Krugman à la Fed? “Crazy”?

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Voilà bien un signe de l’agitation presque révolutionnaire – révolutionnaire pour les USA – qui parcourt aujourd’hui la Grande République, depuis le coup de tonnerre du Massachusetts. Il s’agit de l’idée, lancée par Simon Johnson, de nommer Paul Krugman à la tête de la Federal Reserve, à la place de Ben Bernanke, dont la reconduction vient d’être mise en cause par certaines agitations du Sénat.

• Simon Johnson, sur Baseline Scenario, le 23 janvier 2010.

«The case for Ben Bernanke’s reappointment was weak to start with, weakened with his hearings, and is now held together by string and some phone calls from the White House. Bernanke is an airline pilot who pulled off a miraculous landing, but didn’t do his preflight checks and doesn’t show any sign of being more careful in the future – thank him if you want, but why would you fly with him again (or the airline that keeps him on)?

»The support for Bernanke in the Senate hangs by a thread – with Harry Reid providing a message of support, albeit lukewarm, after the markets close. The White House is telling people that if Bernanke is not reconfirmed there will be chaos in the markets and the economic recovery will be derailed. This is incorrect.

»The danger here is uncertainty – the markets fear a prolonged policy vacuum. Fortunately, there is a way to address this. Ben Bernanke should withdraw and the president should nominate Paul Krugman to take his place…»

• La réaction de Krugman à cette hypothèse a été: «It’s crazy». Pas si vite, répond, le même 23 janvier 2010, James Kwak, également sur Baseline Scenario.

«Paul Krugman says that Simon’s idea that he should be chair of the Fed is “crazy.” Krugman’s point is either that he wouldn’t be confirmed or that he wouldn’t be able to bring the Open Market Committee along. Maybe he’s right about the former; a Republican filibuster does seem reasonably likely.

»I don’t think he’s right about the latter; or, more precisely, I don’t think it matters. The FOMC is, on paper, a democratic body: they vote. There is a tradition that the votes are generally unanimous because of the perceived importance of demonstrating consensus. I don’t know how old this tradition is; it was certainly in place under Greenspan. But everyone knows that the members of the FOMC disagree about many things; that’s why the various bank president members go around giving speeches objecting (not in so many words) to the FOMC’s decisions. Given that we all know there are debates involved, how important is this fiction of consensus?

»Put another way, I think it would actually be good if we had a non-unanimous FOMC and even a FOMC that voted against its chair now and then. That would help get us away from this ideology of the all-knowing, all-powerful Fed chair, which is clearly wrong and certainly dangerous. So if Krugman couldn’t get everyone on the committee to back him, who cares? He’s a smart man, and by being on the committee he will move it in his direction, even if not all the way there. As I’ve said before, the job of Fed chair should be a little more like being chief justice of the Supreme Court and less like being Dictator of All Economic and Monetary Policy, which is what it almost was under Greenspan. That’s why I think the administration can be very open-minded about this job. We want to get away from depending on one person, which means we have to stop acting like the Fed chair has to be a demigod.»

Notre commentaire

@PAYANT L’important, dans cette intervention typique des canaux suivis aujourd’hui grâce à Internet, n’est pas tant l’hypothèse de Krugman à la Fed, ni la position de Krugman, ni les chances de Krugman d’aller à la Fed, ni la réelle possibilité pratique de cet épisode – mais bien le fait politique que tout cela ait lieu, et considéré avec un certain sérieux.

Les différents acteurs de cette rapide supputation sont tous plus ou moins contestataires des politiques officielles suivies, dans tous les cas jusqu’au 19 janvier 2010 (l’élection du Massachusetts). Ils font néanmoins partie plus ou moins institutionnellement de l’establishment. Leurs voix sont écoutées, quoique souvent étiquetées comme trop radicales; mais ils sont dans le jeu, disons comme des “dissidents” officiels, c’est-à-dire partie intégrante de l’éventail de l’establishment qui a aussi besoin d’une opposition interne pour exister – et, en temps de crise, plus que jamais. Autrement dit, ce débat annexe et qui a fort peu de chance d’aboutir – mais qui sait, “en temps de crise”? – est un signe très caractéristique que la crise s’est installée fermement au cœur de l’establishment, avec l’élection partielle du Massachusets.

Nous verrions naturellement cette situation, et cet épisode Krugman-président de la Fed, comme des signes très significatifs du désordre qui règne aujourd’hui à l’intérieur de l’establishment. Nous répétons, contre les thèses des organisations occultes, des situations de contrôle du système, des desseins cachés poursuivis par des organisations ou des personnalités diverses, la thèse que nous favorisons constamment et de plus en plus du désordre complet de l’establishment et du système, ce qui entraîne effectivement des propositions originales, étranges, etc., comme celle-ci. Le système n’est plus dans une situation contrôlée.

Il y a effectivement un éclatement remarquable et significatif de la rigueur et de la fermeté du pouvoir américaniste, avec l’affirmation désordonnée et anarchique des divers centres de pouvoir, des groupes d’intérêt, des groupes d’opinion, etc., à l’intérieur du système – jusqu'à l'intrusion quasiment démocratique de l'opinion publique elle-même (Massachusetts). Il faut savoir comment raisonner à cet égard. L’affirmation formidable de Wall Street entre l’automne 2008 et l’été 2009, avec les excès divers qu’on connaît succédant à l’effondrement qu’on n’ignore pas moins, n’implique absolument pas la prise du pouvoir par Wall Street mais simplement une phase spécifique du désordre où Wall Street s’affirme plus que les autres – paradoxalement, mais logiquement dans cette situation de désordre, parce que Wall Street menace d’être volatilisé et qu’il faut sauver Wall Street. La même situation pourrait se renouveler pour d’autres centres de pouvoir, et c’est d’ailleurs en ce moment le cas pour le Pentagone, comme cela pourrait être le cas demain pour Wall Street à nouveau… Cela, jusqu’au moment, où le système ne pourra plus supporter les tensions qu’il s’impose à lui-même.

Et puis, entretemps, intervient un coup de tonnerre comme l’élection du Massachusetts, qui n’a rien à voir avec aucune machination, qui est simplement l’expression d’une colère populaire, qui serait presque un événement… Comment le définir? Un événement démocratique, comble du paradoxe? Et tout est remis en question. Bernanke, archi-architecte du scandaleux sauvetage des banques, est contesté au cœur même de l’institution lénifiante et corrompue du système, le Sénat; Obama devient populiste en un tour de main qui est un tour de veste; des gens sérieux proposent Krugman comme président de la Fed… Qu’y a-t-il de sérieux, justement, dans tout cela? Qu’est-ce qui durera et qu’est-ce qui ne durera pas? Questions pour un devin, dont nous ne sommes pas, mais questions dont aucune n’est absurde ni déplacée. L’essentiel est bien ailleurs, dans cette fascinante description du désordre complet d’une machine qui ne peut tenir et continuer à fonctionner que dans l’ordre, l’équilibre entre ses composants, etc. C’est non seulement l’analogie du Titanic, mais avec le système l’accomplissant à sa façon, en tanguant bord sur bord, dans un désordre peu ordinaire et très remarquable.


Mis en ligne le 25 janvier 2010 à 06H32