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4 avril 2007 — Comme un énorme boa, le programme JSF digère l’engagement renouvelé des huit pays alliés dans le programme, signé entre décembre 2006 et février 2007. La digestion ne dure qu’un temps. «Now it really gets hard», nous annonce le colonel de l’USAF Michael Joy, adjoint pour les activités internationales au directeur du programme JSF.
Un article de Aviation Week & Space Technology (accès payant) nous donne quelques indications sur le “really gets hard”, qui concerne en première ligne et d’une façon presque privilégiée ces mêmes huit pays alliés. Comme si la récompense de leur renouvellement d’engagement était l’honneur considérable de porter une part de la responsabilité des difficultés du programme JSF, pour pouvoir mieux être sollicités de donner quelques moyens sonnants et trébuchants de les surmonter.
Le problème du JSF est simple et, donc, il est compliqué. Il s’agit de concilier un calendrier ultra-rapide, avec une production qui va avec, pour tenter de garder le contrôle des prix, — avec les pressions budgétaires US, celles des forces qui ont de moins en moins d’argent disponible (malgré des budgets en constante augmentation) et celles du Congrès qui intervient constamment dans le programme dans le sens du freinage, notamment sur les conseils du GAO. L’USAF et la Navy ont réduit leurs achats de JSF pour l’année fiscale 2008. Cela ralentit la production et augmente les coûts, et le prix de l’avion. Les alliés ayant signé leur renouvellement de bail, la solution s’est imposée au Pentagone : faire payer les alliés. (Leur faire acheter des JSF en avance de leur commande, à la place de ceux que l’USAF et la Navy ont abandonnés.) On comprend le sens de la remarque : «Now it really gets hard.»
• Exposons la chose en termes directs : «To minimize looming cost increases to the F-35 Joint Strike Fighter, the Pentagon is trying to get its international project partners to buy some of their aircraft earlier to offset reductions in the U.S.'s own production plans. But serious barriers would have to be overcome to make these arrangements work. Program officials are now scrambling to assess what terms can be drawn up to allow parties to buy aircraft early without having to pay more for them.»
• La question est délicate : comment convaincre les alliés d’accepter comme récompense l’idée d’acheter par avance sur une commande qu’ils n’ont pas encore déterminée, ni même décidée, des avions qu’ils payeraient évidemment plus cher puisque le coût du JSF, dans tous les cas au début, sera très élevé (autour de $150 millions). Grand cœur, les autorités reconnaissent le problème : «U.S. officials recognize they can't financially punish partners for offering to step into the breach, and are willing to average out pricing; but there are regulatory hurdles, notes U.S. Marine Corps Brig. Gen. David R. Heinz, deputy JSF program director.»
• Par exemple et exemple significatif, l’un des premiers problèmes est celui-ci, qui n’est pas rien lorsqu’on sait la tendance du Pentagone de payer rubis sur l’ongle à ses contractants et amis industriels des systèmes dont les prix dépassent largement les prévisions, et qui se situeraient au moins, avec les premiers JSF, autour des $150 millions (en fait : plus de $200 millions pour chacun des quelques JSF abandonnés par l’USAF et la Navy dans le budget FY2008): «U.S. rules prohibit export of a weapon system at a price below what the Pentagon itself would pay.»
• Les JSF qui seraient proposés à l’achat des alliés seraient naturellement des avions qui participeraient au programme de développement (selon le principe très risqué de faire commencer la production alors que le développement est en cours, les essais de développement étant assurés sur des avions de production). Là aussi, il y aurait quelques problèmes : «However, U.S. rules also provide limits on international involvement in the test phase. Partner aircraft could be used to gather data for the entire program — not just to assess unique weapons or other features — but test points flown by non-U.S. pilots probably cannot be considered part of the formal operational test phase. Although test program details have not yet been determined, the nationally owned aircraft may stay in the U.S. after operational trials and be used in follow-on test and evaluation phases.»
• Dans tous les cas, et malgré ces achats d’avance, que les choses soient bien claires : «Regardless of what happens, deliveries to partners cannot occur before the U.S. fields its aircraft in 2014.» (En espérant que cette date de 2014 sera confirmée, ce qui est loin d’être assuré puisque la mise en service du JSF a déjà été reculée de quatre bonnes années depuis 2001-2002.)
• Quoi qu’il en soit, le Pentagone ne dissimule pas l’importance de l’opération, selon cette déclaration du même général des Marines déjà cité : «One of the reasons program officials are keen to see a deal happen is because it would stabilize the JSF industrial base, Heinz notes.» Cette déclaration-là est très claire dans son imprécision grandiose : le programme est nettement menacé de déstabilisation si la programmation très serrée du Pentagone n’est pas respectée. (Tout cela, sans aucune garantie que cette programmation serrée soit un gage de succès, à cause des risques inhérents. Le GAO a, sur ce point, une vision très pessimiste qu’il ne cesse de réaffirmer et de préciser.)
La proposition est claire, elle est extraordinaire par son impudence lorsque les divers propos sont débarbouillés de l’habituelle bouillie pour chats qui sert de dialectique à la bureaucratie. Elle n’est pas loin d’être un appel au secours assorti de menaces et de pressions diverses. Elle revient à ceci : les alliés doivent intervenir en achetant les avions abandonnés par l’USAF et par la Navy, sous peine de laisser le programme entrer dans une spirale incontrôlable pour cause de ralentissement de la production. Leur action consistera en gros à payer à la place de l’USAF et de la Navy, très probablement au prix très fort d’une façon ou l’autre (pas question de payer moins cher que l’USAF ou la Navy !), des avions livrables en principe en 2010-2011, qui le seront à un service US ou sous contrôle US étroit, et qui ne leur seront livrés en mains propres qu’après 2014 (on vous précisera la date) — si tout se passe bien. Ainsi connaîtront-ils la gloire d’être complètement intégrés au Pentagone, jusque dans ses pires sacs de noeud.
Le rôle des coopérants internationaux du programme JSF apparaît en pleine lumière. Ils tiennent le rôle de roue de secours en cas de crevaison du Pentagone, et plus précisément sous la forme de vache à lait extérieure en cas de restrictions budgétaires. Il semble que la crevaison ait déjà eu lieu et la roue de secours est d’ores et déjà sollicitée. La logique de l’engagement des alliés dans ce programme où ils ont déjà investi beaucoup est qu’ils cèdent aux sollicitations du Pentagone, commençant ainsi la descente aux enfers que sera le programme JSF, — d’abord pour eux. Le programme JSF fonctionne comme un piège : au plus l’on y investit, au plus on s’estime obligé d’y rester dans l’espoir de recevoir les dividendes de cet investissement, au plus l’on est convié à investir plus pour éviter une catastrophe trop rapide.
Nous n’en sommes même plus au stade constructif. La “proposition” du Pentagone n’a plus rien à voir avec un investissement, il ne s’agit que de boucher des trous. C’est purement et simplement une demande impérative d’aide financière, sous forme d’une sorte de chantage discret (si les alliés n’interviennent pas, c’est tout le programme qui risque d’être compromis).
La seule surprise que l’on puisse éprouver est que le passage à cette phase où les alliés sont ponctionnés, — ou bien l’on pourrait dire “rackettés” dans le plus pur style gangsters, — ait été si rapide. C’est un indice sérieux des inquiétudes des gestionnaires du programme, sur son équilibre et son avenir.
L’article évoque diverses possibilités parmi les alliés qui pourraient être invités à répondre en priorité aux sollicitations du Pentagone. En première ligne on trouve, — sans surprise, special relationships obligent, — les inévitables Britanniques. Les Italiens, particulièrement dociles avec une administration Prodi qui s’avère presque plus arrangeante avec les USA que le gouvernement Berlusconi, sont également bien placés. Mais la course continue.