Jocaste et Chimène

Ouverture libre

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 937

Jocaste et Chimène

En mai 2015, j’écrivais dans "Ouverture libre" ceci: " Il se passe en France un évènement intéressant qui relève de l’anthropologie, de l’histoire, et de la politique: le divorce père-fille chez les Le Pen. Les liens du sang en politique ne sont pas rares mais il est peu courant dans une famille de voir un père faire succéder sa progéniture à la tête du parti qu’il a créé. Un monarque adoubant son fils, mais surtout dans notre cas, un père amoureux sacrant sa fille".

Deux ans plus tard, et après l’élection de l’Emmanuel, il faut revenir sur cet épisode et en saisir la portée. Pourquoi? Parce qu’Emmanuel Macron est d’une race familiale plus perverse encore (si on me permet le mot dans son sens étymologique), que celle des le Pen. J’y reviens plus loin. Je soulignais aussi que "Marine va devoir gérer l’incestueuse relation officialisée en 2011, sachant que Jean-Marie ne pourra jamais pardonner une infidélité. Elle se trouve donc en situation de devoir s’opposer de plus en plus radicalement à son père, à le « tuer », si elle veut démontrer sa liberté, non seulement à son père (chose désormais mineure) mais à elle-même et à son électorat qui est un électorat plutôt machiste, c'est-à-dire un électorat qui considère que le père, sa parole, a un poids plus grand que celle de la fille. Mais, en même temps, et c’est là le tragique de notre époque, un électorat qui est, depuis déjà longtemps, repu d’idées féministes selon lesquelles une femme vaut un homme et peut même lui est supérieure. Sinon comment juger l’engouement de millions de machistes Français pour Marine? Cet amour ira-t-il jusqu’à pardonner le meurtre du père qui pointe à l’horizon ? Saura-t-elle incarner une inces-tueuse et s’en prévaloir"?

Deux ans plus tard, elle y est parvenue. C’est son mérite. Ce faisant, la voie de la victoire était théoriquement ouverte puisqu’elle avait franchi l’obstacle, accompli la transgression majeure, le "meurtre" de ce père qui, souvent "à l’insu de son plein gré", entrave ses enfants. Le symbole, l’acte de tuer le père charnel et affectif, lui avait donné la légitimité pour être le Père de la Nation, ou plutôt une sorte de Père-Mère car les comparaisons avec les viragos de l’histoire, qu’elles soient de France, d’Angleterre, d’Allemagne, du Pakistan ou d’Israël ne correspondent pas tout à fait au personnage marinien. Mais enfin, elle pouvait prétendre à être ce Père, à la fois désincarné et tout puissant qui vibre et s’agite dans l’imaginaire collectif. Deux évènements s’y sont pourtant opposés au dernier moment. Son alliance avec Dupont Aignan, homme plus petit que Jean-Marie mais aussi teigneux et revendicatif. Il exigea, elle accepta, bouleversant ainsi à quelques jours du scrutin les 144 points de son programme. Elle crut faire le coup politique de sa carrière: briser le cercle de fer dans lequel les médias et les partis traditionnels depuis des dizaines d’années la cadenassaient. Elle crut qu’une alliance "à droite" allait lui permettre de briser le plafond de verre dont elle avait mesuré l’épaisseur aux régionales. C’était une erreur. Le deuxième évènement qui lui fit perdre le match ce fut une remarquable machine à intox que l’Emmanuel prépara contre elle. Il fit courir le bruit que si elle était agressive au débat télévisé, il le quitterait sans autre forme de procès. Marine, encore mal formée aux subtilités tactiques et stratégiques d’un Sun Tsé, tomba dans le panneau et fit ce que l’Emmanuel voulut qu’elle fît : être agressive. Mais on peut être agressif de maintes façons. Il y a l’agressivité voyante, bruyante, arrogante, et l’agressivité intelligente, douce, patiente, celle qui attend l’erreur de son adversaire pour le clouer. A cette agressivité tout azimuts, désordonnée, à ces ricanements qui n’étaient pas de saison en la circonstance et enfin à cette incapacité à expliquer sans s’énerver les questions de la monnaie pour montrer en quoi l’euro nous menait à la perte, elle perdit l’esprit de finesse et de géométrie que Macron possède au plus haut point… quand il le veut (Il peut aussi hurler dans les meetings comme un hitler de pacotille ou jouer l’offensé en colère contre Sputnik ou RT devant le président russe). Il joua le calme, la pédagogie, la persuasion et comme Marine n’avait pas préparé sa joute, il triompha. Il triompha non de la femme, non de la mère mais de la marâtre. Il faut expliquer le glissement. La Mère il en avait déjà triomphé à sa manière en l’épousant mais sans l’excuse d’une Sphinge menaçante. Il le fit en toute conscience. Ce qui dénote chez lui une capacité intuitive à s’introduire dans le symbolique pour, selon le moment, le détruire ou l’utiliser. Il suffit de voir comment sur les réseaux sociaux la plupart des bêtas qui s’y prélassent, prennent désormais sa défense dès qu’on s’attaque à sa femme de 63 ans. Il suffit aussi de comprendre que cette femme est à un âge où se goûtent les fruits les plus succulents de la vie, fruits dont elle peut dire qu’ils sont venus à elle plus qu’elle n’est allée à eux. On dit qu’elle a violé le jeunot de 15 ans qu’il était. Non, ce n’est pas exact. Je prétends que comme toute femme ultime* de cette époque perverse, elle a aussi l’esprit de géométrie et de finesse. Elle a laissé monter Pieds Gonflés à l’abordage en insistant sur leur différence d’âge, la folie de la chose, pendant qu’au plus profond de son être elle goûtait le beau et bon fruit défendu qui cette fois ne pendait pas à une branche d’Arbre mais à une racine. Elle a joué longtemps le refus, la crainte du quand dira-t-on, les réactions mauvaises des familles devant cet inceste majeur. D’autant plus majeur qu’il est passé comme je l’ai dit sans qu’un Sphinx intervienne, sans qu’une peste se déclenche dans la société amiénoise. A trente neuf ans, pour une femme, quel plaisir plus grand peut-il y avoir d’être conquise non par un vieux friqué mais par un beau gosse intelligent et un peu fou! C’est pas tous les jours que les humains peuvent réaliser leurs fantasmes sans risquer le couperet des lois et des jalousies. Comme l’a dit le psychiatre italien qui a commenté sur internet le cas Macron : dans un milieu populaire, madame se fut certainement retrouvée en prison pour détournement de mineur et le mineur envoyé chez le psy. Rappelez-vous, ceux qui ont assez d’âge, le cas Gabrielle Russier. Cinq ans de moins que Brigitte au moment des faits. On est en 1968. C’est une femme de 34 ans, prof de français comme madame Trogneux, mère de deux enfants, comme madame. Elle tombe amoureuse de l’un de ses élèves de seconde. Il a 17 ans, ça lui démange. On imagine quand même le tabou que c’est pour un gamin, puceau sans doute, de coucher avec sa prof, c'est-à-dire un peu avec maman! La chose passe mal pour les parents, professeurs d’université proches du parti communiste. Ils portent plainte pour "détournement de mineur". A l’époque la majorité légale est à 21 ans. La femme est arrêtée, emprisonnée, jugée une fois par des juges vindicatifs, puis après appel un deuxième procès doit avoir lieu. Quelques jours avant, Gabrielle se suicide chez elle au gaz. Le garçon entre temps fait fugue sur fugue, a été interné chez les fous à la demande plus ou moins des parents. On est en 1969 la France sort d’un épisode qu’on peut bien dire révolutionnaire et qui se termine, comme tous les épisodes révolutionnaires, par une réaction conservatrice. Gabrielle en est la victime mais son sort ne laisse pas insensible la plus haute autorité de l’état, le président himself, ancien banquier de chez… Rothschild justement! La profession inviterait-elle à l’empathie? Toujours est-il que Pompidou, homme cultivé, agrégé de lettres, grand amateur de littérature et libéral, sait ce qu’est la συμπάθεια, le syn-pathos, dans de pareilles circonstances. A la demande d’un journaliste qui l’interroge sur ce suicide, il cite les premiers vers du poème que Paul Eluard avait écrit à la libération pour les femmes qui avaient couché avec les Allemands, qui furent tondues et humiliées publiquement par les résistants qui eux avaient risqué leur vie pendant qu’elles "risquaient la Vie", si je puis dire, en cherchant de l’amour là où partout régnait la haine. "Comprenne qui voudra/ Moi mon remords ce fut/ la malheureuse qui resta/ Sur le pavé, dit-il en conclusion de sa conférence de presse. C’était il y a 48 ans. L’avantage d’un président aimé et respecté par la majorité des Français, c’est qu’il est vraiment la tête du pays et parfois aussi le cœur. Personne ne s’insurgea, personne ne critiqua ni Gabrielle, ni le Président. Tous comprirent que s’était produit là un grand malheur humain et que les grands malheurs humains sont au dessus des lois et que les lois, dans ces cas, sont presque scélérates quand leur application aveugle pousse les humains vraiment humains, au suicide. Brigitte Trogneux-Macron devient première dame de France, femme de président, 48 ans après la mort de Gabrielle Russier, Emmanuel vient au monde 9 ans après la mort de Gabrielle. Brigitte avait 15 ans quand Gabrielle s’est tuée. La France a bien changé depuis et en si peu de temps!... Mais c’est quoi qui a changé? Les lois? Oui, pas mal. Les hommes et les femmes? Oui, incontestablement. Les mœurs, voire même l’anthropologie? C’est bien le cas puisque les pédés se marient et veulent des enfants avec ou sans l’organe pour le fabriquer et que le sperme nécessaire se stocke à la… banque! Brigitte aura-t-elle un enfant de l’Emmanuel? La médecine le pourrait. Ça serait une sacrée première! Ou bien Emmanuel aura-t-il la chance d’Abraham à qui Sara son épouse prête l’égyptienne Agar, mère d’Ismaël et des Musulmans. On se perd en conjonctures dès qu’on s’intéresse à l’histoire contemporaine mesurée à l’aune de l’histoire universelle et qu’on la voit comme un Eternel Retour.

Une chose est sûre. Les Françaises ne seront plus des Gabrielle et ne condamneront plus ni les patriarches, ni les jeunots qui leur font des écarts. Le peuple de France avait une Fille, une sorte de Jeanne qui avait tué le père avec un certain courage et qui s’était particulièrement attaché à un jeune homosexuel assumé qui, en quelque sorte, le remplaçait. C’était à la fois Chimène le Pen et Rodrigue. Les Français et les Françaises ont maintenant un jeunot qui a bien connu sa mère et qui la connait encore, qui ne semble pas en avoir honte, au contraire. Jocaste, de son côté, n’a certainement pas l’intention d’aller se pendre. Il se pourrait même qu’elle se fasse une Merkel à domicile pour notre président. Toujours en se fiant au miroir ensorcelé de l’histoire, la femme d’un pharaon encore inconnu pourrait-elle surgir des sables égyptiens et s’amouracher de l’Emmanuel en le mettant au défi d’une nouvelle mer Rouge ? On sait pas. L’histoire est cruelle.

Marc Gébelin

 

Note

* Pour le concept de "Femme originelle" et "femme ultime". Voir Raymond Abellio