Kouchner se fâche: ami des Américains, soit — mais aligné sur les USA, ça jamais!

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Le ministre français des affaires étrangères commence à en avoir ras le Stetson. Les interprétations qu’on fait de ses paroles ne lui plaisent pas du tout, et encore moins les soupçons vite transformés en verdict et condamnation pour alignement sur les USA. Kouchner tient farouchement qu’il est un homme de paix, qu’il n’a jamais dit qu’il voulait la guerre, qu’il est ami des USA mais point aligné sur eux, etc. Ainsi Elaine Sciolino nous rapporte-t-elle ce que le ministre a dit à France-Inter, dans un article de ce jour de l’International Herald Tribune :

«As criticism of France for its war rhetoric increased, Kouchner set out in a lengthy morning interview with France Inter radio both to explain and to defend, but not to retract, his words.

»“I said, ‘The worst, it is war,’” Kouchner explained, “‘The worst,’ this is not what I want. I did not say, ‘The best, it's war.’ I did not say, ‘My choice, it's war.’ I said, ‘The worst.’”

»At times sounding defensive, at times irritated, Kouchner declared: “I am not a warmonger. I am a peacemonger.” He faulted the news media around the world “for throwing, like a bomb, one word without explaining it.”

»At another point, he told his host, “Stop putting me on trial!”

»He presented France as a pacific country, saying, “We are, in effect, pacifists in the good sense of the word.”

»On Sunday, Kouchner, a medical doctor and humanitarian activist before he was named foreign minister, said in a radio and television interview, “It is necessary to prepare for the worst” against Iran, adding, “The worst, it's war, sir.”»

Mais ce n’est pas fini. Il y a une première cerise sur le gâteau, une interview le même jour (mercredi) du ministre de la défense Morin, qui balaye avec fureur toute idée de préparation de plans de guerre de la France contre l’Iran, qui qualifie de “fantaisie” toutes ces spéculations concernant une possible attaque de l’Iran (y compris les propos du ministre des affaires étrangères? Mais quels propos, au fait? Qu’a-t-il dit?)

Elaine Sciolino: «On Wednesday, Defense Minister Hervé Morin seemed to contradict Kouchner, saying that France had no military plan to attack Iran's nuclear program. “Nobody should think for a single instant that we are imagining and preparing military plans concerning Iran,” Morin said in an interview with Canal Plus television. He called speculation about a possible conflict “fantasy.”»

Finalement, le point le plus intéressant de ces agitations est le passage en mode défensif des deux ministres, surtout Kouchner bien sûr, vis-à-vis des accusations d’alignement sur les USA:

“I reject it completely and this is not true,” [Kouchner] said. Recalling his recent trip to Iraq, he said, “I went to Iraq without the Americans, without informing them ahead of time, without using their services, without being protected by them.”

»But he acknowledged that under President Nicolas Sarkozy, French policy toward the United States had changed from that of his predecessor.

»“We don't take our orders from Washington, even if we have a different policy than the one that was based on permanent anti-Americanism,” he said. He said that presidency of Jacques Chirac, Sarkozy's predecessor, “was not very pro-American.”

»“Yes, this is a secret for no one,” he said.»

Alors, peut-être Védrine aura-t-il son débat, après tout? Entre les maladresses diverses de Kouchner, par ailleurs peu gâté par les circonstances ni par ses collègues, la coordination hésitante de la phalange sarkozyste, la mise au premier plan d’une crise iranienne chaotique entre les diverses déclarations et interprétations, ne peut-on faire l’hypothèse qu’on assiste éventuellement à la rapide arrivée à maturation du problème des relations avec les USA dans le débat public?

L’habituelle attitude des “élites” françaises dans le champ intérieur et parisien est de se lasser assez vite de soutenir une position où l’on peut vous accuser de sacrifier l’apparence de la liberté aux réalités de la politique. Il y a donc pro-américanisme et pro-américanisme; lorsqu’il s’agit d’affirmer des principes à la gloire de la Grande République sans risque de voir leurs effets dans la réalité, ce pro-américanisme-là est également glorieux; lorsque le pro-américanisme semble faire une incursion dans le réel et suscite le soupçon d’allégeance (“je ne vais pas prendre mes ordres à Washington!” proclame Kouchner), la chose perd de son lustre. Certains ont déjà noté (voir notamment des remarques de nos lecteurs, dont “Misanthrope modéré” le 11 septembre) que des médias traditionnellement pro-US en fonction inverse de la réputation de l’administration Chirac, commencent à se découvrir critiques d’une éventuelle ligne pro-US de l’administration Sarkozy. Kouchner est agacé, “sur la défensive”; il ne “prend pas ses ordres” (bis) à la Maison-Blanche; il va tout seul à Bagdad, comme un grand, sans la protection US (protégé par Al Qaïda?), et ainsi de suite… Le malheureux ministre se défend déjà comme s’il était coupable et, bientôt, l’on jasera dans les dîners en ville, — la pire chose qui puisse lui arriver.

Le processus qu’on décrit est de politique intérieure, sinon de “politique mondaine”. Qu’importe, l’effet est là et l’on sait que nos ministres, surtout un Kouchner, sont sensibles aux mondanités. On dit Kouchner tétanisé à l’idée de perdre la popularité au zénith qu’il occupait dans les sondages non-politiques du temps qu’il n’était pas ministre et qu’il était pro-américain sans souci ni remord.

D’autre part, il y a les batailles internes. La réaction du ministre de la défense est au moins une réaction corporatiste. La question de la planification, des états-majors, de la guerre de ce point de vue, c’est la défense, pas les affaires étrangères. Les militaires vont commencer à s’inquiéter des réactions devant l’orientation pro-US. Leur principale cible, c’est l’OTAN; si l’Iran réveille un vent de fronde anti-US, le rapprochement avec l’OTAN pourrait en être victime. (Il ne faudrait pas que l’Iran compromette l’OTAN…)

La plus grande difficulté de ce gouvernement qui est marqué “à la culotte” par une réputation pro-américaniste considérable va être de tenter de s’en débarrasser tout en tentant de faire progresser sa politique. La réputation anti-US de Chirac permettait sans risque à l’ancien président de faire tous les sourires possibles à Washington (rapprochement effectif de l’OTAN depuis 1995, participation à la guerre du Kosovo, profil bas après l’opposition à la guerre en Irak, “réconciliation” en fanfare avec Bush en février 2005, coordination franco-US dans la crise de l’assassinat du Premier ministre Hariri au Liban, etc.). La réputation pro-US de Sarko va rendre très difficile l’éventuelle politique pro-US du nouveau président parce qu’il sera l’objet de tous les soupçons, parce qu’il l’est déjà. Si l’on suit cette logique, on imaginerait un Sarko devenant anti-américain pour ne pas paraître trop pro-américaniste, par opportunisme en un sens, — il faudrait y penser, non?


Mis en ligne le 20 septembre 2007 à 22H57