Kim, Trump, Bolton & le DeepState

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Kim, Trump, Bolton & le DeepState

Mike Whitney, contributeur régulier de UNZ.Review, développe le 31 mars 2019 la thèse appuyée sur des révélations des journalistes Lesley Wroughton et de David Brunnstrom, de Reuters, selon lesquels Bolton a saboté le sommet Trump-Kim de Hanoï en introduisant des demandes, sous forme d’exigences inacceptables pour le président nord-coréen. Bien entendu, c’est Trump qui a communiqué ses demandes-exigences, ce qui implique son soutien actif à l’opération-Bolton, et un revirement complet par rapport à ce que l’on jugeait rationnellement de sa politique.

Whitney examine donc soupçonneusement cette affaire, notamment en la mettant directement en connexion avec le bouclage de son enquête contre Trump du Procureur Spécial Mueller. Son hypothèse est qu’il y un “Grand Marché” (Great Bargain) entre Trump et, bien entendu, le DeepState. Whitney s’appuie sur le récit de Wroughton-Brunnstorm selon lesquels Bolton a soudain donné au président, avant sa rencontre avec Kim, une feuille comportant ces “exigences inacceptables”, et Trump se contentant de les lire à Kim, complètement stupéfait par cette position inattendue. D’où les inévitables “pourquoi ?”.

« Mais pourquoi Trump aurait-il accepté cette fraude ? Et pourquoi Trump a-t-il déployé plus de troupes en Syrie en même temps qu’il autorisait Israël à annexer le plateau du Golan ? Y a-t-il un lien entre le (récent) revirement de politique étrangère de Trump et la fin de l'enquête Mueller ? Trump a-t-il passé un accord avec ses adversairees [du DeepStatepour que Mueller termine son enquête et relâche sa pression ?

» C’est difficile à affirmer mais on peut tout de même remarquer qu’il n’y avait aucune raison pour Mueller de clore l’enquête. En effet, l’enquête faisait exactement ce à quoi elle était destinée : créer une 4e branche du gouvernement qui avait le pouvoir d’interpeller, de harceler et d’inculper quiconque de son choix afin de maintenir l’administration sur la défensive, de faire échouer tout effort visant à normaliser les relations avec la Russie et de saper la légitimité et l'autorité morale du président. Pourquoi Mueller abandonnerait-il tout ça s'il ne faisait pas partie d'un Grand Marché secret ? »

L’argument est évidemment renforcé a contrario par la très récente demande de Trump de laisser tomber les nouvelles sanctions prévues contre la Corée du Nord selon l’argument, évident par ailleurs pour la plupart des sanctions en général, qu’elles frapperaient essentiellement la population innocente de Corée du Nord. Par contre, il est largement disqualifié par l’attitude de Trump vis-à-vis notamment de l’Iran et du Venezuela, – pour prendre les stars actuelles dans l’impressionnante multitude de pays victimes de la “politique des sanctions” des USA, explicitement développée, appuyée, proclamée par le même Trump. Les populations iraniennes et vénézuéliennes, par définition innocentes selon le simulacre pluri- et hyper-démocratique des USA, souffrent horriblement de ces sanctions.

• L’explication donnée par Whitney souffre, lui, de diverses faiblesses selon notre appréciation. Lorsqu’il écrit « le (récent) revirement de politique étrangère de Trump », le mot entre parenthèses est vraiment de trop. Il n’y a pas eu un revirement de Trump en politique étrangère, il y a une suite de revirements donnant une sinusoïde depuis qu’il est à la Maison-Blanche ; cela est bien suffisant pour interdire qu’on puisse parler d’“une politique étrangère” de Trump. (On peut parler d’un “revirement”, ou d’une “trahison” par rapport à ses promesses électorales, dès le 15 avril 2017, puis d’un autre “revirement” en sens inverse le 12 mai 2017, et ainsi de suite.)

• Du coup, l’argument selon lequel Trump a passé un Grand Marché avec le fameux DeepState, qui serait représenté par Bolton, lequel par conséquent lui aurait été imposé (Bolton est arrivé à sa fonction en mai 2018), n’a pas grande valeur. Au reste l’expression DeepState (État profond) est un piège sans fond dans lequel s’ébrouent tous les raisonnements et les manœuvres plus ou moins machiavéliques ou complotistes du monde. L’expression extraordinairement vague fait que tout le monde, chaque personne occupant un poste et un rang stratégique dans l’appareil de sécurité nationale peut être désigné comme un “représentant” de la chose. Bolton a remplacé le général McMaster qui, avec les deux autres généraux également licenciés depuis (Kelly à la Maison-Blanche, Mattis au Pentagone), était identifié comme le représentant du DeepState ; et, comble de l’ironie, McMaster confia à l’époque (été 2017) qu’il était là pour modérer les ardeurs bellicistes et nucléaires de Trump, notamment contre la Corée du Nord (voir le 14 septembre 2017 : « Les généraux, Mattis notamment, ont constamment joué le rôle de frein dans les différents épisodes de la crise nord-coréenne et l’on dit que McMaster, lorsqu’il a un peu bu, confie que son rôle principalest d’empêcher “ce dingue” [Trump] de déclencher une apocalypse nucléaire »)

• On peut évidemment construire une hypothèse de cette sorte en fonction de la fin de l’enquête Mueller, mais le contexte ne le justifie en rien. L’épisode du sommet de Hanoï a vu certainement Bolton agir comme on le dit, mais il s’agit plutôt à notre sens d’une affaire personnelle, tenant au bellicisme pathologique du personnage activant tous les complots guerriers possibles. Bolton tient aux côtés de Trump à cause de son sens de la flatterie et de son obséquiosité, aussi fortes que son agressivité dans la politique US vis-à-vis des faibles, auprès d’un personnage incroyablement narcissique (Trump) mais qui éprouve également une sorte d’affection pour Kim. Trump peut très bien avoir endossé les exigences de Bolton sans mesurer exactement leur contenu (la même mésaventure est arrivée plusieurs fois à Reagan, autre président inculte et personnage de pure communication, comme Trump) ; il réalise maintenant ce qui est arrivé et tente de bloquer certaines des mesures qu’il avait lui-même recommandées. 

• Quant à l’attitude de Trump vis-à-vis d’Israël (reconnaissance de l’annexion du Golan, après diverses autres gracieusetés), l’argument est très faible : Trump est totalement engagé auprès d’Israël, du fait de ses donateurs, de l’influence de sa fille et de son gendre Jared Kushner, sinon même par pure inclinaison personnelle. Il n’a certainement pas besoin de la surveillance du DeepState pour suivre cette politique et notre sentiment est plutôt que le DeepState craindrait qu’il aille trop loin.

• Tout cela laisse très ouvert les causes de la fin de l’enquête de Mueller qui peut répondre à une multitude de causes. En attendant, les démocrates, qui peuvent affirmer qu’ils représentent également le DeepState  ne sont pas très satisfaits que Mueller n’ait rien trouvé, – ou bien n’ait peut-être rien trouvé, selon les diverses manœuvres en cours, – ou bien soit un agent de Poutine après tout. Les démocrates du Congrès vont donc enquêter sur l’enquêteur.

... En attendant, quelle que soit l’explication donnée à l’échec du sommet d’Hanoï, et nous-mêmes favorisant une convergence d’irrationalités diverses, notamment celles de Bolton et celle de Trump, l’effet est, selon Whitney, parfaitement vertueux et antiSystème !

« Mais si l'administration Trump n'est pas disposée à négocier honnêtement avec le Nord, comment Kim peut-il aller de l'avant avec son plan visant à établir des relations pacifiques avec ses amis du Sud et ses alliés dans la région ?

» La seule façon d’agir pour Kim est de contourner complètement l'administration Trump et de renforcer les relations avec ceux qui l'aideront à atteindre ses objectifs stratégiques. Il doit montrer qu'il est un partenaire digne de confiance qui est prêt à poursuivre sur la voie de la dénucléarisation, quels que soient les obstacles et les provocations créés par les États-Unis. Il doit continuer à solliciter l'avis des dirigeants à Beijing, Moscou et Séoul et leur prouver qu'il est fermement résolu à débarrasser la péninsule de ses armes nucléaires dans l'intérêt de la paix et de la sécurité. Kim doit accueillir les inspecteurs internationaux en désarmement pour surveiller le démantèlement de son arsenal nucléaire et de ses usines d'enrichissement nucléaire. Il doit augmenter la fréquence de ses visites à Séoul, où sa cote de popularité a grimpé en flèche et où ses efforts pour la paix et la réunification sont applaudis par près de 80% de la population. Il doit “promouvoir son propre calendrier de dénucléarisation” et présenter son cas au Conseil de sécurité de l'ONU pour examen. Il doit convaincre l'opinion publique qu'il ne reviendra pas sur son engagement sans faille en faveur du dialogue, de la coopération, de l'intégration économique et de la paix.

» Selon le journal Hankyoreh News, le chef d'état-major et officier du protocole de Kim Jong un a fait un voyage secret à Moscou la semaine dernière “alimentant la spéculation que Kim Jong-un pourrait être sur le point de se rendre en Russie”. Au même moment, un haut responsable de la sécurité nationale de Corée du Sud (Kim Hyun-chong) s'est également rendu en Russie.

» Voit-on ce qui se passe ? Ce que ces réunions secrètes suggèrent, c'est que les dirigeants régionaux sont en train d'élaborer une stratégie “post-Hanoi” qui tiendra compte de l'empressement de Kim à coopérer et du rejet obstiné de Washington de toute politique qui ne renforce pas davantage sa propre emprise vicieuse sur le pouvoir. L’équipe Trump n’est plus dans le coup. Les grands de la région prennent les choses en main et vont de l'avant.

» Comme nous l'avons souligné dans un article précédent, Kim n'est ni un belliciste ni un idéologue. C'est un homme de son temps qui veut laisser sa marque dans l’histoire, qui veut faire entrer son pays dans l'ère moderne et se joindre à la coalition des nations qui deviennent rapidement le plus grand bloc commercial de l'histoire.

» Voici comment l'auteur John Delury l'a résumé dans un récent article d’opinion dans le New York Times : “M. Kim veut être un grand réformateur économique... (Il veut) faire passer le régime de la sécurité à la prospérité... Il veut que la Corée du Nord rattrape son retard et s'intègre dans la région, et il est dans l'intérêt de tous de l'y aider...” (“Kim Jong-un Has a Dream. The U.S. Should Help Him Realize It”  [“Kim Jong-un a un rêve. Les USA devraient l’aider à le réaliser”], New York Times) »

 

Mis en ligne le 2 avril 2019 à 09H56