Karl Marx ou l'esprit du monde

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Karl Marx ou l'esprit du monde

Pour nous changer du « mariage pour tous », slogan peu respectueux des « genres » qui aurait donc dû s’intituler « mariage pour tou(te)s », nous allons, fidèles à notre modernisme anti-moderne, nous occuper d’un gai-savoir plus économique et plus social. Pour cela nous ouvrons le beau livre de Jacques Attali écrit il y a sept ans mais d’une brulante actualité : Karl Marx ou l'esprit du monde. Les économistes et les penseurs l’ont sans doute négligé car sinon, inspirés par notre ex-banquier de la Berd ils nous auraient prédit la méchante bulle qui nous éclata à la figure en l’an de grâce 2008. C’est donc pour eux, pour elles aussi (excusez la galanterie un peu appuyée mais je ne veux pas m’attirer les foudres de ces dames en restant trop masculin), que je l’ai lu et que je vais leur en faire désirer la lecture. Attali est intelligent, si intelligent que son libéralisme assumé ne lui interdit pas de faire la louange du grand penseur communiste juif, prouvant par là combien la pensée libérale est englobante, tolérante et donc universelle. Humaniste, il nous invite d’abord à connaître la vie tragique de ce père qui vit en son taudis londonien trois de ses enfants sur les six mourir entre quelques mois et huit ans, et dont les petits enfants suivirent le même chemin. A la fin il ne lui reste que ses deux filles Laura et Eleanor – qui se suicideront après sa mort en 1883. Si bien qu’on se demande si cet homme étrange n’était marqué par la Mort comme le fut un Michel Ange qui, un jour d’inspiration, sur son cahier de poète écrivit: « Il ne naît pas en moi une pensée où ne soit sculptée dedans l’image de la mort ». Etre parvenu à élucider l'énigme du mode de production capitaliste fut-il un défi au sphinx libéral qui, loin de se tuer, se vengea en semant la mort autour du héros et sur toute la planète?

La vie n'est pas une marchandise, est un slogan qu’on lisait il n’y a pas si longtemps sur des pancartes de manifestants. Le mérite de Marx est d'avoir précisément montré qu'en régime capitaliste tout est marchandise, y compris les hommes, y compris la vie. L'essentiel est donc, lorsqu’on aborde l’économie de connaître la valeur de la « marchandise-chose » et de la « marchandise-homme ». La valeur d’une marchandise est plus importante que son prix, Attali le souligne d’emblée. Ce dernier peut varier énormément sans rapport avec sa valeur. La valeur « c'est la quantité de travail humain incluse dans les choses produites par le travailleur salarié ». Cette valeur une fois définie conceptuellement est peu quantifiable arithmétiquement, le difficile est de passer au prix sur le marché qui lui est déterminé par d'autres règles que celles strictes de la production (concurrence, rareté/abondance, spéculation, etc.). D'après l’auteur, Marx aurait buté toute sa vie sur cette intuition féconde mais peu démontrable: le prix d'une marchandise n'est pas sa valeur, le prix ne reflète qu'une "valeur sur le marché", la vraie valeur c'est le travail, le temps de travail incluse en elle, c'est-à-dire ce qui se passe "avant" que les lois du marché s'emploient à maquiller la valeur, ces lois n’étant que des "mains invisibles" qui salissent tout comme ne l’a pas dit Adam Smith. La découverte de Marx est que le travailleur produit pour le capitaliste plus que ce qu'il lui coûte à produire. Ensuite, dans le processus global de production et d'échange, du fait de sa dépersonnalisation, de sa "réification" (en langage philosophique, de son aliénation), il se transforme lui aussi en marchandise possédant valeur d'usage et valeur d'échange. La valeur d'usage du travailleur étant ce qu'il est capable de produire par son travail, tandis que sa valeur d'échange est égale à ce qu'il coûte à reproduire, c'est-à-dire le nombre d'heures de travail nécessaires pour fabriquer ce dont il a besoin pour vivre. Sa valeur d'usage c'est sa force travail, sa valeur d'échange ce qu'il reçoit pour la reconstituer. La différence mesurée en heures de travail entre ce que coûte au capitaliste le travail de l'ouvrier (salaire) et ce qu'il lui rapporte (profit) est la fameuse plus value que s'approprie le capitaliste. Marx l'appelle surtravail ou survaleur (Mehrwert). Outre qu'elle n'est pas aussi facilement quantifiable que le prix d'un objet à la production ou sur le marché, le capitaliste se l'approprie cette plus value sous des formes différentes. Sous forme de profit industriel à la fabrication, de marge commerciale à la vente, sous forme d'intérêt bancaire lorsqu'il prête de l'argent, ou de rente foncière s'il possède de la terre. Ces différentes formes d'appropriation de la plue value masquent le fait qu'elle est originellement issue de la production de richesses rendue possible par la force de travail des salariés qui coûte moins cher que ce qu'elle rapporte.

A partir de ces prémisses de nature économique, l'analyse marxiste s'élargit d'elle-même à l'Histoire. Le capitalisme, dans son essence, n'a été rendu historiquement possible que par la généralisation du travail salarié, c'est-à-dire en dépouillant peu à peu la majorité des hommes de leurs propres moyens de production et en ne leur laissant que leur force de travail, en les aliénant, en les rendant étrangers à eux-mêmes. En ce sens, le capitalisme fonde une nouvelle politique, devient une "économie politique" (abolition des corporations, liberté du travail et des échanges légalisées par le pouvoir politique), avant d'abolir la politique par l'économie comme nous le constatons aujourd'hui. Il fonde aussi un nouvel esclavage pour des millions d'hommes déclarés faussement libres mais dont le salaire n'est là que pour reproduire leur force de travail. Ainsi, par un paradoxe que les lecteurs de Marx ne comprennent pas toujours (ou ne veulent pas comprendre), le travailleur salarié n'a d'autre liberté que celle d'être esclave alors que l'esclave antique, dont il fallait aussi reproduire la force de travail, ne la connaissait pas. C'est la seule "différence"! Esclave involontaire d'une part mais pouvant être affranchi et devenir par exemple grand historien (Polybe), esclave qui n'a d'autre choix que de le rester, d'autre part. A ce titre, l’historien dira que le nazisme est du capitalisme "poussant sa logique à l'extrême" en ce qu'il réduit la reproduction de la force de travail à un tel minimum qu'une mort rapide s'en suit, mort qui ne trouble pas la production puisque les travailleurs gratuits et à merci sont renouvelables tant que la guerre dure. De même pour l'esclavage des Noirs, capitalisme également de l'extrême, mais d'un extrême d'un degré moindre en ce qu'il ne vise pas la mort du travailleur mais où la force travail est renouvelable à volonté à des coûts très faibles. De même enfin, pour les Zeks du capitalisme d'état russe où, là encore, la mort n'est pas le but. Le but étant de construire rapidement des infrastructures économiques à bas prix (barrages, voies ferrées, canaux navigables, etc…) sans léser trop le citoyen ordinaire. La folie du système ayant été que le "citoyen ordinaire" pouvait devenir zek du jour au lendemain sans savoir exactement pourquoi.

L'ambiguïté de Marx reste que, si d'une part il démonte implacablement la logique d'un système qui a spolié des millions d'hommes pour accumuler sa puissance, d'un autre il affirme que le système capitaliste est un progrès indéniable sortant l'homme de sa médiocrité et de sa petitesse passées et qu'en plus, (et c'est là que le bât blesse) c'est la généralisation à la planète entière de ce système qui permettra, en prolétarisant encore d'autres millions d'humains, la venue du fameux communisme, c'est-à-dire l'abolition de la propriété privée de moyens de productions et d'échanges et le dépérissement de l'état qui aujourd'hui soutient le capitalisme en édictant les règles qui le légitiment. Il faut donc que les hommes souffrent encore beaucoup pour que le système implose. De lui-même, par une crise économique destructrice ou/et en étant aidé par l'action d'un mouvement révolutionnaire qui, prenant fait et cause pour les salariés, fera en sorte que par sa puissance il contraindra l'état à imposer les réformes allant dans le sens de l'abolition de la propriété privée des moyens de production. Ce fut le marxisme-léninisme russe. C'est de nos jours, paradoxalement, la mondialisation que combattent les altermondialistes, pas toujours mais souvent, au nom du marxisme. On a donc, mais ça Attali ne le dit pas clairement même si sa démarche le suggère, deux utopies en une. D'une part la russe qui s'était présentée comme mettant en œuvre les principes de Marx (ce que récusent Attali et d'autres économistes) et d'autre part le développement de la social-démocratie qui, refusant "la dictature du prolétariat" mais ne trouvant rien à redire à celle du capitalisme, le régénère constamment en refusant de remettre en cause la propriété privée des moyens de production d'une part et d'autre part de voir l'invisible, c'est à dire la vraie valeur des choses qui n'apparaît jamais sur le marché, la quantité de travail humain, l'inchiffrable apport humain à la "valeur". Le paradoxe du paradoxe étant que si cette valeur venait un jour à être reconnue pour ce qu'elle est, et que, subséquemment le salarié soit rémunéré en proportion de la richesse qu'il produit, il n'y aurait pas de profit capitaliste (ou peu) et donc pas d'accumulation du capital, (ou pas assez). Donc, vraisemblablement, pas (ou pas assez) d'investissements pour gérer le futur. C'est ça la vraie tragédie de l'humanité. L'homme met toujours plus en réserve pour affronter l'inconnu et pour construire, mais comme cette mise en réserve dépasse toujours les besoins réels pour satisfaire des besoins imaginaires ou tout simplement l'égoïsme qui le ronge, il devient malhonnête, cupide, criminel et finit par justifier "l'exploitation de l'homme par l'homme" puisque selon cette "philosophie" il n'y aurait pas d'autres moyens pour assurer l'accumulation (voir la Chine actuelle). La sagesse serait –mais alors elle dépasse les capacités humaines actuelles et c'est en ce sens, et en ce sens seulement, que le marxisme est une utopie–, que la création du profit soit règlementée (par quelle instance dont la justice et la compétence seraient reconnues par tous?), ne dépasse pas une certaine hauteur afin que la croissance des forces productives et la rémunération qu'en recevraient les producteurs restent dans un harmonieux équilibre permettant investissements et salaires dans une relation proportionnée. C'est la fameuse cogestion dont curieusement Attali ne parle pas. On aurait alors une croissance lente, organique, un bien-être croissant, tout aussi lent, tout aussi organique. On a cru un moment que c'était le programme des Verts. Certains le disent encore. C'est en fait le programme du vert, c'est-à-dire des lois végétales qui elles ne connaissent pas la brutalité des crises du monde animal ou du monde humain. Cette dimension de l'utopie marxiste, qui semble riche pour l'avenir, n'est pourtant pas effleurée par l'auteur alors qu'elle semble la seule à pouvoir terrasser le moloch buveur de sang que constituent nos actuelles sociétés libérales.

Attali enfin suggère – mais sans insister suffisamment à mon avis – combien la démarche de Marx est proche de la création artistique et littéraire. Car, en cette défense de la valeur humaine non quantifiable que "la main invisible" du régime capitaliste dissimule, les artistes – et plus précisément les écrivains –, ont pris, et prendront toujours part. Pourquoi? parce que justement, pour eux, travailleur salarié d'un genre spécial, ne possédant rien que leur porte-plume, créer veut dire extraire du néant (ou du magma social) une valeur invisible qui n'a pas de prix. Et l'extraction de cette valeur demande un travail de titan comparable au stakhanovisme de la dure époque stalinienne. Le meilleur exemple du temps de Marx est Balzac, prolétaire infatigable de la littérature. L'amour de Marx pour la littérature plus que pour l'économie, sa vénération pour Balzac, Shakespeare, Cervantès et bien d'autres encore, le confirme. Ultime contradiction d'un homme qui voulut qu'on prît en compte la réalité métaphysique de l'humain dans le domaine des choses matérielles, qu'on fît en quelque sorte "descendre le paradis sur la terre" comme le lui ont reproché certains de ses détracteurs. Il a écrit le Capital "contraint et forcé", espérant chaque jour que la crise du système vienne justifier son intuition avant même qu'elle soit couchée sur le papier, la crise étant la preuve de l'excellence d'un livre qui n'aurait alors plus besoin d'être écrit, en même temps que l'excellence de l'homme qui l'aurait conçu! D’où la lenteur extrême et les incessantes corrections que, d'une édition à l'autre, il a apporté à son texte dont il était toujours mécontent. Marx au fond, beaucoup plus qu'un philosophe et qu'un économiste, était un prophète. Il s'est tué à décrire et à dénoncer le vice caché du Capital et le Capital a digéré sa description, s'en est assimilé le poison. De lui avoir mis un miroir devant sa figure n'a pas provoqué chez lui de panique. Le monstre s'est contemplé sans véritable émotion, s'est vu vice nécessaire accroché au bras du crime non moins nécessaire, Fouché et Talleyrand métaphysiques vus par un Chateaubriand intemporel. Dixi et salvavi animam meam, écrit Karl à la fin du programme de Gotha en contemplant en esprit une dernière fois cette jungle inévitable ou l'homme était (et reste encore aujourd'hui malgré les fameux "Droits de l'Homme") un loup pour l'homme.

A la fin de son livre Attali vitupère les traîtres du marxisme et, d'après lui, il n'y a pratiquement que ça. Il juge sévèrement le communisme russe qu'il met (c'est la mode) au même niveau que le nazisme (deux effroyables totalitarismes). Il exalte Jaurès qui aurait été le seul vrai socialiste, le seul vrai communiste selon Marx (puisqu’il est généralement admis par les anticommunistes que les meilleurs communistes sont les communistes morts ou assassinés). Il considère Lénine comme un mystificateur, un dictateur et le premier grand responsable de la "dérive du communisme". Tous ses arguments ne sont pas mauvais, certains sont même excellents. Il reste cependant qu'on pourrait en opposer un seul et de poids à sa démonstration. Les Soviets sont nés de l'incapacité de l'empire des Tsars à se réformer et de la guerre voulue par les empires centraux. Lénine n'a pu obtenir la paix pour son pays à bout de souffle qu'en cédant aux Prussiens et à ses alliés des territoires russes. A peine née et amputée, l'Union soviétique fut soumise des années durant, à la contre révolution des Blancs soutenus puissamment par les Occidentaux quand elle n'était pas déclanchée par eux. Elle paya en outre à la famine un lourd tribu. Ensuite, elle est soumise au "cordon sanitaire", durement boycottée et isolée sur la scène internationale jusqu'à l'agression allemande de 1941. Voilà l'acte de naissance de ce premier "totalitarisme". Il serait plus juste de dire que les totalitaires c'étaient bien ceux qui voulaient l'écraser car ils n'admettaient pas un modèle différent du leur. S'est-on jamais posé la question de ce qui se serait produit si le nazisme à sa naissance avait été soumis au même traitement, aux mêmes brimades, au même boycott? C'est très simple, le nazisme n'aurait tout simplement pas survécu. Il se serait effondré et son génie psychopathe en chef aurait fini assassiné. Nous n'aurions pas eu la 2e guerre mondiale, pas les camps d'exterminations et pas l'invasion et la destruction des deux tiers de l'Union soviétique. L'histoire établira un jour que la Russie a été l'objet d'un complot, que les occidentaux ont favorisés autant qu'ils le purent le nazisme en espérant que ce dernier parviendrait à faire ce que eux, ligués, n'avaient pas réussi. L'Urss fut décrétée mauvaise dès le départ et quoiqu'elle eût entrepris elle le serait restée comme le montre l’hystérie actuelle anti-russe. Pourtant, comme tout autre pays sous le ciel, comme la France de la Révolution cent vingt huit ans avant elle, elle aurait mis nécessairement de l'eau dans son vin et tempéré son "marxisme". Elle n'en a pas eu le temps. Elle a toujours vécu sous la menace, a été obnubilée par les dangers venus de l'ouest et n'a donc pu ouvrir ni ses frontières ni son esprit. Pour cette raison encore elle a entrepris cette folle course aux armements qui a précipité sa ruine. Sans ces menaces, elle serait devenue vraisemblablement le premier pays socialiste de la terre avec des bons et des mauvais côtés, ni pire ni meilleure que la France révolutionnaire, ni pire ni meilleure que l'Empire de Napoléon et que la Restauration. Elle aurait impulsé sur la planète un mouvement positif que la social-démocratie de l'ouest aurait très bien pu reconnaître et apprécier tout en proposant aussi un contre modèle. Ce qu'au fond Attali et la plupart des autres historiens "démocrates" inconsciemment auraient voulu de la Russie c'est qu'elle se comporte comme la Commune de Paris, qu'elle fasse beaucoup d'erreurs, qu'elle passe son temps à voter au lieu d'organiser sa défense, au lieu de briser le pouvoir des bourgeois et qu'elle oublie de vider la Banque de France de son or. Après quelques centaines de milliers de fusillés et de déportés les bons esprits d'occident auraient versés des larmes de crocodiles sur la brutalité sanguinaire des Tsars et auraient chaque année envoyé des gerbes de roses rouges au Mur des Bolcheviks au Père Lachaise de Moscou. Un bon communiste est un communiste mort je l´ai déjà dit, je le répète. Un bon pays communiste est un pays communiste mort. On nous l'a seriné pendant soixante dix ans. C'est fait. Pour être glorieuse, juste, humaniste, la révolution russe eût dû être… manquée ! comme en 1848 en Europe, comme en 1871 en France, en 1905 à Saint Petersbourg, en 1919 à Berlin, en 1920 en Bavière, etc… Tous ces échecs nous ont évité l'effroyable dictature des rouges, et, dieu soit loué, celle des communistes lénino-stalino-kroutcheviens au couteau entre les dents n'a pas duré. Voilà la trouvaille d'Attali et de ses semblables ! On devine entre les lignes que si lui Attali, il avait été à la place de Lénine, la révolution eût été idyllique ! Cette vision simpliste pour ne pas dire bébête de l'histoire du vingtième siècle est de plus en plus remise en question par les historiens de métier. Elle le sera de plus en plus.

Ce que dans ce genre d'analyse on oublie trop souvent, c'est que la Russie est un pays occidental comme nous et comme nous, un pays chrétien. Que sa structure rurale de base, le mir, ni capitaliste, ni féodale mais communautaire (comme le souligne Attali), n'était pas moins apte que d'autres à offrir un cadre et à évoluer dans le sens de ce qu'on appelait alors "progressiste". Que ce que nous occidentaux de l'ouest, appelons avec un accent avantageux "démocratie" n'est pas une panacée universelle, loin de là. Nos régimes politiques auraient pu être fécondés par d'autres formes de "démocratie" qui ne soient pas issues de la cité grecque ni de la Respublica romaine qui n'avait d'ailleurs rien de démocratique. Au fond, ce sont nos bourgeois d'Europe (catholiques et protestants réunis) qui ont voulu la guerre à outrance et qui ont convaincu les peuples de les suivre en 1870, en 1914 et en 1939. C'est eux qui sont responsables des millions de morts de la colonisation et de l'esclavage comme de la barbarie nazie, pas les bolcheviks ! Ils avaient très bien compris nos bourgeois, comme autrefois en 1793 ce qu'un Robespierre espérait, ou pire ce qu'un Babeuf voulaient tenter. "Plutôt morts que rouges", fut toujours le mot d'ordre. On a été mort et le "rouge" qui nous menace aujourd'hui n'est plus celui du drapeau soviétique c'est celui du torchon individualiste et de l'adoration de la marchandise comme nouveau Dieu. Marx avait raison. Marx a eu deux fois raison. Ce qu'il appelait le fétichisme de la marchandise (1) l'est resté et en plus il est devenu une obsession. La faim et la soif de justice sont devenues eux, l'appétit de consommer. L'aliénation de l'homme qui allait en s'allégeant au début du vingtième siècle s'est approfondie et perfectionnée grâce aux deux boucheries de 1914-18 et 1939-45. Il faut être conscient pour comprendre ce siècle écoulé que nous n'arrivons pas à la cheville des hommes de 1910 ! La valeur-travail dont Marx a fait le pivot de sa recherche, n'est toujours pas connue ni reconnue. Le prix (ce fantasme de la société de marché) est roi. On appâte l'homme et surtout la femme avec le prix, la baisse du prix, le petit prix, le prix dérisoire, le prix incroyable rendu possible en outre par le travail des enfants du Tiers Monde. Nos sociétés occidentales à travers tant de guerres et de massacres n'ont su ni créer l'harmonie sociale, ni la justice minimum, ni la légitimité. Ne parlons pas du bonheur, idée de plus en plus vieille en Europe. Elles continuent sans scrupule à exploiter le monde entier, à se nourrir de son sang et de sa vie. Débarrassés du nazisme et du communisme, doté d'une Europe pacifique à superbe "économie de marché", à millions de chômeurs mais à "concurrence libre et non faussée", nous allons pourtant dans le mur comme un seul homme. Nous courons, sûr de nous, vers d'autres catastrophes plus terribles encore. Evidemment Attali ne peut se permettre tant de "pessimisme", ça ne serait pas "socialiste", ça donnerait aux prolétaires des idées de dictature ! Il conclut son livre dans la ligne de Marx, son Marx à lui cela va sans dire, en écrivant une magnifique profession de foi ronflante d'humanisme. Je ne résiste pas au plaisir de la citer vu sa renversante nouveauté :

« L'homme mérite qu'on espère en lui.»

Certes. Hitler l'aurait trouvée bonne mais incomplète, le petit Père des peuples aurait souri mais donné son accord. Quant à Sarkozy, Moscovici, Sapin, Hollande ou Merkel ils applaudiront dès que sous mon conseil ils ouvriront le livre. Espérons nous aussi en l'homme, mais ne soyons pas naïfs. Le capitalisme ne cèdera jamais le pouvoir de son plein gré même avec un parlement rempli à plus de cinquante pour cent de députés "de gauche" et une "totale liberté de la presse". Il faudra l'aider. Par la force, par la violence, puisque exercer la force contre une autre force, crée la violence. Une révolution n’est jamais pacifique. La « résistance à l’oppression » est une droit constitutionnel. Nos petits bourgeois gavés de « pacifisme », ceux qui trouvent Attali si intelligent, l’apprendront à leur dépend. Il faudra tuer et encore tuer pour se débarrasser (au moins provisoirement) de la « vermine capitaliste ». Un révolutionnaire conséquent devrait se procurer un fusil à lunette et s’entrainer. Voilà à quelle conclusion logique on devrait arriver après avoir lu attentivement le grand « Karl Marx ou l'esprit du monde » du non moins grand Attali.

Marc Gebelin

Note

(1) Pour ceux qui auront le goût d’aller plus loin, voici un site intéressant, Infokiosque.net, à ce lien.