Katrina et notre crise: retour sur la planète Terre?

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Katrina et notre crise: retour sur la planète Terre?

31 août 2005 — « “It was like our tsunami,” said Vincent Creel, the city spokesman. Asked how many people had died, he said: “It's going to be in the hundreds.” » Vincent Creel parle au nom de la ville de Biloxi, sur le Golfe du Mississipi. Ray Nagin, maire de La Nouvelle Orléans, décompte le désastre: « “The city of New Orleans is in a state of devastation,” he said on local television. “We probably have 80% of our city under water; with some sections of our city the water is as deep as 20 feet [6 metres]. We still have many of our residents on roofs. Both airports are under water.” » Le président GW a même interrompu ses vacances.

On retrouve partout les mêmes descriptions que celles que nous fait Le Guardian du jour. “Katrina” est la pire catastrophe naturelle qu’aient subi les Etats-Unis depuis des décennies. “Catastrophe naturelle”?

Comme avec le tsunami de décembre 2004, nous sommes placés devant une impérative intersection des commentaires. Nous ne pouvons plus, aujourd’hui, nous en tenir à l’expression habituelle de la désolation humaine devant les colères de “Mother Nature”, comme ils l’appellent ; comme Voltaire mettant Dieu en cause à propos d’une catastrophe naturelle (tremblement de terre) au Portugal, nous devons appréhender le phénomène du point de vue politique aussi, voire d’abord. Mais il n’est plus question de Dieu, que l’on a mis à l’écart et au rancart depuis au moins trois siècles pour performances insuffisantes et moralité douteuse (par rapport aux droits de l’homme, s’entend), — toutes choses où Voltaire a sa très grande part. Il est question de l’homme face à lui-même.

Il est de fait que l’activité humaine a un effet direct sur les conditions naturelles de l’univers, — l’activité humaine, c’est-à-dire un système économique totalitaire dans ses structures et qui confine désormais à l’idéologie la plus extrémiste qu’on puisse imaginer (l’idéologie extrémiste sans objet autre qu’elle-même) jusqu’à conduire certains esprits à l’identifier au Mal pur et simple. Il est de fait, pour être plus précis, que les ouragans tropicaux du Golfe du Mexique ont acquis, ces dernières années, une intensité et une fréquence sortant de l’ordinaire, et que ce fait est interprété par certains comme une conséquence du global warming. Aujourd’hui, il est temps de le comprendre, tout, absolument tout est politique. C’est le pacte faustien de la modernité, de « l’économie de force », comme Robert Aron et Arnaud Dandieu nommaient (en 1931 dans La décadence de la nation française) l’économie productiviste et mécaniste dont le plein épanouissement se faisait jour alors aux Etats-Unis avec le “fordisme” (« Descartes descendu dans la rue », écrivaient Aron-Dandieu).

Deux observations suffiront à comprendre ce que l’on veut dire, pour ce qui concerne “Katrina”. (Depuis quelques années, précision délicieuse qui renvoie bien à la fois à la dérision et à la monstruosité de notre époque, les associations féministes US ont obtenu que les ouragans soient baptisés aussi bien d’un prénom féminin, alors qu’ils ne recevaient originellement que des prénoms masculins.)

• Le 1er août, le Charlotte Observer (Charlotte est une ville de Louisiane, la vieille province française) rapportait la thèse développée, par ailleurs évidente et dont on reparlera, liant l’accroissement d’intensité et de nombre des ouragans tropicaux au global warming.

« The accumulated power of Atlantic hurricanes has more than doubled in the past 30 years, according to a study to be published this week, and global warming likely is a major cause. Though a connection between global warming and hurricane ferocity might seem logical, the report by a reputable climatologist at the Massachusetts Institute of Technology is the first to draw a statistical relationship between the two.

» “The large upswing in the last decade is unprecedented and probably reflects the effect of global warming,” scientist Kerry Emanuel wrote in a study that will appear in the Thursday edition of the journal Nature. Copies of the article were made available Sunday. »

• Le 29 août, alors que “Katrina” approchait de La Nouvelle Orléans, un expert témoignait sur CNN de la potentialité de catastrophe naturelle et écologique (effets de la pollution industrielle) de l’ouragan. [Il n’importe pas ici de savoir si cette pollution a eu lieu/aura lieu, et, bien entendu, nous ne mentionnons pas la chose sous la forme d’une prédiction ou d’un avertissement ; il importe de mesurer les implications humaines directes, irréfutables, d’une telle catastrophe, avec les effets possibles, voire probables. Cela sera mis en évidence par l’écho médiatique que recevront les effets de “Katrina”.]

« Flooding from Hurricane Katrina's Monday landfall could wreak catastrophe on New Orleans, overwhelming the city's water and sewage systems and leaving survivors in a bowl of toxic soup, a top hurricane expert said.

» Some 25 feet of standing water was expected in many parts of the city — almost twice the height of the average home — and computer models suggest that more than 80 percent of buildings would be badly damaged or destroyed, said Ivor van Heerden, deputy director of the Louisiana State University Hurricane Center and director of the Center for the Study of Public Health Impacts of Hurricanes in Baton Rouge. (...)

» Floodwaters from the east would carry toxic waste from the ‘Industrial Canal’ area, nicknamed after the chemical plants there. From the west, floodwaters would flow through an industrial complex that includes refineries and chemical plants, said van Heerden, who has studied computer models about the impact of a strong hurricane for four years. “These chemical plants [could] start flying apart, just as the other buildings do,” said van Heerden. “So, we have the potential for release of benzene, hydrochloric acid, chlorine and so on.” »

“Katrina” a touché les États-Unis. La catastrophe a touché “l’empire de la communication”. On se permet d’espérer qu’à un moment ou l’autre, quelqu’un pourra observer qu’ “à quelque chose malheur est bon”, — si l’ouragan et ses conséquences terribles, et les interprétations qu’on pourra en faire, ramènent la puissance américaine sur terre ; ou encore et de façon plus précise pour prendre nos responsabilités dans l’écriture de ce commentaire, — si le phénomène conduit enfin la première puissance du monde et responsable directe à tous égards du système où nous sommes emprisonnés, à prendre conscience de cette responsabilité politique. (“Responsable directe…” : les USA, avec 3% de la population mondiale, assument 25% de la pollution par émission de gaz carbonique, etc.)

Cette prise de conscience, c’est bien entendu trop demander au système lui-même, qui n’a pas placé par hasard à sa tête un GW Bush, et c’est le lui demander au nom d’un espoir faux et hypocrite. Il faut connaître ses adversaires et savoir, à visages découverts, qui est qui. Le système va continuer à se battre contre toute tentative de réforme de lui-même, — d’ailleurs, devinant confusément mais justement qu’une telle réforme est impossible et que la seule évocation du mot “réforme” signifie une condamnation révolutionnaire de sa substance même, avec des conséquences possibles incalculables pour son statut et sa puissance.

Le seul espoir raisonnable est que, dans l’aspect médiatique et virtualiste du système où la seule règle est également le profit immédiat (“l’empire de la communication”), c’est-à-dire l’exploitation maximale de ce qui “marche” et fait sensation par rapport aux préoccupations du public, “Katrina” déclenche une tempête d’interprétations mettant en cause la politique du système qu’on décrit ici. Les courroies de transmission au niveau politique ne manquent pas pour nous faire espérer qu’on puisse être conduit, à un moment ou l’autre, vers une mise en cause politique, à commencer par le désaccord fondamental existant entre nombre d’États de l’Union (partisans d’une lutte sérieuse contre la pollution) et le centre washingtonien totalement acquis, dans le sens le plus sonnant et le plus trébuchant, aux intérêts du système. (Cette concurrence entre ces pouvoirs aux intérêts et aux orientations radicalement différents à terme, c’est là le “maillon faible” du système.) Ce pourrait également être, cerise sur le gâteau, une bataille entre la “faith-based community” (même si la foi est dans ce cas rétribuée) et la “reality-based community”. Le public, directement concerné cette fois, pourrait s’y mettre.

En un sens dont nous ne cachons pas la faveur que nous lui accordons, les effets politiques de “Katrina” pourraient rencontrer les effets politiques de l’opposition à la guerre en Irak qui commencent à se faire sentir aux USA. Si l’on veut résumer par une formule qui eut de la faveur in illo tempore, et qui ferait espérer que malheurs et morts innombrables ne sont pas complètement en vain: “‘Katrina’ et Cindy Sheehan, même combat”.