JSF-Enron et JSF-Marx brothers

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JSF-Enron et JSF-Marx brothers

12 juillet 2002 — Ce fut une conférence de presse intéressante, celle de Pete Aldridge et de son vis-à-vis turc, pour la signature du Memorendum of Understanding entre USA et Turquie sur la participation de la Turquie au programme JSF.

Cela se passe le 11 juillet au Pentagone, à 12H45. La Turquie vient de s'engager dans le programme JSF, par la signature de son sous-secrétaire à la défense pour l'Industrie, Ali Ercan. Le Turc est reçu par Edward C. ''Pete'' Aldridge, sous-secrétaire à la défense pour l'acquisition, la technologie et la logistique.

Nous retiendrons essentiellement deux passages de cette réunion, qui nous disent beaucoup sur les méthodes du Pentagone et sur les relations avec les alliés, — dans le cadre de la ''coopération'' JSF et en dehors.

Enron (nombre) versus Marx brothers (prix)

Un premier passage nous intéresse, celui où Pete Aldridge est interrogé sur le nombre de JSF que les USA commanderont. Voici la citation complète de ce passage de la conférence de presse :

Q: Mr. Secretary, what's your current estimate of the number of JSFs that will be purchased by the United States? With the Navy possibly reducing its buy by 400 or more.

Aldridge: The plans are still highly fluid at this point. The estimate in the beginning to establish a unit price for the airplane was 3,000 airplanes. That included only the U.S. and U.K. purchase. We had not anticipated, not used for the calculation of unit price an of the foreign or non-U.S. partnership purchasers of that.

As you know the Navy's done a study, the Navy/Marine Corps, looking at a total number of about 400 reduction from the 3,000 which would bring us down to 2,600. That's still being worked. It will be part of the FY04 budget submission, exactly how those allocations will be done, but there is no impact to the program to the year 2012 because we would just be building up production. That's at the end point, at the end of the production run, which will be in the year 2020. And totally honestly, I have no idea how many airplanes we're going to buy in the year 2020, nor do we have any idea of how many non-U.S. partners will buy, but we anticipate that's going to be in the range of 1,000 to 2,000 which would be on top of the 3,000 which was our original estimate.

If you look around the world and say that many of the people who have U.S. aircraft like Turkey with F-4s, F-5s, F-16s, and you just replace those with Joint Strike Fighters, the number could be in the several thousands.

Q: You just said that you anticipate that's going to be in the neighborhood of 1,000 to 2,000, the number bought by...

Aldridge: I'm being conservative here.

Q: The number that had been previously used by you and by General Howell was as much as 3,000.

Aldridge: It could be as much as 3,000 if you take the high end of the expectation. I just don't know how many that's going to be because nobody's committed to it, and we're talking about the year 2020. I just don't know in the year 2020. For cost estimating purposes, for affordability purposes, we're using around 3,000 airplanes and that's where our unit cost is derived from.

Q: When you say we're using around 3,000 airplanes that are the part for the U.S. purchase?

Aldridge: U.S. and U.K.

Q: What's that estimate? The per unit price.

Aldridge: The estimate right now, in 2002 dollars for the conventional airplane is $37 million. For the STOVL [short take-off and vertical landing] version it's a little more expensive and it will be something around $47 million.

On peut faire plusieurs remarques. Elles concernent le fluid qui caractérise désormais l'évaluation américaine de l'avenir du JSF, après des années de certitudes de bronze à cet égard. Ce fluid est partout dans les réponses d'Aldridge, lorsqu'on touche aux choses sérieuses que sont principalement l'engagement national (USA) dans le programme en termes de commande et les estimations de coût qui en dépendent.

• Premier fluid : le volume de la commande. On connaît le chiffre entendu depuis le début de la présentation du programme : 3.000 pour USA et UK (2.852 pour les trois services US, l'USAF, l'USN et l'USMC, 150 pour la RAF et la Royal Navy). Désormais, la chose est infiniment plus fluid, comme l'indique Aldridge: «totally honestly, I have no idea how many airplanes we're going to buy in the year 2020, nor do we have any idea of how many non-U.S. partners will buy, but we anticipate that's going to be in the range of 1,000 to 2,000 which would be on top of the 3,000 which was our original estimate. [...] It could be as much as 3,000 if you take the high end of the expectation. I just don't know how many that's going to be because nobody's committed to it, and we're talking about the year 2020. I just don't know in the year 2020.»

• Ce fluid du volume de la commande s'explique essentiellement, et de façon évidente, parce que personne n'a encore décidé de son engagement. Ainsi a-t-on une confirmation précise du fait que la Navy travaille sur ses besoins et qu'elle prend comme hypothèse une réduction de 400 sur le volume de la commande théorique USN + USMC (480 + 650). Encore ne parle-t-on pas des surprises possibles, dont des sources au Pentagone n'excluent pas que certaines pourraient être « radicales » (une réduction bien plus forte que 400 de la part de la Navy si l'orientation stratégique est prise de favoriser le programme F-18E/F). Le rapport de la Navy devait être rendu public à la fin avril, après la divulgation de l'intention théorique d'une réduction de 400. Rien n'a été annoncé parce que la Navy y travaille toujours, et l'on sait que la tendance générale est plus que jamais à la réduction des commandes et à une évolution vers plus d'automatisme (UAV/UCAV notamment).

• Le plus fluid dans les déclarations de Aldridge se trouve certainement dans sa description rapide de la méthode de détermination du volume des commandes nationales (où UK est inclus, ce qui n'étonne pas). Aldridge explique que, « [f]or cost estimating purposes, for affordability purposes, we're using around 3,000 airplanes and that's where our unit cost is derived from. » En d'autres termes, les indications de commandes si précises (650 pour l'USMC, 480 pour l'USN, 1.752 pour l'USAF) représentent une estimation comptable artificielle, indiquant évidemment la commande-plafond pour ces services, de façon à permettre de fixer un coût artificiel par unité. C'est une variante de la méthode Enron appliquée à la prévision de production de l'aviation de combat : fixer une comptabilité maximale complètement fictive (comme Enron faisait monter les cours de ses actions avec une fausse comptabilité très flatteuse) pour déterminer le prix théorique le plus avantageux, qui restera évidemment théorique mais permettra d'avancer un formidable argument pour convaincre des pays étrangers d'entrer dans le programme. (Auparavant, le Pentagone suivait une méthode plus conforme aux réalités, c'est-à-dire inverse : lorsqu'il vendit le F-16 aux quatre pays européens en juin 1975, l'intention de commande ferme de l'USAF, confirmée en janvier 1976, était annoncée à 650 ; cette intention passa ensuite à 1.388 en 1977 et ainsi de suite.) Bref, — ce que nous dit in fine ''Pete'' Aldridge, c'est que le volume-plafond de commande de 2.852, conçu pour des temps et des circonstances idéales, ne sera pas atteint et qu'il vaut mieux se baser pour l'instant sur une estimation fluid d'une commande nationale US de 1.500 à 2.000.

• Dans ces conditions, la détermination du coût unitaire du JSF, que Aldridge maintient à $37 millions-$47 millions, relève, disons, d'une méthode-Marx brothers par rapport à la méthode-Enron utilisée pour déterminer le volume des commandes nationales. Il est plus sérieux de se référer à l'estimation, datant de juillet, de la lettre d'information Inside the Navy, qui fixe le prix du JSF actuellement à $79 millions.

Un clin d'oeil à l'Eurofighter

Deuxième extrait de la conférence de presse de ''Pete'' Aldridge. Extrait très rapide, une question rapide et une réponse aussi rapide, avec les rires (Laughter) qui vont avec dans la salle, qui en disent long sur le ton employé par Aldridge. Cet échange en dit long, également, sur l'état des fameuses special relationships entre USA et UK, — parce que l'Eurofighter est évidemment perçu comme un avion dont la maîtrise d'oeuvre est britannique et l'évident mépris d'Aldridge pour l'avion s'adresse aux prétentions britanniques en la matière.

Q: What sort of reflections do you have now on the prospects for competition from the EuroFighter for foreign military sales?

Aldridge: No contest. [Laughter] Anybody who looks at the EuroFighter versus the Joint Strike Fighter will know the answer.

Thank you very much.

Sur le fond et pour faire un peu de prospective, on suggérera que les relations USA-UK seront intéressantes à observer dans ce domaine de la coopération lorsque des marchés opposeront très sérieusement le JSF et l'Eurofighter, alors que les Britanniques sont à la fois dans le JSF et l'Eurofighter et que les Américains ne manqueront de leur rappeler leur engagement JSF. Un cas existe, la Grèce, où l'intention d'achat de l'Eurofighter par les Grecs a été gelé jusqu'en 2004-2005, et où les Américains offrent désormais le JSF en arguant auprès des Grecs de l'absurdité de choisir un avion de combat qu'ils présentent comme « Aussi évidemment dépassé » que l'Eurofighter.

La sortie ricanante de Aldridge contre l'Eurofighter a été notée par certains journalistes présents. Reuters a diffusé un texte sur cet échange de la conférence de presse, qui reste dans une neutralité de bon ton, en se contentant de rappeler les positions officielles, c'est-à-dire les positions américaines ou sous influence. La partie du texte concernant l'incident est la suivante :

« The Pentagon's chief weapons buyer predicted on Thursday the future Joint Strike Fighter, the biggest warplane project ever, would shoot down its rival Eurofighter in any dogfight for overseas sales.

» ''No contest,'' Edward Aldridge, the Pentagon's No. 3 official, said after Turkey became the seventh nation to partner with the United States in developing the Lockheed Martin Corp. F-35, as it has been designated. ''Anybody who looks at the Eurofighter vs. the Joint Strike Fighter will know the answer,'' he added in replying to a reporter's question about projected sales. »