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1770Le Premier ministre turc Erdogan, confirmant sa réputation d’imprédictibilité (dans tous les sens, parfois heureusement antiSystème), a choqué beaucoup de monde au cœur du vertueux bloc BAO, particulièrement chez Netanyahou et à Washington. Il faut dire qu’il a qualifié le sionisme de “crime contre l’humanité”. (Voir Antiwar.com le 28 février 2013 : «In a speech at the UN Alliance of Civilizations meeting, Turkish Prime Minister Recep Tayyip Erdogan urged the international community to speak out against Islamophobia, terming it a “crime against humanity” and likening it to “Zionism, anti-Semitism and fascism.”»)
Rencontrant Erdogan lors d’une visite en Turquie le 1er mars, le secrétaire d’État John Kerry a exprimé publiquement ses objections devant ce jugement, l’estimant “objectionable” et l’appréciant même comme “une menace contre le processus de paix” dans la question palestinienne (ce qui semblerait vouloir dire qu’il y a, actuellement, un “processus de paix” en cours, ce qui est une nouvelle étonnante mais rassurante). Il semble même qu’en privé l’entretien (avec Erdogan et son ministre des affaires étrangères Davutoglu), et la critique de Kerry et la riposte d’Erdogan, aient été assez violents. Jason Ditz, également d’Antiwar.com, nous rapporte la chose le 1er mars 2013 :
«Kerry’s comments came at a meeting with Erdogan in Ankara, and he claimed to have provided a more thorough rebuke in secret to Foreign Minister Ahmet Davutoglu, telling him the comments were a “hostile act.” Davutoglu reportedly told Kerry that the killings of nine Turkish aid workers by the Israeli military in 2010 was a more hostile act than an offhand comment at a UN meeting. Erdogan, visibly annoyed by Kerry’s comments, replied through an interpreter that if his dressing down of Erdogan was so thorough “there is nothing left for us to talk about.”»
Ditz enchaîne quelques réflexions sur cette éblouissante réussite diplomatique de Kerry, dans ses premiers pas dans sa fonction. Ditz observe que toute critique du “sionisme”, à Washington et sous les auspices de l’AIPAC et de Netanyahou, est considérée comme une sorte de sacrilège qui vous fait relaps et vous expose à l’excommunication majeure. Ditz continuer en observant que cette interprétation démontre qu’on n’a rien compris à ce qu’est le sionisme, tel qu’il est interprété en Israël même, dans toute la région et en général dans le reste du monde (avec des réserves pour le bloc BAO qui a adopté l’unité d’intelligence et d’ouverture d’esprit qu’on sait) : «In Israel, and indeed across most of the planet, Zionism is by contrast referring to the specific ethno-religo-centric political philosophy the state of Israel is based upon. Most of Israel’s political parties are explicitly Zionist, while a handful of smaller parties are explicitly anti-Zionist.»
Ditz termine son commentaire en allant directement au cœur du sujet : Kerry comprend-il ce dont il parle
«The depth of Kerry’s understanding of all of this, let alone his beliefs on the matter, are entirely unclear from this comment or his past comments, and he may well have lashed out at the mention of Zionism based on a dubious understanding of its meaning. Conversely, it is also entirely possible Kerry’s “objection” is simply a parroting of Benjamin Netanyahu’s own anger at the comments. As an avowed Zionist himself, Netanyahu’s comments would reflect his desire to see his discriminatory system as uniquely justifiable among such philosophies.
»Kerry’s own position vis-a-vis Israel, and indeed vis-a-vis a lot of important issues, is vague at best, and reflects on his long-standing public role as a consummate politician and speech-giver, and not an intellectual heavyweight in the Democratic Party. Though his speech-making prowess makes him ideally non-controversial as a Secretary of State, it leaves his public rebukes entirely up to chance as to whether or not he is reacting properly or even understands what he is reacting to.»
Par bonheur, et comme si le Ciel veillait à nous garder les yeux ouverts, quelques jours plus tôt (le 25 février), à Berlin, John Kerry avait donné une conférence devant des étudiants. Il avait mélangé quelques réflexions sur la Grande République, America, the Beautiful, sur les vertus civiques de son système politique et ainsi de suite, – largement illustrées, ces vertus, par la situation actuelle à Washington, – et y ajoutant quelques souvenirs touchants du jeune étudiant qu’il fut, partant on the road (cyclable) en Europe, à bicyclette, comme vous et moi. Un passage de son intervention avait retenu l’attention de Reuters, le 26 février 2013, à la gloire de la liberté made in USA, qui vous donne notamment et très précisément “le droit d’être stupide”.
«Secretary of State John Kerry offered a defense of freedom of speech, religion and thought in the United States on Tuesday telling German students that in America “you have a right to be stupid if you want to be.”
»“As a country, as a society, we live and breathe the idea of religious freedom and religious tolerance, whatever the religion, and political freedom and political tolerance, whatever the point of view,” Kerry told the students in Berlin, the second stop on his inaugural trip as secretary of state. “People have sometimes wondered about why our Supreme Court allows one group or another to march in a parade even though it's the most provocative thing in the world and they carry signs that are an insult to one group or another,” he added. “The reason is, that's freedom, freedom of speech. In America you have a right to be stupid - if you want to be,” he said, prompting laughter. “And you have a right to be disconnected to somebody else if you want to be.”»
La formulation de Kerry ayant été littéralement “en Amérique vous avez le droit d’être stupide, – si vous voulez l’être”, prudemment nous aurions ajouté, avec toute notre modestie européenne, – car la chose n’est pas si simple que semble le croire le secrétaire d’État : “…si vous pouvez l’être” (si vous êtes doué pour cela). Alors, pour faire une chute, nous pourrions terminer sur une variation de cette fameuse apostrophe de Francis Blanche dans son sketch avec Pierre Dac transformé en voyant nommé Sar Rabindranaduval, pour ceux qui se rappellent de ces personnages inimitables des années 1960, – mais cette fois à l’intention de John Kerry : “Il peut le faire !” Parfait citoyen américaniste, indeed, malgré son impeccable français, John Kerry.
Quoi qu’il soit, toute l’affaire va mettre à mal aussi bien les projets de Netanyahou de se réconcilier complètement avec la Turquie, en envisageant des excuses un peu tardives pour les morts turcs de la “flotille pour la paix” de mai 2010, que ceux d’Obama de verrouiller le “retour” de la Turquie dans le bloc BAO à l’occasion de la crise syrienne. C’est en effet à ce niveau qu’évolue la diplomatie aujourd’hui. Elle aussi, après tout et parce que la vertu américaniste est évidemment universelle, a bien “le droit d’être stupide”.
Mis en ligne le 2 mars 2013 à 09H54
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