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156520 août 2006 — En deux jours très récents, deux articles annoncent des propositions venus des deux géants US de l’armement pour des formules qui permettraient de “résoudre” certains des problèmes nés autour du JSF. Ces formules visent à “compléter” le JSF dans sa forme (projetée) actuelle : l’observation irrésistible venue à l’esprit à l’examen de ces propositions est que le complément n’est jamais bien loin du remplacement.
• Il y a une proposition de Boeing pour une version avancée du F-15 Eagle, le F-15E+ Super Eagle. C’est Aviation Week qui s’en fait, le 14 août, le messager.
« Boeing intends to offer an F-15E+ ''Super Eagle'' to the U.S. Air Force as a less-expensive gapfiller if congressional proposals to delay the Joint Strike Fighter's production are sustained in budget negotiations this summer.
» The company is shooting for a $60-million per-unit flyaway price for a ‘baseline’ Super Eagle, according to Richard Banholzer, director for Air Force business development for Boeing. The baseline would notionally include the Raytheon APG-63(V)3 active electronically scanned array (AESA) radar with air-to-ground attack software, a digital radar-warning receiver and 15 ‘smart stations’ under the wing and conformal fuel tanks for advanced weapons. These technologies could also be retrofitted onto the existing F-15E fleet. The Air Force has 217 F-15E Strike Eagles.
» Boeing planners say an additional wing or two of F-15E+s — perhaps 100-150 aircraft — would fill the long-range-strike role until F-35 Lightning II Joint Strike Fighters reach combat units in sufficient numbers. »
• Il y a une proposition de Lockheed Martin, le constructeur du JSF lui-même, pour une version sans pilote (UAV) de cet avion de combat. La presentation en est assurée, notamment, par l’obligeant Washington Post, le 16 août.
« Lockheed Martin Corp. has proposed an unmanned version of its Joint Strike Fighter, the F-35, which would make it the first full-scale fighter to operate without a pilot and signal the Bethesda weapons maker's push into the growing market for drone aircraft.
» The idea has been in the works for two years, Lockheed Vice President Frank Mauro said at a briefing yesterday. He provided few details but said the plane could be built as an interchangeable hybrid — manned by a pilot for some missions and operated remotely for others. »
Ce n’est pas un hasard si ces propositions sont rendues publiques aujourd’hui. Le Sénat vient de confirmer la réduction du budget du JSF d’un peu plus de $5 milliards pour 2007, de $1,3 milliard. La réduction est directement liée au retard imposée (deux ans) à la production de l’avion, pour permettre une évaluation de la version de série avant de lancer la production.
Cette perspective très sérieuse (tout ce que décide le Congrès au niveau du budget est chose sérieuse, — et la decision du Sénat a toutes les chances de se retrouver dans la FY2007 du Pentagone) ajoutée aux deux propositions impliquent que nous sommes entrés, au niveau US, dans une nouvelle phase de la carrière du JSF. Toutes les parties en présence qui comptent, — c’est-à-dire les principaux acteurs US, — ont admis que le JSF ne sera jamais comme il fut d’abord planifié. On peut désormais songer à des propositions de complément qui pourraient devenir des solutions de remplacement.
On observe que si l’on met chronologiquement bout à bout les deux propositions, avec le JSF classique au milieu, ce “JSF classique” tend à se réduire comme une peau de chagrin. Le F-15E+ est une solution qui peut s’étendre sur une partie importante des JSF, et qui a la possibilité de séduire l’USAF qui aime les avions lourds, surtout pour la pénétration à grande distance. Dans ce dernier cas, un ‘couple’ F-22/F-15E+ ferait peut-être mieux l’affaire qu’un ‘couple’ F-22/F-35.
Quant à un JSF unmanned, rien de plus naturel. L’idée est depuis longtemps dans l’esprit de l’USAF. La proposition de Lockheed Martin, dont on voit désormais d’où elle vient, a de fortes chances d’y trouver un écho favorable... “L’idée depuis longtemps dans l’esprit de l’USAF”? En septembre 1996, dans une interview faite par Air Force Magazine, le chef d’état-major d’alors de l’USAF, le Général Fogleman évoquait très précisément cette possibilité. On lisait dans l’article : « After reconnaissance, [Fogleman] continued, the next area that starts to make sense as a UAV mission is an “unmanned attack airplane of some sort.” Such an aircraft would be able to carry a lethal payload over a long distance and deliver it with precision.
» “What you're looking for there is the optimum mix in a truck-like vehicle,” but which would “leverage the tens of thousands of cheap Joint Direct Attack Munitions that we're going to have in the inventory” in the early twenty-first century, “without putting a man at risk.”
» The General speculated that the Block 50 version of the Joint Strike Fighter, due to make an appearance around 2020, “may very well be an unmanned aircraft of some type.” »
Ces propositions reflètent évidemment une atmosphère favorable à leur éventuelle prise en compte par le Pentagone. De ce fait, elles ont aussi une signification au niveau opérationnel. Elles nous permettent de mieux comprendre ce qu’est le JSF pour l’USAF, en théorie le principal utilisateur de l’avion. Cela rejoint la critique que font certains experts australiens du choix (JSF) de leur pays. Cette critique développe l’idée que le JSF finira par être débarrassé des missions les plus sophistiquées pour être réduit aux missions d’appui tactique où il sera un “truck-like vehicle” chargé jusqu’à la gueule de munitions avancées type-JDAM. La logique de cette évolution est que l’avion, au bout du compte, ne nécessite pas de pilote pour des missions aussi primaires et contrôlées de toutes les façons, et d’une façon extrêmement serrée, par des systèmes plus sophistiqués.
Ces divers éléments, y compris la déclaration de Fogleman remontant à 1996, nous permettent de rappeler et de préciser la réelle pensée de l’USAF à l’égard du JSF.
• Pour l’USAF, le JSF est un avion de “deuxième échelon”, beaucoup plus que ne le fut jamais le F-16 ; un avion ayant peu de capacités autonomes, dépendant d’un contrôle extérieur (ce qui est encore plus le cas, bien entendu, lorsqu’on évoque une version non pilotée) et essentiellement destiné à un seul type de missions principale, qui est l’appui tactique très fortement contrôlé.
• Son entrée en service n’est nullement impérative dans les délais impartis au départ dans la mesure où l’avion n’est pas nécessaire pour des missions centrales, et dans la mesure aussi où des substituts peuvent lui être trouvés. (Par exemple, la décision d’ores et déjà prise de prolonger la vie de plus de 200 A-10A au lieu de les déclasser.) L’idée d’un F-15E+ (pouvant également conduire, en plus de nouveaux exemplaires, à la modernisation des actuels F-15E) vient d’autant plus à son heure qu’elle prive de facto le JSF d’une mission marginale pour lui, mais qui peut lui demander une certaine autonomie. Si une solution type-F-15E+ était adoptée, il se pourrait qu’on assiste à un certain downgrading du JSF.
L’annonce de ces initiatives complète le sombre tableau de l’évolution du programme JSF de ces derniers mois. Elle fixe à la coopération internationale qui est en train d’être débattue pour entamer une nouvelle époque une place significative, complètement annexe. Le JSF “normal” (celui qui était offert à la coopération) est promis à être effectivement réduit comme une peau de chagrin, tandis que son retard d’ores et déjà significatif devrait s’allonger encore. Il deviendra de plus en plus un outil complètement annexé à un système général, où le contrôle du Pentagone est total. C’est dans ce système que les forces aériennes étrangères acquérant le JSF devront s’intégrer, perdant naturellement tout espoir d’autonomie et de souveraineté. Elles perdront également toute influence et devront subir la “loi du marché” propre au système, tant pour les coûts que pour les modalités d’emploi.
Comme d’habitude, le système ne montre aucune patience ni aucune habileté de dissimulation. D’ores et déjà, avec ces propositions de nouvelles formules de “complément-remplacement”, le JSF apparaît pour ce qu’il est. La chronologie est fâcheuse, dans la mesure où cette mise en lumière s’effectue alors que l’engagement des pays non-US est en négociation.
Mais le système ne s’embarrasse pas de ces subtilités. En l’occurrence, ce qui compte c’est l’intervention du Congrès. Le Congrès ayant monté son intention de prendre le contrôle du programme JSF, et notamment tenter de le remettre dans une orientation moins risquée et moins coûteuse, les prétendants se pressent pour occuper les espaces nouveaux qui vont être ainsi libérés. Ce sera aux coopérants internationaux, — ceux qui le peuvent et surtout ceux qui le veulent — de comprendre ce que cela signifie pour eux. D’autre part, les réalités du développement et de l’entrée en production, qui s’étendra encore sur près de dix ans, se chargeront de le leur faire comprendre.
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