Juan Cole, le général Salami et la “menace” iranienne

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Juan Cole est devenu, ces dernières années, un des experts indépendants les plus appréciés sur les questions des crises du Moyen-Orient (Irak, Iran, Afghanistan) et, d’une façon générale, des questions politiques et culturelles de ce qu’on nomme “l’arc de crise”. Il l’est aussi bien comme professeur qu’à partir de son site Informed Comment, et ses compétences ont même conduit le Congrès à l’entendre en auditions à plusieurs reprises devant des commissions spécialisées. Juan Cole poursuit une bataille pour diffuser une information démarquée de l’habituelle vision virtualiste diffusée généralement par la presse officielle occidentale.

Cole publie, sur son site le 29 septembre 2009, repris notamment le 30 septembre 2009 par le site CommonDreams.org, d’intéressants commentaires sur la situation iranienne, à partir d’une interview avec MSNBC.

Cole parle bien entendu de la question nucléaire, dans des termes modérés qui contrastent sans grandes difficultés avec le ton apocalyptique généralement employé lorsqu’il s’agit de cette question. Il s’oppose notamment au sens extrêmement alarmiste de la littérature déversée à l’occasion de l’affaire du site de Qom, qui est apparue publiquement en marge de la session de l’ONU.

Surtout, il mentionne et cite une intervention extrêmement intéressante, et évidemment ignorée, du général iranien Salami, qui commande les Gardiens de la Révolution. Les commentaires de Salami concernent essentiellement l’essai d’une fusée iranienne qui vient d’avoir lieu et, d’une façon plus générale, la politique militaire iranienne. L’essai de la fusée a été aussitôt interprétée comme une “menace” iranienne, et, en général, aussitôt explicitement décrite comme la menace de “rayer Israël de la carte”.

«The USG Open Source Center translated remarks to Iranian television of General Hoseyn Salami, commander of the Iranian Revolutionary Guards Air Force concerning Iran's Monday missile tests (Islamic Republic of Iran News Network Television (IRINN), Monday, September 28, 2009):

»Gen. Salami said, “as long as our enemies act within a political domain, our behavior will be completely political. However, if they want to leave the domain of political action and enter the domain of military threat, then our action will be exactly and completely military.”

»Many Western media reports implied that the missile tests were launched along with threats to wipe out Israel. But note that the commanding officer overseeing them explicitly restated Iran's “no first strike” pledge. To my knowledge, no current high official in the Iranian executive has threatened war against Israel, which in any case would be foolhardy given Israel's nuclear arsenal (see below). Iranian officials do say they hope the “Zionist régime” will collapse as the Soviet Union did.

»The report also said:

»Salami said the strategic objective in staging the war game was “to demonstrate the Iranian nation's resolution in defending revolutionary and national values and ideals as well as to make a new attempt to upgrade the level and quality of the Islamic Republic's deterrence against any probable threat given the current political and international atmosphere.”

»Salami linked the tests strongly to Iran's defensive needs and pointed out they came before the anniversary of Iraq's 1980 attack on Iran, which kicked off a highly destructive 8-year war that killed on the order of 250,000 Iranians. (The United States supported Iraq in that war.) The trauma of being invaded by a rapacious enemy at a moment of national weakness after the 1979 revolution has deeply informed Iranian political leaders' views of the world ever since.»

@PAYANT Les déclarations de Salami constituent un exposé classique d’une politique militaire de dissuasion normale, dans la situation politique et stratégique où se trouve l’Iran. Il y a d’abord l’affirmation que l’Iran restera sur le terrain où se manifesteront ses adversaires – terrain politique, tant que ses adversaires restent sur ce terrain. Il affirme que l’Iran ne sera pas le premier à frapper (“no first strike”), ce qui est aussi une conception classique de la dissuasion.

Cole note à cet égard que les indications données par les officiels iraniens n’ont jamais concerné une menace existentielle contre Israël mais bien, pour les plus explicites, le souhait de la chute du “régime sioniste”, ce qui se traduit implicitement par le souhait d’un changement radical de la politique israélienne, éventuellement par le biais de transformations politiques structurelles radicales. Un tel souhait ne peut s’apparenter en aucun cas à l’interprétation démoniaque et pathologique qui est en général donnée de la politique iranienne. Cole écrit bien “à ma connaissance”, sans affirmer ex abrupto comme l’écrivent et le disent la presse officielle et la plupart des officiels occidentaux. Cole est un grand connaisseur des cultures de ces pays et, notamment, il parle et lit couramment le farsi. Cela lui permet de comprendre les discours du président iranien sans avoir à passer par les “traductions” officielles, israéliennes et occidentales.

L’impression générale sur l'Iran laissée par l’intervention du général Salami autant que par la présentation de Cole est celle d’un pays normal, soucieux de sa sécurité, qui perçoit divers problèmes de sécurité dont certains sont assez inquiétants. Il est difficile de voir dans cette inquiétude quelque excès du jugement ou l'énervement d'une psychologie dérangée, compte tenu du passé iranien depuis l’installation de la République Islamique en 1979, notamment à la lumière de la guerre contre l’Irak venue d’une attaque irakienne soutenue par l’Occident, et à la lumière des quatre dernières années rythmées par des menaces officielles implicites, et largement explicitées par tous les réseaux de communication, d’une attaque militaire unilatérale (“first strike”, sans aucun doute) contre l’Iran, soit des USA, soit d’Israël.

A moindre de prendre le parti d’ignorer absolument toutes les déclarations officielles iraniennes comme nulles et non avenues parce que systématiquement faussaires et trompeuses, ce qui revient à dénier à ce pays le simple droit à l’expression, sinon à l’existence (“rayé de la carte”, donc), force est d’observer, comme Cole nous invite à le faire, que le procès monté contre l’Iran depuis des années est effectivement, à son tour, faussaire et trompeur. Ce procès nous en dit donc beaucoup plus sur l’état de la psychologie et de la pensée occidentales, et sur l’état de la politique occidentale, que sur l’Iran. Cela n’est pas une surprise.


Mis en ligne le 1er octobre 2009 à 06H45

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