les deux cas, la mère de la famille a décidé de passer ses journées à s'occuper de ses enfants et de sa maison. Soudainement, on change d'avis et sort chercher un travail. Pour s'occuper de ses enfants, elle emploie sa voisine. Avant ce changement, aucune des deux femmes ne contribuait au PNB car seule l'activité entraînant un échange monétaire était prise en compte. Tandis que ces deux mères s'occupaient de leur propre famille sans salaire, elles ne contribuaient pas à l'économie officielle et, par conséquent, au PNB. Dès qu'ils ont changé leur mode de vie et commencé à recevoir des salaires, ils ont immédiatement contribué au PNB. "

L’obsession du chiffre est ainsi commentée par René Guénon dans une note du Règne de la quantité :

« Les Américains sont allés si loin en ce sens qu’ils disent communément qu’un homme « vaut » telle somme, voulant indiquer par là le chiffre auquel s’élève sa fortune ; ils disent aussi, non pas qu’un homme réussit dans ses affaires, mais qu’il « est un succès », ce qui revient à identifier complètement l’individu à ses gains matériels ! »

J’en reviens à notre auteur du jour qui explique pourquoi on veut « recouvrir le paradis terrestre d’urinoirs » (Léon Bloy), de fastfoods, de rondpoints, de grandes surfaces, de bordels et de parkings. Le ministre de l’île d’Anguilla se montre alors hostile au PNB et au sous-développement touristique (une clochardisation, comme disait Philippe Murray, regardez l’Europe du sud ou le Mexique et la Thaïlande !) : 

« J'ai déjeuné avec le Premier ministre d'alors. L'île est très belle. Elle a de longues plages blanches et des gens accueillants. Je lui ai demandé de ses plans pour le développement de l'île. C'est plus ou moins ce qu'il a répondu: Cette île est notre île et nous sommes très heureux de vivre ici. Nous avons deux alternatives. Soit nous pouvons nous développer à un rythme raisonnable et d'une manière qui fournit de bons emplois et bien-être à nos populations, soit nous pouvons choisir la politique qui a été appliquée dans la pratique. Si nous avions décidé de développer le tourisme aussi rapidement que possible, les complexes hôteliers et les complexes d'appartements les uns à côté des autres, il faudrait alors passer à une politique d'immigration massive afin de pouvoir exploiter une telle économie. Nous avons réalisé que le résultat inévitable serait que nous deviendrions une minorité dans notre propre pays. Et nous ne serions pas épargnés par la croissance du crime et des drogues et autres tragédies sociales qui semblent être les compagnons inséparables du développement rapide, du tourisme et de l'immigration substantielle.»

Et le ministre en question d’Anguilla ajoute, presque imprudemment (il va finir comme un chef d’Etat arabe !) :

« Notre île ne serait plus la même. C'est pourquoi j'ai toujours fait campagne pour que nous nous contentions d'un développement optimal, capable de produire de bons emplois pour notre peuple, tout en maintenant notre mode de vie ».

Bien sûr, cet homme avait des opposants politiques qui avaient le point de vue opposé. Dans les îles voisines, le prix des terres en développement était en plein essor. "

Migrations, instabilité, drogue, pollution, corruption généralisée. Sans compter le coup d’Etat démocratique, la révolution orange ou la destruction du patrimoine du pays pollué, recyclé et souillé en fonction des intérêts de l’usine à gaz touristique.

Sir James rappelait la catastrophe démographique, dont nous commençons à pâtir sérieusement ici ou ailleurs, et qui n’en est qu’à ses débuts :

« Pendant les 1800 années de l’an zéro à la naissance de la révolution industrielle, on estime que la population humaine est passée de 250 millions à 900 millions.

Puis de 1800 à 1992, il est passé à 5,5 milliards. Et d'ici 2050, nous dit-on, sur les tendances actuelles, on aura atteint 9,6 milliards d’habitants. "

Il ajoute dans la version française une vérité qui énervera les seuls ahuris et optimistes : il y a cent fois plus de malheureux et de crève-misère dans notre monde industriel que dans le monde traditionnel minutieusement décrit par Titus Burckhardt ou Frithjof Schuon :

« Il y a 200 ans on comptait sept millions de personnes dans des taudis urbains. Aujourd’hui on en est à 575 millions. Les bidonvilles se sont développés seize fois plus que le reste de la population. »

Alors qu’on croit naïvement alors à une fin de la guerre froide (mais pour qui prennent-ils le capital américain ?), sir James cite Vaclav Havel :

« Les sociétés ont retiré leur attention de la guerre froide et sont forcées de faire face à différentes menaces. Vaclav Havel a écrit:

“La chute du communisme peut être considérée comme un signe que la pensée moderne est arrivée à une crise finale. Cette ère a créé la première civilisation technique planétaire ou planétaire, mais elle a atteint la limite de son potentiel, le point au-delà duquel commence l'abîme. . . L'attitude de l'homme envers le monde doit être radicalement changée. Nous devons abandonner la croyance arrogante que le monde est simplement un puzzle à résoudre, une machine avec des instructions d'utilisation à attendre, un ensemble d'informations à introduire dans un ordinateur dans l'espoir que tôt ou tard il crachera une solution universelle ... ” »

Oui, le monde est une machine et ce depuis la Renaissance. Relisez l’ilote Descartes ou le monstrueux Bacon (et sa nouvelle Atlantide) pour le comprendre. Relisez aussi Fukuyama qui expliqua comment on a fabriqué le bourgeois au dix-septième siècle (cf. Molière chez nous) pour créer le système moderne où l’on ne compte plus des citoyens, mais… des bourgeois.

Je vous laisse aussi découvrir les pages de sir James sur la catastrophe européenne à venir qui selon lui frapperait en particulier… la Grèce et les pays du sud !

 Mais il faut quand même reconnaître que nous étions alors nombreux à nous méfier (49% contre Maastricht). On se doute de ce que notre champion de la finance dirait des déficits exorbitants et de la dette ubuesque d’aujourd’hui qui maintient le château de cartes, ses bandes de béton et ses bandeaux d’infos…

 

Sources

James Goldsmith – le piège

Francis Fukuyama – The end of history.

Nicolas Bonnal – Comment les Français sont morts. Littérature et conspiration (Amazon.fr)

René Guénon – Le règne de la quantité et les signes des temps

Marx – Le capital, livre I, chapitre VI