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5712Il y a ce 3 décembre 2019 un article de RT.com qui prend comme sujet une hypothèse qui a ces derniers mois souvent été développée publiquement dans les think tanks, les revues, voire les relations publiques des états-majors du côté de l’OTAN et du bloc-BAO : l’importance et le sort de l’enclave russe en territoire polonais de Kaliningrad (anciennement Königsberg), et comment l’OTAN pourrait l’investir. L’idée généralement développée, que rappelle l’auteur de l’article en citant les sources occidentales (et chinoise dans un cas), est que les forces de l’OTAN peuvent aisément et rapidement envahir et contrôler l’enclave dans son entièreté.
L’une des raisons (politiques) de cette “offensive” de communication est certainement, essentiellement du point de vue US, de rassurer et de renforcer psychologiquement les Polonais, actuellement leur meilleur allié en Europe et souffrant d’une constante hystérie russophobe concrétisée par le spectre d’une attaque russe. Une raison technique, – car les hypothèses ou scénarios envisagés développent une chute très rapide de l’enclave du fait de l’OTAN, – est de contrebattre la vilaine publicité faite aux capacités de l’OTAN du fait des hypothèses sur les capacités électroniques russes, notamment dans l’enclave, permettant de disposer d’une zone dite A2/AD, ou Anti-Access/Area-Denial débordant Kaliningrad et interférant au niveau de l’interdiction opérationnelle largement dans la zone OTAN (en Pologne). Enfin, l’ensemble (sauf pour le cas chinois déjà mentionné) fait évidemment partie de la guerre psychologique menée par le bloc-BAO contre la Russie, avec l’hypothèse d’une attaque contre la Russie dont on connaît l’agressivité constante qui nous est décrite dans tous ses détails depuis une décennie.
L’article est quasi-entièrement articulé autour de l’idée qu’une attaque de l’OTAN contre Kaliningrad impliquerait une riposte nucléaire : « Une attaque de l’OTAN contre Kaliningrad devrait déclencher une frappe nucléaire russe », diut le titre. L’auteur est Mikhail Khodarenok, commentateur des questions militaires pour la chaîne. C’est un colonel à la retraite, qui a servi à la direction opérationnelle de l’État-Major général des forces armées russes, poste qui le plaçait en contact direct avec la planification et la doctrine générale des conflits au plus haut niveau, notamment sur le théâtre européen. On reprend ici la deuxième partie de l’article, après la description des diverses hypothèses et scénarios d’attaque de Kaliningrad que rappelle Khodarenok.
« Comme les armes conventionnelles de l'OTAN surpassent les capacités de la Russie (et à certains égards, l’écart est considérable), on peut supposer sans risque de se tromper que la Russie ne resterait pas les bras croisés pendant que ses forces seraient écrasées[à Kaliningrad]. Elle réagirait immédiatement en utilisant à la fois des armes nucléaires tactiques et stratégiques.
» Par conséquent, les commandants et experts militaires occidentaux ont fondamentalement tort de penser que la bataille pour Kaliningrad resterait une sorte d’action locale, sans retombées.
» Il ne fait aucun doute que la Russie ferait rapidement la preuve de sa détermination à utiliser l'arme nucléaire. Et dans ce type de guerre, Moscou agirait de manière décisive, avec une grande précision et précision. En d'autres termes, dès que les premiers coups de feu seront tirés dans la région de Kaliningrad, la Russie commencera à utiliser toutes les armes de destruction massive, en premier lieu les armes nucléaires stratégiques.
» Il est clair, bien entendu, que toute utilisation d’armes de destruction massive aurait des conséquences catastrophiques pour les combattants et les autres États. Les toutes premières frappes nucléaires feraient une énorme quantité de victimes et cette situation ne pourrait qu’empirer par des facteurs considérables en raison des effets meurtriers des facteurs post-catastrophes et post-nucléaires. Il serait impossible de poursuivre des combats conventionnels réguliers après un échange nucléaire.
» Maintenant, quelques remarques sur le message posté par le site chinois ‘Eastday.com’. Il dit que si l'OTAN et la Russie entrent en guerre, l’OTAN pourrait s'emparer de la région russe en l'espace de deux jours. Nos camarades chinois sont un peu à côté de la plaque. L'opération ne prendrait pas autant de temps et le résultat serait très différent. Il ne faudrait pas plus de 40 à 45 minutes à la Russie pour lancer une frappe nucléaire, et après cela, nous ne pourrions faire qu'une seule chose : discuter des aspects particuliers de l'apocalypse nucléaire moderne.
» En résumé, la bataille de Kaliningrad ne resterait en aucun cas un conflit militaire isolé. Ce ne serait qu'un épisode d'une guerre nucléaire mondiale. Et même les pays non impliqués dans ce conflit en subiraient les conséquences. Malheureusement, ce sont là les effets de l'utilisation d'armes nucléaires stratégiques.
» Les experts et planificateurs qui élaborent des scénarios de guerre limités à une région russe spécifique devraient garder cet important facteur à l'esprit. »
Dans ses observations opérationnelles de la première partie de son article, Khodarenok prend bien soin de détailler le fait que la Russie n’a pas procédé ces derniers temps (ces dernières années ?) à un quelconque renforcement de ses unités militaires dans l’enclave :
« Les activités de l’armée russe à Kaliningrad ne dépassent en rien la situation de temps de paix. L’OTAN ne dispose d'aucun rapport de renseignement indiquant que les troupes russes sont passées à un statut de préparation à la guerre ou qu’il y a eu un déploiement opérationnel sur ce théâtre ou un mouvement de forces stratégiquement important, ou une concentration de réserves stratégiques hautement prioritaires. Il n'y a absolument aucun signe... », etc. Ces remarques vont jusqu’à affirmer, presque emphatiquement, que les forces conventionnelles de l’OTAN sont supérieures, parfois considérablement, aux forces russes dans l’enclave, – ce qui est une tautologie un peu spécieuse (si l’on parle de toutes les forces de l’OTAN, certes, mais un tel rassemblement contre Kaliningrad est impensable politiquement et opérationnellement, sans déclencher une crise majeure avant qu’il soit même question de se préparer à l’attaque bien entendu). Plus encore, il est assez inhabituel de la part d’un commentateur spécialisé d’insister sur cet aspect de faiblesse des forces russes en tel point, alors que Kaliningrad a souvent été considéré d’un point de vue très différent de la part de commentateurs russes, comme ayant des capacités très puissantes face aux forces de l’OTAN qu’il est raisonnable d’envisager en cas d’attaque.
Par conséquent, l’on est conduit à considérer cet article comme un peu plus qu’un simple article de commentaire militaire, surtout qu’il est publié le 3 décembre, au moment où se rassemble la réunion-sommet de l’OTAN ; l’on est obligé aussi de considérer l’auteur, qui est présenté comme “commentateur militaire de RT.com”, ce qu’il est effectivement, mais avec la précision qu’il vient de fonctions militaires qui le plaçaient au cœur même de la planification et de la décision opérationnelle des forces armées russes. On en déduit alors qu’il y a dans cet article un “message” adressé aux pays de l’OTAN en cours de réunion-sommet, et “message” qui prend en compte, pour en profiter du point de vue russe ce qui est de bonne guerre, les différends et désaccords fondamentaux au sein de l’Organisation. Selon cette interprétation, voici ce qu’on pourrait penser que nous dit ce “message” :
• Qu’il est hors de question d’envisager un conflit conventionnel ouvert qui soit localisé en un point précis : le moindre coup de feu contre une possession russe, ou un soldat russe, sur un territoire russe, fût-ce une enclave, déclenche automatiquement un conflit général : même si cela est énoncé en théorie (un coup de feu tiré par hasard n’est pas générateur d’une guerre générale), le principe est nettement exposé ;
• Que la mention centrale de la montée au nucléaire, y compris vers des pays voisins non nécessairement engagés (« Et même les pays non impliqués dans ce conflit en subiraient les conséquences »), est énoncée, comme fondement du message, pour renforcer la démarche de ceux qui veulent un nouveau traité, ou un nouvel ensemble de traités en Europe pour remplacer le traité FNI dénoncé par les USA ; cela s’adresse à Macron principalement, pour renforcer sa démarche dans ce sens, et sa recherche d’une “architecture européenne de sécurité” ;
• Qu’il s’agit de la possibilité/probabilité d’un “conflit nucléaire mondial”, avec l’utilisation d’armes nucléaires “stratégiques”, c’est-à-dire qu’il n’y aurait pas découplage entre les USA et l’Europe et que les Russes s’affirment comme pouvant frapper aussi bien les USA, y compris à partir d’u cas d’une attaque sur un point stratégique précis et limité en Europe(dans tous les cas, bien sûr, si les USA sont impliqués dans l’attaque).
RT.com étant effectivement une télévision publique, l’auteur étant ce qu’on en a dit, on imagine mal qu’un texte si chargé de sens pour des débats stratégiques cruciaux actuellement en cours ne soit pas publié sans consultation au moins indirecte avec les autorités comme c’est courant dans toutes les puissances équipées de nucléaire et qui veulent fixer des points fondamentaux à ce sujet. On en déduit par conséquent, ce qui ne serait évidemment nullement une surprise, que Poutine devrait apparaître comme un partenaire attentif et certainement habile pour Macron, pour tenter de faire avancer les idées du président français sur la sécurité européenne.
La partie est d’une importance considérable, dans la mesure où la démarche allant vers des traités européens limitant les armements nucléaires sur ce théâtre va totalement au contraire de la politique US telle qu’elle continue à se développer depuis des années. Sur ce point, Trump, malgré quelques suggestions sympathiquessur d’autres combinaisons, n’a pour l’instant pas de prise sérieuse sur les bureaucraties de sécurité nationale, et l’on peut douter qu’il en acquiert jamais. Sa seule vertu reste pour l’instant celle qu’il a montrée depuis le début de son mandat : la vertu de création du désordre créé par ses initiatives spontanées qui, malgré qu’elles ne soient que de communication, entravent sinon grippent au moins momentanément la machinerie bureaucratique.
Mis en ligne le 4 décembre 2019 à 13H14
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