Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
48555 août 2019 – Depuis 2008, semble-t-il, à chaque élection présidentielle aux États-Unis, surgit un accident inattendu, une sorte de Joker, un candidat qui n’a aucune chance qui, soudain, semble avoir une chance. En 2008, on crut quelques semaines qu’Obama était ce Joker avant qu’on ne découvre qu’il s’agissait d’une carte-maîtresse et consentante de l’aile gauche du Parti Unique. Le véritable Joker, cette année-là, ne le fut pas trop longtemps. Il fallut attendre 2012 pour vraiment croire, sinon pendant quelques mois disons pendant quelques semaines, que Ron Paul, l’indomptable vieux sage, était un véritable Joker. Puis le vieux sage fut, après une belle résistance, gobé par l’aile droite du Parti Unique.
En 2016, le Joker fut... Vous savez bien qui, et plus encore qu’il fut élu. Trump ne peut pas être le Joker 2020, il a déjà servi. Ainsi sommes-nous d’ores et déjà à la recherche du Joker 2020. Il se pourrait que l’on puisse s’arrêter un peu plus sérieusement à l’hypothèse que Tulsi Gabbard soit ce Joker. Elle ne cesse d’enchaîner plusieurs dynamiques qui lui donnent une position importante dans le système de la communication :
d’abord, des initiatives ou des événements où elle figure à son avantages d’une façon inattendue, d’une façon originale, d’une façon assurée, etc., comme sa plainte contre Googleou sa prestation superbe lors des deux débats des candidats aux primaires démocrates, dont elle sortit victorieuse dans les sondages populaires malgré les manipulations contraires, lors du premier comme lors du second, la semaine dernière, où elle a littéralement mis en pièces sur sa gestion des prisons en tant que procureur(e) l’une des favorites, la sénatrice Harris, qui répliqua, avec un pathétisme innocent, en l’accusant d’être un agent russe;
ensuite, des occasions où elle figure comme sujet de polémique, de jugements contraires, de soutiens inattendus et contradictoires, mais sans jamais lasser l’intérêt des commentateurs, et plutôt en suscitant des positions surprenantes ;
enfin, elle est attaquée par un courant continu de diffamation et de dénonciations expertement bornées, extraordinaires de puissance et de stupidité, selon un scénario usé jusqu’à la corde (faire d’elle un agent russe, une “marionnette de Poutine”, etc.) qui, à la longue, ridiculise plus ceux qui l’utilisent que celle qu’ils visent ; ainsi montre-t-on et mesure-t-on en même temps la haine que la candidature Gabbard suscite dans le Système...
On observera que dans ces “plusieurs dynamiques”, certaines sont négatives, principalement celles qui font de Gabbard une “marionnette de Poutine”. Effectivement, si elle ne perd pas son sang-froid, – et elle montre jusqu’ici une remarquable maîtrise, – Gabbard peut tourner à son avantage ces accusations considérables qui s’entrechoquent de plus en plus avec les diverses réalités (les épisodes Trump, enquête Mueller, etc.), et même avec les orientations politiques fondamentales (hostilité désormais affirmée à la Chine, ce qui tend à diminuer l’antagonisme de communication avec la Russie que certaines plumes inattendues recommandent d’abandonner). L’un dans l’autre tenant compte de ces contradictions, on peut considérer que même ces “dynamiques négatives” alimentent la stature de communication de Gabbard, sa notoriété, le rythme de son affirmation, etc.
Il m’est apparu que trois articles très typiques sur Gabbard, écrits très récemment, donnent un bon exemple, d’une part de la complexité du personnage politique qu’est Gabbard, de l’autre de la complexité non moins grande des réactions qu’elle suscite. (Je laisse de côté la littérature haineuse, – selon le terme utilisé par les censeurs des GAFA qui ne censurent rien lorsqu’il s’agit d’une haine de cette sorte, – parce qu’il est facile d’en retrouver la duplication contre diverses personnes au fil des années, dans la presseSystème et les faux-nez neocon.)
• Le premier article est un texte du Saker-US du 24 juillet 2019, qui condamne avec un certain regret Gabbard après l’avoir identifiée comme cédant aux pressions d’Israël.
«... Cela étant dit, Gabbard est toujours la seule candidate en lice qui veut légaliser le cannabis (du moins autant que je sache), qui veut réformer ce qu'on appelle justement le système du “Goulag US”, qui Medicare For All. Je pense toujours qu'elle est très sympathique et probablement sincère. Mais elle n'a certainement pas ce qu'il faut pour s'attaquer à ce qui est de loin le pire problème des États-Unis : le fait d’être une colonie soumise au dernier État ouvertement raciste de la planète, et il s’agit d’une question morale fondamentale. C'est le genre de question où aucun compromis n'est possible, du moins pour une personne honnête. Gabbard a choisi de faire des compromis à ce sujet, ce qui la rend inutile pour ceux qui veulent libérer les États-Unis et rétablir pleinement leur pleine souveraineté. »
Il est vrai que Gabbard, à côté de ses prises de position antiguerre, anti-regime change, etc., a voté à plus d’une reprise dans un sens qui la rangerait du côté du Système (plus que directement du côté d’Israël). Le Saker-US ne pourrait-il pas lui appliquer le principe qu’il applique lorsqu’il défend Poutine contre ceux qui critiquent Poutine pour ce qu’ils jugent être ses “faiblesses”, et ses liens amicaux avec Israël, – jusqu’à faire de Poutine une “marionnette de Netanyahou” ? Le principe selon lequel il faut savoir lâcher du lest et évoluer prudemment lorsqu’on ne possède pas toutes les cartes en mains et qu’on ne dispose pas d’une puissance suffisante ? Après tout, Poutine, comme Gabbard, reste également une énigme.
• Le 2 août 2019, Tom Luongo a publié un article enthousiaste pour Tulsi Gabbard (voir Strategic-culture.org du 2 août 2019 et ZeroHedge.com du même 2 août 2019), après le second débat où elle pulvérisa Harris.
« Harris était sortie victorieuse de l’un des deux premiers débats[Gabbard était dans l’autre] et Gabbard l'a réduite à néant dans le second avec l'une des meilleures minutes de télévision politique depuis que Donald Trump avait dit à Hillary Clinton : “Parce que vous devriez être en prison”.
» Maintenant, les gars, laissez-moi vous dire une chose. J'écris et je parle beaucoup de Gabbard et il y en a un certain nombre, politiquement sur ma droite, qui la soupçonnent d’être une sorte de sous-marin travaillant pour Israël ou pour l'establishment. Si c’était le cas, elle ne serait pas à 1% dans les sondages alors qu’elle entrait dans ce débat. [...]
» Non, le fait que Gabbard soit attaquée aussi vicieusement et sans véritable argument factuel par tant de personnes bien placées à gauche et à droite est la preuve 1) qu’elle est sincère et qu’elle est bien ce qu’elle dit être, et 2) qu'ils ont tous peur d'elle. »
• Enfin, ma troisième citation ne va pas contribuer à éclaircir le cas, – disons, pour ceux qui jugent ce cas nébuleux, – c’est-à-dire l’énigme Tulsi Gabbard, qui elle est, ce qu’elle veut et ce qu’elle va devenir... C’est un article assez long du New York Times du 3 août 2019, – je dirais “assez” et même remarquablement fourni de la part du quotidien qui est une bombastique et globale référence du Politiquement-Correct, pour une candidate de mauvaise réputation qui fait 1% dans ses propres sondages (du NYT) pour la désignation démocrate, pour USA-2020. Comme tout bon lecteur de dedefensa.org le sait, c’est à ma connaissance le deuxième article conséquent du NYT sur Gabbard-toujours-à-1% en une semaine, et sur un ton qui est loin d’être désagréable, persifleur, diffamant. Certes, il y a toujours les réserves, mais dites un peu comme on fait le “minimum syndical”, et le reste étant un récit assez arrangeant, intéressant et parfois bienveillant...
L’article est très singulier finalement : rappelant sans cesse qu’elle n’a guère/aucune chance d’être élue, et pourtant énumérant, parfois avec cette sorte de bienveillance presque désinvolte mais aussi respectueuse dont je viens de parler, ce qu’elle ferait si elle était élue présidente. Somme toute, cet article est aussi énigmatique que l’avenir de la candidature-Gabbard, voire de Gabbard elle-même, et sa conclusion dévoile une obsession dont elle a ressenti tout le poids lors d'une fausse alerte nucléaire en janvier 2018...
« Mme Gabbard dit qu'elle est motivée par le sentiment que la mort peut survenir à tout moment, ce qu'elle a réalisé à l'âge de 10 ans mais qui est devenu bien plus intense en Irak.
» “Mon premier déploiement a eu lieu au plus fort de la guerre en 2005. Nous étions à 40 miles au nord de Bagdad. Et il y avait un panneau près de l'une des portes principales qui disait : ‘Est-ce le jour, aujourd’hui ?’ C'était un rappel si brutal que mon heure pouvait venir à tout moment, que n’importe quel jour pourrait être mon dernier jour.”
» Elle ignore qui avait mis en place ce panneau avec cette inscription, ni pourquoi. Mais c'est ce message d’un malheur potentiellement imminent qu'elle a voulu laisser à l'auditoire lors du deuxième débat démocrate.
» “Tandis que nous sommes ici ce soir”, a-t-elle dit à la foule. “Il y a des milliers de missiles nucléaires pointant droit sur nous, et si nous devions être attaqués, nous aurions 30 minutes, 30 minutes, avant d'être touchés.”
» Mme Gabbard a poursuivi :
» “Il n’y a pas d’abri. C’est le simulacre du belliciste [de faire croire qu’il y a un abri]. Il n'y a pas d'abri. C’est un mensonge absolu.” »
L’article décrit une visite de Gabbard à une ferme solaire dans une réserve indienne où les descendants de la nation des Lakotas l’ont reçue. Elle leur a vivement conseillé de poursuivre leur quête pour leur souveraineté et une photo la montre, sur fond de thipis dans les dernières lueurs du couchant, soleil déjà disparu, dans la pénombre du ciel immense et paradoxalement lumineux des Grandes Plaines, et elle comme une Indienne (Native-American) parlant à sa tribu... Très curieusement, l’article du NYT donne cette précision énigmatique que parmi ceux qui l’accompagnent se trouve son conseiller de campagne Solomon Moore, ancien correspondant étranger pour le Los Angeles Times et aussi justement pour le New York Times, Solomon Moore « qui dit que les raisons pour lesquelles il aime Gabbard et pour lesquelles il a décidé de travailler pour elle doivent rester secrètes. » Le NYT respecte ce vœu et cite alors Stephen Konzer, chercheur au Watson Institute for International and Public Affairs de l'université Brown, qui ne se fait pas d'illusions sur les chances de Mme Gabbard :
« Beaucoup d’entre nous dans le monde de Tulsi, nous ne cultivons tout de même pas le phantasme jusqu’à croire qu’elle arrivera à gagner cette course où elle est engagée, mais elle sert un grand objectif dans cette campagne parce qu'elle dit des choses que personne d'autre ne dit... »
Mais c’est bien sûr, avec tant d’inconnus, de coups d’éclat, tant d’énigmes et de paroles si frappantes, tant d’évocations terribles ou nostalgiques, la jeune Tulsi Gabbard est d’ores et déjà le Joker de USA-2020, même avec 1%... Pour rester dans la course, selon les règles du parti démocrate, il faut qu’elle atteigne d’ici le mois prochain 2% d’intentions de vote en sa faveur dans au moins quatre sondages reconnus, et elle n’a atteint pour l’instant ce score que dans un seul. Nous sommes, on le voit, à des hauteurs considérables ; mais je préfère parler de “quantité” plutôt que de “hauteurs”, et, au fond, tout au fond, – au diable le règne de la quantité !
Pour le reste... Demain est un autre jour comme chacun sait, et chacun sait également que notre “étrange époque”, surtout et essentiellement à “D.C.-la-folle“, n’est pas avare de surprises.