Julian Assange et la contraction du temps

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C’est sans intention délibérée, en n’ayant pas à l’esprit la formule déjà employée précédemment, que nous avons formulé ce titre… (Voir le 22 février 2011 : «L’amiral Mullen et la contraction du temps».) On pourrait dire que nous pourrions ouvrir une rubrique nouvelle, – sur “la contraction du temps” (du “temps crisique”, certes) et ses effets considérables.

Il y a deux mois, la nouvelle eût secoué le monde ; aujourd’hui, elle peine à occuper la première page des journaux. Il s’agit de la décision du tribunal londonien d’accepter la demande d’extradition de Julian Assange formulée par la Suède. Assange et ses avocats ont fait appel et la décision finale devrait être connue dans les quelques jours qui viennent. Le site WSWS.org présente la nouvelle, ce 25 février 2011, d’une façon “politique” classique, en en faisant une décision prise pour neutraliser Assange.

«WikiLeaks founder Julian Assange can be extradited to Sweden to face charges of sexual assault, Judge Howard Riddle, sitting at Belmarsh Magistrates Court, London ruled Thursday. The verdict marks a new stage in efforts to silence Assange and WikiLeaks and prevent further disclosure of the duplicitous and criminal actions undertaken by the United States and governments across the world.

»Assange has made clear his intention to appeal the ruling. He has just seven days to do so. If the appeal is rejected, he could be extradited within 10 days. This is despite the fact that Assange has yet to be charged with any offence, and a mountain of evidence that he is the victim of politically motivated, trumped-up allegations.»

D’une façon générale, les commentaires sur cette décision ne marquent pas une émotion particulièrement intense. On observera que le Guardian, qui tressait des couronnes à Julian Assange jusqu’en décembre 2010, ne prend plus de gants pour le critiquer. Le texte d’un des commentateurs du journal, David Leigh, mis en vedette sur le site du Guardian le 25 février 2011, n’est pas tendre pour le fondateur de WikiLeaks. Après avoir détaillé d’un œil critique (pour Assange) les circonstances du jugement et le comportement de l’équipe juridique d’Assange, Leigh poursuit…

«Apparently undaunted by the wholesale rejection of his case, Assange shifted tack to mount a lengthy attack against the entire European arrest warrant system, which, as he said, was devised after the 2001 terrorist atrocities of 9/11 to make it easier to bring Islamist suspects to justice in European courts.

»He may well have a point about the subsequent overuse and abuse of the warrants. State power frequently needs watching and curbing. But he is scarcely well placed to be a disinterested advocate of British legal reform, while he is himself frantically trying to avoid facing the music in Sweden. Nor do his pious remarks about “our system of justice” make much sense when they come from a peripatetic Australian citizen who has made a virtue out of a nomadic, virtually stateless, existence that circumvented traditional systems of justice.

»Assange has now been mired in what he calls this “nonsense” for a considerable time – since six months ago, when two Swedish women went to the Stockholm police complaining about Assange's sexual behaviour.W

»This might seem like “nonsense” in Assange's eyes. He has previously said the women got into a “tizzy” and were “bamboozled” by police. He has sought in this way to wage a high-profile information war about what ought to have remained his private life, through hearing after hearing, interview after interview, and has repeatedly tried to blur the boundary between the sex allegations and the attacks on him by US politicians because he masterminded the WikiLeaks free speech exposures . He was at it again yesterday, talking about “the pressure the US brings to bear on the UK, on Sweden and on the media”.»

Qui a tort, qui a raison ? Mais la question, on le verra plus loin, est plutôt celle-ci : quelle importance ? … Il est évident qu’il y a un règlement de comptes entre Assange et certains milieux médiatiques, notamment le Guardian. Le tort, ou la faute, ou la machination, ne sont pas nécessairement du côté qu’on croit, ou bien ils ne sont pas nécessairement d’un seul côté mais peut-être des deux côtés à la fois. La personnalité et le comportement d’Assange peuvent être ce qu’ils sont, avec des prolongements inattendus. Quant aux médias, dont le Guardian essentiellement, ils ont à cœur de montrer par tous les moyens qu’ils existent encore, y compris dans une bataille qui peut montrer certains aspects antiSystème, et qu’ils ne sont pas de simples annexes de l’un ou l’autre WikiLeaks ; ainsi profitent-ils de cette occasion pour se distinguer, et ce paragraphe de conclusion de Leigh montre bien dans quel sens l’on veut parler, et où se trouvent les gens sérieux…

«Meanwhile, the night before the Belmarsh verdict, the editors of the five international publications involved in the leaks gathered in Madrid. The Guardian, the New York Times, El País, Der Spiegel and Le Monde debated before an audience, but with much less fanfare, the real issues thrown up by the pioneering work of WikiLeaks. Has the exposure of the US diplomatic cables made it harder for governments to lie in the age of the internet? How far did WikiLeaks contribute to the online dissent currently sweeping the Arab world? Can Bradley Manning, the US soldier accused of the actual leaking, expect civilised treatment in his military jail? These are the real issues that should be at the front of civil libertarians' minds, not Assange's legal problems. Secrecy.»

…Alors, il faut revenir sur ce constat que nous jugeons essentiel : “Il y a deux mois, la nouvelle eût secoué le monde ; aujourd’hui, elle peine à occuper la première page des journaux”. C’est ici que nous pouvons parlera nouveau de la contraction du temps crisique, de l’accélération de l’Histoire, etc. Il n’est pas assuré que les individus, les sapiens individuels, y trouvent toute la justice et l’équité qu’ils peuvent en attendre, notamment pour leur comportement et, éventuellement, pour leur satisfaction personnelles. Il y a deux mois, le monde était secoué par l’affaire WikiLeaks/Cablegate. Cela a duré trois semaines, presque un mois, au long desquels les USA furent couverts de ridicule, Internet s’enflamma dans une “cyberguerre” aux allures novatrices, et Julian Assange apparut à tous comme un héros avec peut-être une vocation de martyre. Aujourd’hui, ce temps a passé, parce que le temps se contracte et défile à la vitesse d’une marée folle débouchant comme un cheval au galop. Il n’est plus question que de la Tunisie, de l’Egypte, de Bahrein, du Yemen, de la Libye, peut-être de l’Arabie demain, – il n’est plus question que de notre “chaîne crisique”, – et, d’ailleurs, également, des exploits dans ces diverses “révolutions” du même Internet qui a fait la gloire de WikiLeaks.

Assange et WikiLeaks sont passés sur les strapontins de l’Histoire, car ainsi vont les choses aujourd’hui, – très vite, dans un temps historique contracté, avec des crises se succédant comme autant d’explosions. Il n’empêche, ce qu’ils ont fait a été fait et bien fait, et la méthode WikiLeaks fleurit partout, jusqu’à être devenue un véritable réseau d’information à elle seule, capable de concurrencer victorieusement le réseau officiel jusqu’à mettre gravement en cause son crédit. Ils ont joué leur rôle et ont tenu leur rang dans la grande entreprise de déstructuration que la puissance des courants métahistoriques a lancée contre le Système. De ce point de vue, la phase essentielle de l’affaire WikiLeaks/Cablegate, celle où l’apport historique est incontestable, est terminée. Cela ne signifie pas qu’une nouvelle phase ne pourrait pas commencer, par exemple au cas où les USA et la Suède s’entendaient pour machiner une extradition d’un Assange préalablement extradé vers la Suède, de la Suède vers les USA. Si le Système est certes assez bête pour pousser sa soif de vengeance jusque là, Assange redeviendrait le héros antiSystème persécuté par le Système et il pèserait à nouveau de tout son poids. Le Guardian serait le premier à protester et à réclamer sa libération. Ce serait qu’alors Assange aurait été mobilisé pour une nouvelle phase historique, où il pourrait figurer avec avantage pour le destin de la bataille collective. Mais il s’agirait évidemment d’une autre crise que celle de décembre dernier, dont les avantages et les effets bénéfiques restent acquis et verrouillés.


Mis en ligne le 25 février 2011 à 12H13

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