Kerry par la barbichette

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Kerry par la barbichette

24 août 2004 — Ces derniers jours, la campagne électorale US a pris un tour polémique qui illustre assez justement le climat réel du pays, le désarroi du système et l’acharnement des candidats pour un seul aspect de cet événement : l’emporter à tout prix et de toutes les façons possibles. Mais surtout, ce tour polémique a permis de mettre en évidence le dilemme où John Kerry lui-même s'est mis, en acceptant à 100% la théologie républicaine et bushiste sur la situation présente.

La polémique a concerné la question du passé militaire de John Kerry, et elle a mis le candidat démocrate en mauvaise posture, avec des effets mesurables dans l’opinion publique. C’est un paradoxe de cet épisode, dans la mesure où Kerry s’est vraiment battu au Viet-nâm, au contraire de GW Bush et de son équipe, quasi-unanimement faite de ce qu’on nomme en termes vulgaires des “planqués” de la guerre du Viet-nâm. Gary Younge, du Guardian, observe très justement qu’il s’agit là d’une conséquence sans doute injuste (la plupart des accusations sembleraient infondées) d’une orientation générale dont Kerry est entièrement responsable.

« Take Vietnam. At first sight this is an issue you would think the Bush administration would want to keep away from. Thanks to family connections, the president served his war in the Texas National Guard — and even then it is debatable whether he showed up. The vice-president, Dick Cheney, managed to defer being drafted five times, until the war was over, claiming he had “other priorities”. Nine months and two days after the army changed the regulations so that married men with no children were no longer exempt, Cheney had his first child, Elizabeth, bringing a whole new meaning to the term family planning.

» Nobody is questioning their record in Vietnam for the simple reason that, unlike Kerry, neither them ever served there. For them to raise Kerry's service is a mixture of chutzpah and desperation that could backfire. Bush has tried to distance himself from the ads, saying they were put out by an independent group. But since the money trail leads back to his friends in Texas, this won't wash.

» The trouble for Kerry is that, in all likelihood, none of this will matter. The Bush campaign knows the attention span of the public is short and that few will sweat the details. Their hope is that by the time the claims of the Swift-boat Veterans have been discredited, a stubborn question mark will remain hanging over Kerry's military record. If you spread enough dung, goes the logic, then some seeds of doubt will grow.

» There is nothing new in this. The Bush team employed the same strategy in 2000 against Al Gore, forcing him to refute claims he never made about inventing the internet and being the basis for Love Story. In 2002, Republicans managed to unseat senator Max Cleland of Georgia by branding him unpatriotic because he opposed the creation of the homeland security department. Cleland lost three limbs in Vietnam and is a former head of the Veterans' Administration. »

Younge poursuit son raisonnement en observant que cette situation où Kerry est injustement pris à partie par les partisans de droite des républicains est finalement la conséquence des choix de Kerry lui-même. C’est rejoindre ce qu’on pouvait observer dès le début de la Convention démocrate, fin juillet. Les démocrates ont choisi le terrain du nationalisme belliciste à outrance où ils risquent fort d’être mangés tout crus : « In so doing, Kerry may have neutralised charges that he will be weak on defence. But he also made his war record fair game and set the ground work for one of the most nationalistic elections in living memory: a campaign that offers the choice between a Republican candidate who wants America to be obeyed and a Democrat who wants it to be “looked up to” and become “once again a beacon in the world”. »

(Parallèlement, ces mêmes démocrates ont abandonné leur terrain de prédilection, notamment les questions sociales et l’économie qui va avec. Certes, on peut s’exclamer sur les résultats sociaux de l’administration GW Bush, qui la mettent au niveau de l’administration Hoover, l’administration (1929-33) du krach de Wall Street et de la Grande Dépression : « The similarity [between Hoover and] Bush, also a Republican, is that the present incumbent faces the prospect of becoming the first president since Hoover to preside over a net loss of jobs in a four-year term. » On serait tenté de commenter : et alors ? Aujourd’hui, pour la première fois depuis 1968 et la crise vietnamienne, la préoccupation n°1 des Américains est la guerre en Irak, c’est-à-dire le nationalisme militariste, pas l’économie. [Même dans les années 1941-45, la première préoccupation des Américains était d’abord pour l’économie et le retour d’une dépression, avant même la question de la guerre.] Kerry a tout fait pour qu’on en arrive à ce phénomène si rare dans l’histoire électorale américaine.)

La situation va même jusqu’au paradoxe où c’est GW, ce président d’une médiocrité à perte de vue et d’une corruption psychologique et autre à couper le souffle, qui se permet de donner des leçons de bon sens à Kerry. Lorsque, magnanime, il affirme, avec l’hypocrisie qui convient puisque ce sont ses partisans qui ont lancé les calomnies sur le passé militaire de Kerry, qu’il n’y a rien à reprocher à ce passé militaire de Kerry, il termine en disant cette évidence que, de toutes les façons, ce n’est pas le problème : « Mr Bush was intensively questioned by reporters on the issue as he emerged from a military strategy meeting at his Texas holiday home in Crawford. “I think Senator Kerry served admirably and he ought to be proud of his record,” he said. “But the question is who is best to lead the country in the war on terror?” »

Kerry est totalement pris au piège de ses choix tactiques. Il pouvait, il devait être le candidat de l’opposition à la guerre, il devait être un candidat réformiste radical, à la manière de Franklin Delano Roosevelt face à ce même Hoover qu’on vient de citer, — ce fut la première et la seule fois où l’on vit dans l’histoire américaine une opposition de deux candidats être autre chose qu’une gâterie du “parti unique” divisant artificiellement sa représentation en deux.

Kerry a refusé cette audace qui aurait pu transformer l’élection en un débat démocratique formidablement puissant. Il est déjà en train de décompter les effets pervers de cette stratégie, où même ses avantages (il s’est battu au Viet-nâm, contrairement aux “planqués” de l’administration GW) se retournent contre lui. Il est constamment obligé de renchérir sur le maximalisme guerrier de l’administration, jusqu’à d’aussi grandes absurdités que l’affirmation qu'il voterait à nouveau pour la guerre aujourd’hui, sachant tout ce que l’on sait depuis avril 2003 et tout ce qui s’est passé. Cette logique, lorsqu’elle est sollicitée jusqu’à l’hypocrisie comme elle l’est nécessairement en campagne électorale, aboutit à la question mortelle pour Kerry : puisque GW a déclenché cette guerre et qu'il avait raison de le faire, puisque les deux candidats reconnaissent que la guerre est justifiée et que la poursuite de la guerre jusqu’à la victoire et/ou un règlement acceptable est la seule question importante aux USA aujourd’hui, pourquoi changer de président?