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280125 février 2018 – Cela fait donc quatre années à peine passées que nous sommes entrés dans ce que l’on peut et doit décrire comme une “ère nouvelle”, où la réalité achève d’être pulvérisée jusqu’à la néantisation à cause de l’allure et du contenu (informations) du système de la communication. Ces quatre années nous séparent du “coup de Kiev“ (21-22 février 2014), à partir duquel s’est déchaîné le déferlement de la communication issue du Système pour tenter d’imposer une narrative conforme à la représentation initiale (au sens théâtral) de l’événement. Les conditions même du “coup de Kiev” ont été totalement obscurcies et déformées, malgré des “fuites” de vérités-de-situation à cet égard, – la principale, c’est bien connu, étant celle de George Friedman, alors président du groupe Stratfor et depuis débarrassé de cette lourde charge, – sans doute, justement, pour en avoir un peu trop dit...
Ce changement fondamental dans la communication, avec le triomphe du côté du Système de la méthode de la narrative construite et développée hors de toute nécessité de se référer à quelque vérité ou réalité que ce soit, – comme si la réalité objective était devenue définitivement contingente et jetable par conséquent, – ce changement a engendré logiquement différentes attitudes et habitudes psychologiques ; ou plutôt, dirais-je, a “imposé décisivement” ces attitudes et ces habitudes. Le phénomène dominant à cet égard est celui pour lequel j’ai proposé l’expression de déterminisme-narrativiste. Il s’agit de ce phénomène d’abord psychologique puis infectant la pensée, qui emprisonne la pensée de celui qui est tombé sous l’empire de la narrative et ne lui donne aucune autre possibilité que de suivre à marche forcée la logique de cette narrative jusqu’à son terme s’il y a un terme, dans la plus complète fantasy-fiction, en refusant absolument tout signe de la réalité, en anesthésiant sa perception avec un certain ravissement puisque ce serait comme sous l’effet d’une drogue que dispenserait la narrative.
Depuis lors, cette dynamique n’a cessé de s’accentuer, avec un nouveau “seuil historique” franchi en 1976, avec le phénomène-Trump et le Russiagate. On en connaît des tonnes là-dessus, nous ne cessons d’en parler sur dedefensa.org ; moi-même, conforté par la puissance, la résilience et la durabilité de ce paroxysme devenu structurel, je pense qu’il s’agit de loin du “théâtre d’opération” le plus important de toute la Grande Crise d’Effondrement du Système.
(Cet épisode “USA-2016” et la suite, il s’agit bien d’un phénomène collectif, organisé par une force systémique au-delà du contrôle humain. Ceux qui semblent en être les victimes pendant un laps de temps n’en sont pas pour autant vertueux, pas tous veux-je dire et loin de là. Par exemple, Trump qui pouvait être placé dans une case antiSystème en 2016 n’en est pas moins un menteur hors-catégorie, même si le chiffre de 1 628 mensonges ou pseudo-mensonges en un an calculé par The Independent, qui ment lui-même à longueur de colonnes, pourrait être évidemment contesté et différemment comptabilisé. Mais l’on comprend bien qu’il ne s’agit pas d’une affaire de mensonges...)
... Effectivement, “l’on comprend bien qu’il ne s’agit pas d’une affaire de mensonges”, ni de complots, ni de manipulations, ni de corruption, etc., même si tout cela y passe bien entendu mais simplement comme moyens du bord et tripatouillages humanoïdes, pour recaler les trajectoires, bidouiller un rapport de cause à effet qui tienne la route entre l’absurde et l’invraisemblable, sauvegarder une carrière, satisfaire un hybris, donner l’impression d’exister, etc. A la base de tout et avant tout, il y a la grande affaire, ce que je tiens pour la terrible catastrophe ; il y a l’immense crise de la psychologie humaine, tant collective qu’individuelle dans ce cas, c’est-à-dire ce cas où les psychologies individuelles sont soumises à l’emportement collectif.
Personne ne s’étonnera de cette affirmation sous ma plume, on ne cesse de s’y référer sur ce site où la psychologie est reine. Ma thèse générale est que, depuis le XVIIIème siècle et l’événement du “déchaînement de la Matière”, la psychologie humaine s’est installée dans une crise profonde, une sorte de fatigue délétère, et que c’est cette situation qui influence tout le reste. Ce ne sont pas les idées qui ont un rôle essentiel, mais l’incapacité de la pensée, subvertie et empêchée par une psychologie épuisée d’exercer sa puissance illuminée par l’intuition haute, de développer les idées jusqu’au terme de la logique qu’elles contiennent, et d’ainsi débusquer ce que certaines de ces idées peuvent avoir de catastrophique, sinon de diabolique en elles.
D’où cette idée qu’il m’a semblé bienvenu, pour ce quatrième anniversaire du “coup de Kiev” qui nous confirme que nous sommes bien en mode-turbo de la postmoderne Barbarie intérieure (voir J.F. Mattei), de publier un passage de La Grâce de l’Histoire (Tome-II, p.206-211) où je développais rapidement cette conception. Cela s’appliquait au XVIIIème siècle et au “déchaînement de la Matière“ mais je crois que, depuis, la pente n’a fait que se raidir, la chute s’accélérer mais le processus restant similaire et la fatigue s’accentuant par conséquent, jusqu’aux pathologies ; par conséquent, ce passage tout à fait d’actualité si l’on m’entend bien...
Le voici reproduit ci-dessous, avec quelques corrections par rapport à la publication originale ; rien d’absolument fondamental certes, mais des détails qui comptent, des modifications de formulation qui ne sont pas sans importance... A partir du rangement et du volume du travail ainsi réalisé, il est acquis que cette conception devrait être reprise, développée, etc., tant il me paraît que l’expérience et ce temps crisique qui nous emporte ne font à mon estime que la conforter. J’y compte bien, autant que je l’espère., selon cette phrase que j’extrais du texte et qui résume au fond la véritable perspective du propos : « [...C]’est la ruse ultime du Mal que de n’avoir pas abaissé les esprits avant de les subvertir, mais de les avoir subvertis pour mieux qu’ils s’abaissent eux-mêmes... »
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…“Fatigue”, en effet, – le mot est dit. Dans ce parcours du retournement incroyable des perceptions de cette époque terrible, où s’entrechoquent Renaissance, Réforme, pourriture papale portée à son sommet par le “Borgia pape !” de Nietzsche, licence et libération des mœurs, haute culture et sublimation du grand art, “anarchie intellectuelle” et pessimisme, magie et humanisme, guerre des religions et classements à la fois logiques et faussaires des acteurs, confusion des valeurs trompeusement érigées en principes et contrainte des jugements, tous les ferments de la modernité à la fois rêvée et réelle, tout cela couronné par la déstructuration du Christianisme et le “Grand Siècle de l’Intolérance”, – dans ce tourbillon et à cause de ce tourbillon se trouvent la graine et le ferment d’une terrible fatigue de la psychologie. Elle seule, et nullement le complot, ni le parti pris, ni les idées, ni les jugements faussés et confus sans qu’on ait la moindre appréciation de celui qui se rapproche d’une réalité satisfaisante et moins encore de la Vérité elle-même, elle seule, la fatigue, explique l’évolution des esprits par une sorte d’“enchevêtrement cadencé”, mécanique, de la psychologie durant les deux siècles qui suivent. Elle seule, la fatigue, explique que les plus hautes intelligences, les plus superbes talents, tenant pour acquises ces perceptions permises et forcées par le désordre d’événements emplis de ces contradictions qu’on a observées, vont se trouver dans un état d’extrême vulnérabilité lorsqu’interviendra cette force historique immense qui prend naissance au cours du XVIIIème siècle et s’affirme décisivement au tournant des XVIIIème et XIXème siècles… Cette force, attirée par cette fatigue psychologique et la vulnérabilité qui s’ensuit, ou bien profitant d’elles, comme si elle existait déjà, cette force, aux aguets, tapie dans les profondeurs de la matière, bien avant que l’occasion ne se manifeste ? – Question déjà posée, comme un avertissement fondamental, que nous retrouverons plus loin, sans aucun doute, qui tient la clef fondamentale de notre appréciation générale...
Ce que j’entends décrire ici, je le répète avec la plus grande force possible, – force contre force, – n’est pas une évolution spécifique de la pensée occidentale (la modernité, les Lumières, etc.), même si c’est de cela qu’il pourrait sembler s’agir à première vue ; mais l’évolution de la pensée occidentale emportée d’abord parce que la fatigue de la psychologie, construisant, installant et absorbant ces retournements incroyables de la perception, donne à la pensée, avec cette psychologie, un outil usé, perverti, qui n’a plus rien de la précision et de la rigueur d’emploi qui font sa force. La psychologie fatiguée, épuisée, de l’Occident entrave la logique et la rigueur de la pensée, amollit cette pensée, la ferme à l’influence sublime de l’intuition haute et l’ouvre au sentimentalisme, à la sensiblerie du raisonnement. (La maladie viendra ensuite, conséquence de la fatigue, lorsque la “force historique immense” signalée plus haut se sera installée en triomphatrice, après le tournant du XVIIIème au XIXème siècle ; ce sera la névrose moderniste, qui fera renaître dans ses extrêmes catastrophiques la maniaco-dépression caractéristique de la psychologie humaine en crise terminale.) Dans cette période, avec ce paroxysme des Lumières, au cœur de ce XVIIIème siècle tant chéri, la pensée reste haute, la plume est superbe, le talent immense, comme on les trouve dans les grands esprits de la période, mais tout cela est frappé de la vulnérabilité qu’implique la fatigue de la psychologie ; c’est la ruse ultime du Mal que de n’avoir pas abaissé les esprits avant de les subvertir, mais de les avoir subvertis pour mieux qu’ils s’abaissent eux-mêmes... Fatigue et vulnérabilité sont des états qu’on peut réparer ou tenir à distance, donc de peu d’importance pour le caractère et pour le jugement ; lorsqu’elles affectent la psychologie, on ne les distingue pas, ou bien on les tient comme choses négligeables si l’on s’en avise un instant. En conséquence de tout cela, avec contradictions et paradoxes dans le sens qui importe, nous tenons au contraire qu’il s’agit de facteurs essentiels, qui installent la scène terrible du drame qui va se nouer à la fin du XVIIIème siècle.
L’outil de la pensée, la psychologie qu’on a vue épuisée, intervient dans l’orientation de la pensée avant que la conscience et sa raison n’abordent le labeur de concevoir, d’ordonner et de formuler cette pensée. L’outil est distordu par la fatigue, il a perdu subrepticement sa fonction d’outil au service de l’esprit pour devenir quelque chose qui oriente, qui influence l’esprit par sa faiblesse et sa fourberie involontaires, – l’influence, l’arme des faibles et des fourbes. Son influence est toute entière marquée par l’imprégnation à laquelle il cède d’une conception émolliente et sentimentale des choses. Littéralement, c’est-à-dire mécaniquement, l’outil est gauchi. Dans le cours de ce même processus d’épuisement de la psychologie résultant des bouillonnements des XVème, XVIème, XVIIème siècles, que sais-je, avec les interprétions auxquelles on était conduit, d’apparence séduisante mais également épuisante par les paradoxes et les contradictions, il se développa quelque chose que nous pourrions désigner comme une sorte de “pensée conformée” ; mais il s’agit d’une “conformation” vile et basse, cédant au plus tentateur ; et, dans cette sorte, le résultat est, avant que le processus de la pensée véritable n’intervienne, une façon conformiste de penser inscrite dans un schéma lui-même d’un conformisme très puissant, très prégnant, puisque formé à partir de tous les accidents historiques qu’on a décrits et qui sont tous interprétés dans le même sens. En quelque sorte, l’essence faussaire (le conformisme né de la psychologie épuisée) a précédé la substance pervertie (la pensée) ; et cette pensée pervertie par la psychologie conformée, évidemment dans le sens de la confusion, de la mollesse, de la faiblesse même, de la vulnérabilité à la tentation des subversions évidentes mais fort joliment maquillées.
Il s’ensuit ce fait que l’esprit pris dans son sens le plus vaste et le plus sublime, celui qui le place au-dessus de la raison lorsque l’intuition haute et sa logique métahistorique l’investissent de toute sa puissance glorieuse, s’en trouve dans ce cas affaibli et rendu stérile, infécond, par sa propre fermeture à cette intuition qui dérange sa conformation, voire son conformisme. L’intelligence d’un tel esprit ainsi abaissée n’a plus le rôle qu’un grand caractère doit lui assigner et la grandeur éventuelle de cette intelligence peut devenir une tromperie d’une grandeur au moins égale, si cette intelligence elle-même est le produit de cette psychologie transformée en un outil usé et gauchi qui en fait une inspiratrice intrigante. Les intelligences les plus puissantes peuvent le rester effectivement mais elles peuvent en même temps porter la marque de la fatigue de la psychologie comme nous l’avons décrite, et être faussées à mesure, c’est-à-dire fort puissamment. Une terrible mécanique de perversion de la pensée se met en place, où le sophisme va s’installer, appuyé sur le diktat de la vertu morale et la tentation du confort de l’irresponsabilité intellectuelle qui se manifeste dans l’acceptation de ce diktat.
Il est nécessaire d’affirmer clairement et énergiquement que, dans la description de cette hypothèse à la fois psychologique et historique, nous induisons l’affirmation d’une indépendance considérable et d’une différence également très grande des deux processus, entre le processus de la psychologie et le processus du développement de la pensée sous la conduite de la raison et, pour les meilleurs, le gouvernement de l’intuition. La psychologie considérée comme un outil, et comme un outil autonome pouvant ingérer des influences qui lui sont propres (ou des influences extérieures qui lui sont devenues propres) et qui auront un effet sur la pensée, subit une fatigue qui n’est pas un simple dysfonctionnement biologique mais qui a une influence intellectuelle. La psychologie est “fatiguée”, comme on l’a vu, comme l’on dit à un conducteur “vous fatiguez votre voiture” parce qu’il la fait fonctionner en première vitesse ou en seconde vitesse à très haut régime alors qu’il devrait enclencher la troisième vitesse ou la quatrième vitesse ; il s’agit de la “fatigue” d’un usage à contretemps, pris à contre-pied… Mais l’essentiel dans cette erreur qu’on décrit volontairement au plus bas, comme mécanique, est qu’elle s’exprime finalement par des contresens et des faux-sens qui vont influencer la pensée. Le contretemps et le contre-pied mécaniques s’expriment, lors du passage de la psychologie à la pensée, par des contresens et des faux-sens qui affectent l’intelligence du monde, à ce point fondamental du passage entre le domaine de la perception inconsciente de la situation du monde conduite par un processus psychologique épuisé et celui de la formation de la pensée, et le jugement qui s’ensuit. Le résultat est en effet cette situation terrible où la plus haute intelligence, la pensée et le talent les plus élevés ne sont plus du tout une garantie assurée d’un jugement mesuré de la situation du monde, ni une garantie de justesse et de sagesse alors que l’esprit croit au contraire que ces vertus évidentes sont toujours présentes et actives.
Le lecteur garde toujours à l’esprit que nous ne sommes nullement dans le domaine de la critique de la pensée, de l’opinion que cette pensée exprime, du jugement qu’exprime cette opinion. Nous nous plaçons en deçà de ce processus intellectuel au sens le plus large, chronologiquement avant que ce processus n’ait lieu. Nous tentons de décrire comment la pensée occidentale a “progressé” (nous aurions préféré le terme “évolué” mais l’on comprendra la logique du choix puisqu’il s’agit d’évoluer vers la “pensée progressiste” caractéristique de la modernité) pour parvenir à une situation où la catastrophe a été rendue possible, où elle s’est effectivement déclenchée et répandue comme une traînée de poudre conduisant à l’apparition catastrophique d’une peste épouvantable enfin reconnaissable comme telle. Au point de fusion de cette “apparition catastrophique” de la peste se trouve la conjonction de trois événements qui eux-mêmes renvoient, comme en un cercle vicieux qui serait le piège d’une histoire à cet instant totalement subvertie, à cette même “progression” de la pensée occidentale, – la catastrophe, avec nos “trois Révolutions”, entre 1776 et 1825, pour prendre au plus large, entre la Déclaration d’Indépendance des USA et la fameuse phrase qui épouvanta Stendhal (« Les Lumières, c’est désormais l’industrie »), – Révolution américaniste, Révolution Française et révolution du choix de la thermodynamique.
L’évolution des affaires du monde et de la civilisation qui prétend mener ce monde pressait dans le sens où l’on pouvait voir et interpréter ce spectacle général comme une “progression”, – bien cela, “progression” et non “évolution”. Les progrès des sciences, la grandeur des arts et des lettres, l’éblouissement des Lumières et d’une incomparable civilisation toute entière inspirée par le brio français, laissent à penser à l’historien qui se contente des apparences que l’évolution des idées suivait évidemment cette sublime progression de la civilisation. Mais la fatigue psychologique était à l’œuvre et poussait à des termes politiques nouveaux, suggérés par la “pensée conformée” de et par cette même fatigue psychologique déjà elle-même porteuse de conformisme. La liberté grandissante des esprits engendre en général, lorsque ces esprits sont privés de la structure solide d’une psychologie saine, un besoin presque sensuel de liberté toujours plus grand marqué par l’aveuglement des perspectives et l’inattention pour les effets, qui se traduit par la lassitude méprisante de l’ordre et le besoin exaspéré, presque névrotique, de sacrilège. (Nous donnons à ce mot son sens le plus large, au-delà du sens religieux, et certainement plus proche du sens métaphysique : un sacrilège contre le rangement naturel, harmonieux et équilibré, du monde.) Observer cela dans le cours du XVIIIème siècle, c’est annoncer ce qui serait le caractère de confrontation extrême et sauvage de la “deuxième civilisation occidentale”, avec sa rupture d’équilibre au profit de l’idéal de puissance exprimé par l’hybris (la démesure), brusquement dressé contre l’idéal de perfection. Ainsi le XVIIIème siècle enfante-t-il ce qui, à son terme, sera la trahison de lui-même selon ce qu’il aurait dû lui-même vouloir être. La pente est ouverte au sacrifice du sens au profit de la liberté déchaînée comme une licence de l’esprit de s’affranchir de toute règle et de toute mesure, cette liberté si exaltée, si ivre d’elle-même qu’elle serait bientôt l’accoucheuse du besoin de puissance. La fatigue psychologique, qui conduit en vérité ce processus, ou plutôt ce déraillement du processus de la civilisation, renforce encore ce déraillement jusqu’à envahir l’esprit du vertige de la puissance qui va naître comme naturellement de cette spirale catastrophique.