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1142Dennis Kucinich n’est pas précisément, aux USA, un homme du système. Avec Ron Paul à l’autre bout du spectre politique (lui à gauche et chez les démocrates, Paul à droite et chez les républicains), il constitue le type même de l’élu qui peut prétendre à assez d’indépendance pour qu’on puisse dire de lui qu’il est à la fois dans le système et contre le système. Son appel lancé aux démocrates (aux“libéraux”, progressistes) pour qu’ils aillent voter est d’autant plus impressionnant, et encore plus quand on sait qu’il n’est pas électoralement menacé. Kucinich appelle à voter pour empêcher la montée des “forces du nihilisme”.
C’est dans une interview de RAW Story, le 27 octobre 2010, que Kucinich lance cet appel. Son intervention sous forme d’interview hors du champ de la bataille électorale montre bien son intention d’une démarche dépassant effectivement ce cadre, pour s’inscrire dans le champ politique fondamental.
«As Democrats fear a wave of losses in next Tuesday's elections, due in part to a lack of enthusiasm within their base, one progressive champion made an impassioned plea for liberals to head to the polls and and vote.
»“We can get out there and make our voices heard, or we can let the forces of nihilism take over,” Rep. Dennis Kucinich (D-OH) told Raw Story in an exclusive interview late Tuesday afternoon.
»The Cleveland Democrat warned progressives that a Republican takeover of the House of Representatives – a likely scenario, according to election experts – could surrender the levers of power to “megalomaniacal neoconservatives who are more in need of mental attention.” “There's no question about it,” he said. “We have to vote.”
»Kucinich, a seven-term congressman who seems to be in no danger, sympathized with liberals who are disenchanted with the Democratic Party, but insisted they must “work within the system” to achieve the results they want, arguing that tuning out wasn't a better solution. “I would never try to minimize their concerns. I understand them,” he said. “I wish we had broader options. I certainly don't like our political system, but I'm not prepared to walk away.”
»If there's anyone in Congress who shares liberal misgivings about the Obama administration, it's Kucinich. From health care to the economy to the Iraq and Afghanistan wars, he has been outspoken about his criticisms. “But this election is a choice,” he said.»
@PAYANT Relevons quelques paroles qui ont un grand poids, qui tranchent largement sur l’habituelle dialectique électorale… La montée des “forces of nihilism”, qui menacent de s’approprier le pouvoir ; ces “forces du nihilisme” caractérisées notamment en termes psychiatriques (“megalomaniacal neoconservatives who are more in need of mental attention”) ; une élection qui dépasse très largement, peut-être dans une manière et selon des circonstances jamais vues auparavant, les habituelles qualifications et étiquettes, – “this election is a choice”, c’est-à-dire, encore plus qu’un “choix de société”, un choix du fondement politique même des USA… Il s’agit certes du système, concède Kucinich, lui qui a toujours dénoncé le système, il s’agit de soutenir Obama, explique-t-il encore, lui qui a bien souvent critiqué la faiblesse et la pusillanimité d’Obama ; mais tout cela doit tendre à s’effacer devant le danger, non pas d’un coup d’Etat, non pas même d’une orientation idéologique, mais le danger de voir des mégalomanes, des gens psychologiquement malades jusqu’à l’hystérie, prendre certains leviers essentiels du pouvoir. Le terme même employé fixe effectivement cet enjeu : le nihilisme n’est pas une force organisée de complot, ou une force idéologique, mais bien, dans les conditions de cet événement électoral, une forme extrême de désordre de l’esprit politique. Kucinich prend soin de préciser qu’il en coûtera beaucoup à nombre de ceux à qui il lance cet appel, de voter effectivement pour un parti et un président qui ont trahi tous leurs espoirs. Mais son appel concerne une situation de très grand danger, de danger ontologique.
On a ainsi une bonne mesure de la radicalité et de l’urgence de la situation, parce que Kucinich, dans le bouillon de corruption extrême qu’est ce système, représente sans aucun doute ce qu’il y a de moins corrompu, donc de plus proche d’une certaine vérité. Cet appel, bien plus qu’aucune palinodie d’Obama ou intervention de l’un ou l’autre “éléphant” discrédité du parti démocrate, fixe effectivement l’intensité de la situation politique aux USA. Kucinich est ainsi poussé dans ses derniers retranchements, puisqu’il abandonne toute sa rhétorique radicale et embrasse une cause dont il est fondamentalement l’adversaire (le conformisme emprisonné du “parti unique“ dont le parti démocrate n’est qu’une aile). Pour lui, par rapport à son électorat classique (frange extrême radicale du parti démocrate), il s’agit d’un risque certain, sinon pour son élection qui semble assurée, dans tous les cas pour sa réputation ; qu’il l’ait pris renforce encore le sentiment général qu’on exprime ici.
On comprend donc parfaitement que Kucinich ait pris cette position. Pour autant, disons d’une façon objective et en considérant la situation selon ses grandes lignes de force et selon les enjeux fondamentaux qui nous intéressent, on suivra une position plus ambiguë. On comprend que Kucinich voit chez ses adversaires les “forces du nihilisme”, y compris des mégalomanes justifiant un séjour en milieu psychiatrique. Pour autant, on ne peut réduire ce mouvement général à ces seuls jugements, d’abord en observant qu’il y a bien plus de diversité que celles qu’enferment ces seuls jugements ; ensuite et surtout, parce qu’il est également bon de se demander si la responsabilité de ces dérangements mentaux et de ce nihilisme n’est pas le fait du système lui-même et de ce qu’il impose (avec la complicité des uns et des autres, des neocons en premier certes) aux uns et aux autres, y compris et surtout à ceux qui le servent particulièrement, – et la réponse est évidemment positive. A cette lumière, cette “montée du nihilisme” n’est pas un accident, une “déviation” terrible, une catastrophe incompréhensible, mais bien entendu une conséquence logique et sans aucun doute inévitable de l’évolution et de l’action du système. Qu’elle ait lieu est effrayant mais ni illogique, ni mauvais en soi. D’une certaine façon, elle va placer le système devant l’extrême des effets de son action fondamentalement déstructurante, donc établir une certaine vérité de la situation générale. Que cette vérité implique peut-être, sans doute, probablement, l’accélération de l’effondrement du système, voilà qui ne nous fera verser aucune larme de crocodile mais au contraire doit conduire à se féliciter de la vitesse et de la radicalité des événements. On comprend que Kucinich ne le fasse pas et qu’il éprouve une très grande angoisse, mais en l’occurrence il n’a pas raison, notamment si les convictions générales qu’il affiche sont sincères.
Dans tous les cas, Kucinich mérite quelques remerciements. Son appel, dans les circonstances où on le détaille fixe parfaitement l’enjeu fondamental de cette élections. Il nous signale effectivement que jamais une élection mid-term aux USA, généralement considérée comme une élection secondaire, n’a eu une telle importance ontologique. Dénoncer la présence du nihilisme comme facteur de la victoire probable d’une consultation électorale majeure est, aux USA, dans un système qui a établi son empire sur une dialectique de la raison, sans aucun doute exceptionnel (sans qu’on puisse s’empêcher de penser, bien entendu, que cette “dialectique de la raison” du système n’est rien d’autre que le faux nez de son nihilisme, – là aussi, les masques tombent). L’on mesurera cette importance, plus encore qu’aux résultats, aux événements qui vont suivre ces résultats si ces résultats sont conformes à ce qui est annoncé.
Mis en ligne le 28 octobre 2010 à 06H14
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