J.P Dupuy sur l'apocalypse

Ouverture libre

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 684

J.P Dupuy sur l'apocalypse

Quelques mots de J.P Dupuy au sujet de la catastrophe, de l'écologie, de l'apocalypse, du sacré, de la religion..

L'ensemble de l'entretien vaut la lecture pour qui est confronté comme lecteur de de defensa a la notion d'eschatologie.

La pensée de Dupuy, faite de connaissance profonde et d'un néo-christianisme inspiré de René Girard mérite de façon générale le détour, tant pour elle même que comme cas d'une offensive intellectuelle catholique plus large dont l'influence est déjà grande et promise à de plus grands développements.

(Pour un point de vue critique sur Girard voir Le feu sacré de Régis Debray.)

«Propos recueillis par Catherine Halpern…

»Votre discours a souvent des accents apocalyptiques. Dans votre dernier ouvrage, La Marque du sacré, vous faites le lien entre le “désenchantement du monde” dont parlait Max Weber, autrement dit le recul des croyances religieuses, et l’incapacité à voir la catastrophe écologique qui guette. Pourquoi? Seule la foi pourrait-elle sauver le monde?

»Je crains que votre question repose sur un malentendu (ou un mal expliqué) au sujet du religieux. Je crois en effet que la crise présente est apocalyptique, au sens étymologique du mot: elle nous révèle quelque chose de fondamental au sujet du monde humain. Et ce dévoilement porte, comme dans les apocalypses de la Bible, sur la violence des hommes. Des hommes et non pas de Dieu.

»On accuse souvent l’éthique environnementale d’être une morale et une religion. Les hommes ayant dépassé les limites sacrées que la nature, ou Dieu, leur assignait, ils seraient punis spectaculairement pour cela – à la manière dont les dieux de l’Olympe dépêchaient Némésis pour châtier leur démesure. Mais cela, c’est une histoire grecque qui n’a rien à voir avec le judéo-christianisme. Il y a en effet des rapports profonds entre la catastrophe écologique qui s’annonce et l’apocalypse, mais le combat écologique n’implique pas de sacraliser la nature, et l’apocalypse, ce n’est pas le châtiment divin.

»Dans l’Apocalypse de Marc (13. 1-37), un disciple de Jésus lui fait admirer la splendeur du Temple. Jésus lui répond: “Tu vois ces grandes constructions? Il ne restera pas pierre sur pierre: tout sera détruit.” Les disciples demandent quand cela se produira, et quels seront les signes annonciateurs. Mais Jésus refuse de se laisser entraîner dans l’excitation apocalyptique. Il désacralise tant le Temple que l’événement de sa destruction. Tout cela n’a aucune signification divine: “Quand vous entendrez parler de guerres et de rumeurs de guerres, ne vous alarmez pas: il faut que cela arrive, mais ce ne sera pas encore la fin.” La conclusion: “Prenez garde, restez éveillés, car vous ne savez pas quand ce sera le moment.”

»Ce texte admirable use du langage apocalyptique pour désacraliser l’apocalypse. C’est une ruse qui subvertit l’apocalypse de l’intérieur. Le catastrophisme éclairé n’est que la transposition de cette ruse à notre crise présente. Croire au destin pour éviter qu’il se réalise, telle est la rationalité paradoxale que je cherche à promouvoir. Cette croyance est tout le contraire d’une fascination car elle implique une essentielle mise à distance.

»Nous trouvons dans cette autodémystification de l’apocalypse tous les ingrédients de ce que devrait être le combat écologique, fût-il, comme il doit l’être, complètement laïque. Il n’existe aucune limite que le sacré ou la nature, ou la nature sacralisée, nous imposent. Or il n’y a de liberté et d’autonomie que par et dans l’autolimitation. Nous ne pourrons trouver les ressources de celle-ci que dans notre seule volonté d’être libre. Mais garde à la tentation de l’orgueil! Si nous nous contentions de dire que l’homme est responsable de tous les maux qui l’assaillent, jusques et y compris les catastrophes naturelles, à l’instar de Jean-Jacques Rousseau après le tremblement de terre de Lisbonne, nous perdrions la dimension de transcendance, celle-là même que préserve l’apocalypse désacralisée. Afin de nous inciter à veiller, le catastrophisme éclairé, au sens où je l’entends, consiste à se projeter par la pensée dans le moment de l’après-catastrophe et, regardant en arrière en direction de notre présent, à voir dans la catastrophe un destin – mais un destin que nous pouvions choisir d’écarter lorsqu’il en était encore temps.

»J’assume entièrement cette dimension religieuse de l’écologie, pour la bonne raison que toute pensée des questions dernières est inévitablement prise dans le religieux. Mais l’erreur à dénoncer est la confusion du religieux et du sacré. Il en va de la possibilité d’une écologie politique qui ne verse pas dans le moralisme voire dans le fascisme.»

Du même lire Retour de Tchernobyl, bien sûr d'actualité.

GEO