JSF: Boeing sent l’odeur de la chair fraîche

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JSF: Boeing sent l’odeur de la chair fraîche

17 mars 2008 — Boeing développe une offensive qui peut devenir significative d’alternative aux JSF/F-35, marquant combien les difficultés du JSF commencent désormais à mettre en place une situation nouvelle. Plusieurs points, déjà développés sur ce site et auxquels nous renvoyons respectivement, signalent ou expliquent cette offensive lorsqu’ils sont rassemblés et confrontés.

• Pour la première fois, Boeing se place en concurrent du JSF avec son F-18E/F Super Hornet sur deux marchés étrangers, de deux pays qui font partie du programme international du JSF. Il y a déjà eu la Norvège. Il semble que Boeing ne soit pas autorisé à concourrir à cause du délai des inscriptions dans la compétition, mais ce point reste à être éclairci. Plus récemment, Boeing a effectué la même démarche avec le Danemark. (Le Danemark veut 48 avions de chasse pour remplacer ses F-16 et le JSF était jusqu’à l’année dernière largement favori; désormais, c’est moins certain et le Gripen est aussi en piste. Le Danemark prendra une décision “après la Norvège” qui doit se décider courant 2009 pour un futur chasseur, avec jusqu’à récemment le JSF contre le Gripen.) Selon Defense News du 13 mars:

«Boeing is considering whether to make a late bid for Denmark's upcoming purchase of fighter jets with the latest version of the F-18E/F Super Hornet. (…)

»In a March 13 statement, Danish Defense Minister Soren Gade welcomed the Boeing move. ''More candidates sharpen the competition, thus increasing our possibility to be a good buyer,'' he said. Gade said the Ministry of Defense would soon meet with Boeing to clarify the requirements for Boeing to enter the competition.

»A Boeing statement said MoD officials had requested the meeting.“Denmark has requested information on the capabilities of the Super Hornet, which we plan to deliver later this month. We look forward to better understanding Denmark's fighter requirements and will determine if an F/A-18E/F solution meets their key requirements following those meetings,” the statement said.»

• Il y a le cas, évoqué sur ce site le 15 mars, d’une mise en cause fondamentale du JSF au Congrès, selon l’amendement Nunn-McCordy. Celui qui met en avant cette possibilité, le sénateur Bond du Missouri, évoque un “plan B” avec notamment relance du F-15 de Boeing. (C’est dans le Missouri que le F-15 est produit.) Il s’agit clairement d’une initiative suggérée par Boeing, qui fabrique le F-15.

• Il y a le cas de l’U.S. Navy, qui a toujours été rien moins qu’enthousiate pour le JSF, qui envisage une commande de 69 Super Hornet, voire une nouvelle version de cet avion (dite “4,75”), “au cas où le JSF connaîtrait des délais importants”. L’U.S. Navy n’a pas besoin de Boeing pour prendre de telles initiatives mais il est manifeste que cette initiative favorise Boeing contre le JSF et peut être placée dans ce cadre d’une “offensive anti-JSF” de Boeing. Il n'est pas impossible que la version “4,75” soit déjà largement avancée et qu'elle puisse prétendre un jour concourir à l'exportation.

• Il y a le cas de l’Australie. Pour l’instant, l’Australie a deux sujets de mécontentement: le coût trop élevé ($4,6 milliards) des 24 Super Hornet commandés en catastrophe en 2007 par le précédent gouvernement, pour faire la soudure avec les futurs JSF de plus en plus en retard. Mais le nouveau gouvernement met aussi en cause le JSF et voudrait le F-22. La possibilité d’avoir du F-22 reste pour l’instant très improbable et l’on peut envisager comme probable qu’une alternative, si le JSF continuait à décevoir les Australiens et connaissait de graves revers aux USA même, soit une offensive de Boeing offrant un nouveau “package” de Super Hornet, en réaménageant les prix, en offrant plus que les 24 actuellemennt commandés pour remplacer toute la commande JSF (100 exemplaires), voire en offrant sa version “4,75” du Super Hornet dans le même ordre de nombre.

• Indirectement, enfin, il y a l’affaire, que nous avons déjà évoquée dans ce cadre, du KC-45. Par enchaînements indirects, cette affaire rapproche Boeing des démocrates, puisqu’elle l’oppose à une administration républicaine qui “couvre” le choix Northrop Grumman/EADS et au candidat républicain McCain, qui avait fait capoter les premiers marchés du futur KC-45 où Boeing était seul en lice. Se rapprocher des démocrates, c’est se rapprocher du possible futur président et se rapprocher de la majorité au Congrès. C’est, enfin, se rapprocher d’un courant plus défavorable au JSF que l’actuelle administration.

Eventuellement, une chance historique pour l’Europe

Cet activisme de Boeing dans le domaine de la défense correspond évidemment à la mauvaise situation la division défense de cette société. (Programme KC-45 perdu, programme C-17 incertain, F-18E/F qui a besoin d’une relance, etc.) Mais si Boeing prend ces initiatives, notamment de concurrence du JSF dans des pays participant au programme international du JSF, c’est qu’il a reçu un feu vert des autorités US. La chose eut été impensable il y a deux ou trois ans. Cela montre au moins que les autorités officielles US, certaines d’entre elles dans tous les cas, doutent désormais, et du destin exceptionnel du JSF, et de son quasi-monopole à l’exportation.

(Précision de forme, pour les âmes sensibles. Bien entendu, nous sommes dans “the land of the free”, au pays de la libre concurrence, comme chacun sait. Tout le monde est libre. Cela dit, chacun sait ce qu’il en est et qu’il y a des consignes, et qu’elles sont impératives lorsque c’est le Pentagone qui les diffusent, même implicitement. Si Boeing fait ce qu’il fait, c’est que les consignes ont changé à mesure des ennuis du JSF et de l’incertitude politique avec le changement d’administration.)

Le cas Boeing est d’autant plus intéressant qu’il ne relève pas d’une concurrence pure et simple, dans la mesure où le JSF est un avion “bâtard”, aux hypothèses de soutien contrastées. Ou bien, la politique US est de tout miser sur lui, comme ce fut le cas jusqu’ici, et alors tout le monde s’incline devant le diktat officiel du monopole décrété à l’exportation du programme. Ou bien, – situation qui s’esquisse puisque Boeing entre dans la danse et que le JSF va mal, – le JSF devient un cas de contradictions et de faiblesses dans la concurrence. Tous les services et le constructeur lui-même apportent dans ce cas un soutien ambigü, voire un soutien contradictoire au JSF. Dans tous les “plans B” évoqués d’alternative au JSF, Boeing est gagnant mais les soutiens traditionnels du JSF se retrouvent également avec des intérêts contre le JSF. Lockheed Martin se retrouve avec le F-22 et une relance du F-16 contre le JSF; l’USAF (F-22, relances des F-15 et F-16) et l’U.S. Navy (Super Hornet et la suite) se retrouvent avec des solutions alternatives au JSF qui les intéressent tout autant. Le JSF devient alors quasiment orphelin de ces soutiens dont il a un besoin impératif pour croître, embellir et survivre. Comme il en a toujours été, le JSF est le programme du “tout au rien”: ou il marche bien et rien ne lui est opposé, ou il a de gros ennuis et tous ses soutiens s’érodent et peuvent disparaître.

Dans cette situation hypothétique qui s’esquisse, le problème est: Que vont faire, que font les Européens? Il est manifeste que les solutions d’offres alternative US envisagées au JSF dans le cas de pays européens, notamment le Super Hornet, sont largement inférieures aux offres que peuvent faire les Européens (Gripen, Rafale, Typhoon), qu’elles sont politiquement encore plus un défi pour les Européens que ne l'est le JSF. (Mais les Européens se sont-ils aperçus que le JSF est un défi?)

Il ne serait pas malvenu que les Européens réalisent que pourrait se dessiner rapidement une nouvelle situation stratégique fondamentale où le quasi-monopole annoncé du JSF pour le XXIème siècle, – et accepté par tous, Européens compris, – serait largement remis en cause avant d’avoir existé. Si l’hypothèse se confirme, il s’agit d’une chance historique pour l’industrie aérospatiale européenne. Ce n’est d’ailleurs pas une raison, – ce n’est pas pour autant que cette chance puisse être seulement considérée, pour ne pas dire jouée. Les Européens, si cette chose existe effectivement comme nous le disent nos dirigeants politiques et élus démocratiquement, semblent absolument paralysés dans ce domaine de l’armement par la concurrence avec les USA sur les marchés étrangers, et plus précisément dans le cas du programme JSF.