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136218 mars 2010 — Il existe aujourd’hui une convergence remarquable de points de désaccords, de tensions et de crises dans divers domaines politiques et autres, et dans diverses zones géographiques, qui mesurent un niveau important d’augmentation du désordre dans les relations internationales. Une appréciation générale n’est pas inutile, après avoir cité les divers points de désordre. Nous ne citons même pas ici les crises endémiques, en cours depuis plusieurs années et dont la résolution n’est nulle part envisageable. Il s’agit de points tel que l’Afghanistan, la crise iranienne, voire l’Irak lui-même où le “triomphe de la démocratie” pourrait aboutir à une situation qui constituerait l’exact antithèse d’une victoire pour l’ordre que voudrait imposer le système américaniste et occidentaliste. Tous les éditoriaux du monde n’y changeront rien.
Passons en revue quelques-uns de ces points particulièrement actifs en ce moment.
• Les relations entre les USA et Israël ont atteint un niveau de tension qui est proche d’être sans précédent.
• Le chemin vers l’accord SALT-II entre la Russie et les USA est parcouru dans une tension et un chaos extraordinaires. Il met à nu les interférences du système bureaucratique sur la volonté politique.
• Les tension à l’intérieur de l’Europe touchent désormais les choix fondamentaux, même à l’intérieur du fameux “couple”-moteur qu’est le duo France-Allemagne.
• L’affaire des ravitailleurs en vol KC-45 de l’USAF, d’où le concurrent européen s’est retiré, a mis en évidence ce que d’aucuns jugent comme étant un très sévère affrontement commercial entre les USA et l’Europe.
• Des développements décisifs affectent la grande manœuvre US lancée en 2005 pour faire entrer l’Inde dans ses conceptions et ses réseaux stratégiques, notamment en la séparant de la Russie et en l’opposant à la Chine. Désormais, l’Inde est de plus en plus amenée à admettre qu’elle a été manipulée dans cette entreprise et qu’un réalignement correspondant à son engagement dans le groupe BRIC est de son intérêt autant qu’il apparaît évident à tous.
• La tension entre les USA et la Chine est une évidence pour tous, malgré les dénégations (US) officielles. Il y a un parti “anti-chinois” à Washington, conduit par des “nationalistes économiques”, curieusement conduit, lui-même, notamment par un Paul Krugman. (Voir l’excellent texte de John V. Walsh du 17 mars 2010, sur Antiwar.com.)
• La situation sur la frontière Sud des USA ne cesse de se détériorer, dans une étonnante et générale indifférence des autorités washingtoniennes. Ce point de tension affecte aussi bien les situations intérieures des deux pays que leurs relations d’Etat à Etat.
• Cette situation sur la frontière Sud des USA conduit à mentionner le caractère instable de la situation intérieure des USA, parcourue de tensions centrifuges. Cette situation est particulièrement évidente depuis l’élection du Massachusetts, du 19 janvier.
• La crise du Pentagone, notamment manifestée dans la crise du programme JSF ou même observée à l’occasion de l’affaire des ravitailleurs en vol, ne peut être tenue pour une simple crise sectorielle. Il s’agit d’une manifestation massive de la crise du technologisme évoluant vers une impasse, qui nourrit les tensions internationales par l’intermédiaire des remous qu’elle provoque dans les engagements outre-mer des USA, dans les échanges d’armement et les pressions politiques qui les accompagnent.
…On pourrait certainement poursuivre cette liste avec d’autres points de tension et de crise. Il n’y aucune direction assurée dans ces diverses crises, sans aucun doute, sauf, bien entendu, qu’on y retrouve à chaque occasion la présence déstructurante ou l’influence déstructurante des USA, lesquels constituent par conséquent, et par définition si l’on veut, le vecteur central, le “fil rouge” du désordre. En effet, on ne peut qualifier autrement que de “désordre” cette situation confuse à l’extrême, criblée de contradictions et de paradoxes.
Il nous semble logique de proposer l’idée que ce désordre des relations internationales, avec des effets nationaux (intérieurs) indubitables, correspond clairement à la nouvelle phase de la crise entrée dans son processus d’intensification avec l’écroulement bancaire du 15 septembre 2008. Nous avons déjà proposé l’interprétation selon laquelle cette nouvelle phase a commencé avec l’élection partielle du 19 janvier 2010, dans le Massachusetts, qui a déstabilisé, non seulement l’administration Obama mais tout l’establishment washingtonien en général. La désignation de Ron Paul comme n°1 de la droite conservatrice et son discours très anti-guerre à la convention du CPAC des 20-21 février ont acté ce tournant.
Nous pensons que ce climat intérieur US, qui affecte l’establishment au cœur, est essentiellement la cause des débordements désordonnés et maximalistes en politique extérieure. En effet, la politique extérieure US, en pleine déroute et plongée dans le désordre, évolue dans ce sens à partir d’un nombre considérable de positions de force et est donc capable d’influer, directement en général, plus rarement indirectement mais toujours puissamment, sur les grandes affaires internationales. Il faut comprendre que, dans telle ou telle occurrence d’une crise ou d’une tension internationale, même si les USA sont perçus comme fortement en déclin et de moins en moins capables de participer d’une façon directrice et constructive à la situation générale, leur présence négative et perturbatrice reste un facteur extrêmement important. Il va également sans dire que cette importance n’est pas bénéfique pour les USA, qu’elle accentue le jugement négatif qu’on porte sur eux, et éventuellement leur propre désordre.
La forme de l’action des USA dans tous ces cas est caractérisée par la même tendance, toujours dynamique, à la radicalisation, touchant tous les milieux. La transformation d’un Krugman d’une position de chroniqueur très critique du système, appuyé sur des jugements très sévères mais extrêmement rigoureux, en une position de “général Krugman” (comme le surnomme Walsh) menant une campagne d’affrontement contre la Chine, est une bonne illustration de ce processus de radicalisation. On constate bien entendu que ce processus s’accompagne d’une tendance psychologique de plus en plus hystérique, nourrissant des analyses et des jugements eux-mêmes marqués par l’extrême et par l’excès.
En d’autres termes, cette deuxième phase de la crise n’est pas seulement un désordre géopolitique grandissant. C’est d’abord la poursuite accélérée de la radicalisation quasi hystérique des psychologies, essentiellement US pour des raisons conjoncturelles bien compréhensibles (déclin accéléré de la puissance, situation intérieure de plus en plus fragile). On voit bien que nous sommes dans l’ère psychopolitique où le système de communication tient désormais une place essentielle. On peut même avancer l’idée que ce système de communication, encore plus qu’être un simple automatisme orientant les pressions selon des intentions cachées, voire des tendances politiques presque automatiques, est en soi devenu un acteur actif fondamental de la vie politique, avec sa propre vie, un peu à l’image d’autres systèmes (le Pentagone en est le meilleur exemple) qui vivent également d’une vie autonome et sont ainsi insensibles à toute incursion d’une volonté politique extérieure à eux… Au reste, la chose est facilitée par l’affaiblissement constant des volontés politiques, correspondant à une sorte de “radicalisation de la médiocrité” de l’action des dirigeants politiques, essentiellement dans le système occidentaliste-américaniste.
Ce dernier point ci-dessus doit en effet conduire la transition vers un constat plus général. Le désordre que nous constatons, qui se généralise, qui touche les situations intérieures et extérieures, que nous considérons comme une phase nouvelle de la crise, n’est pas seulement le reflet du désordre politique du monde, et, plus particulièrement, du moteur du système que sont les Etats-Unis d’Amérique. Il s’agit d’abord du résultat de la confrontation avec une réalité historique en pleine effervescence des divers systèmes qui forment la structure générale de notre civilisation, des entités type «superorganisme ou système anthropomorphique», comme les nomme un de nos lecteurs et amis, Jean-Paul Baquiast, dans son dernier livre Le Paradoxe de Sapiens (Jean-Paul Bayol éditeur, février 2010), – dont nous reparlerons abondamment, tant il rencontre dans le domaine scientifique nos thèses politiques et historiques (voir La grâce de l’Histoire).
Il n’y a pas de meilleur exemple de cette situation que les négociations START-II telles que nous les avons décrites dans notre Bloc-Notes du 17 mars 2010. On y voit l’autorité politique (Obama) confrontée au diktat de l’action de la bureaucratie qui mène les négociations pour les USA. La situation, sous la pression des nécessités chronologiques de signature du traité, conduit à une “alliance” de facto entre des directions politiques qui devraient pourtant représenter la concurrence stratégique et géopolitique fondamentale du cas (coup de téléphone de Medvedev à Obama, où l’on en arrive à une “information” indirecte donnée par Medvedev à Obama sur le comportement de la bureaucratie US).
Ainsi la situation présente n’est-elle pas directement celle, classique, du désordre de diverses confrontations géopolitiques. Ce sont les conséquences qui s’inscrivent éventuellement dans la géopolitique, d’ailleurs sans l’ordre habituel qu’impose la logique de la géopolitique. La bataille se fait selon les normes de l’ère psychopolitique, d’abord au niveau de la communication, et nullement selon les normes d’affrontement de type géopolitique, mais selon une situation de désordre comme on l’a décrite plus haut, où les “adversaires” et les “ennemis” ne répondent plus non plus à la seule logique géopolitique ou des intérêts nationaux. La bataille porte également sur des sujets différents. Elle concerne moins, là encore, directement les intérêts géopolitiques, même si ceux-ci sont influencés, que les effets de la poussée déstructurante du système général que nous nommons “technologisme” (notamment à l’invitation de Dimitri Rogozine en juillet 2008), système d’une énorme puissance, sans but déterminé sinon celui d’affirmer sa puissance, et aujourd’hui plongé dans une crise profonde. Tous ces facteurs accroissent considérablement le désordre et l’anarchie des évolutions, avec comme pôle central de dynamisme la crise générale de notre système occidentaliste et américaniste, et de notre civilisation.
L’essentiel, dans la situation actuelle, pour tenter d’en comprendre l’absence apparente de sens (désordre, anarchie) et le sens profond dissimulé, est d’abandonner les références habituelles, notamment géopolitiques et idéologiques. Nos propres références sont effectivement à trouver dans l’action des systèmes aux abois, les rapports de cette action avec les directions politiques prisonnières de ces systèmes mais de plus en plus déchirées à cause des sollicitations puissantes du courant historique qui balaie notre époque; nous avons effectivement choisi, comme appréciation de rangement des événements, de décrire le désordre en cours en un affrontement souterrain mais d’une puissance inouïe, entre forces structurantes et forces déstructurantes. En l’occurrence, avec ces forces puissantes du technologisme et de la communication confrontées à la pression grandissante d’un courant historique puissant contestant radicalement le diktat de ces deux forces, la géopolitiques en est réduite à s’organiser selon les conséquences, chaotiques pour elle, de cet affrontement.
Dans cette bataille de titans, l’homme est devenu un acteur incertain, tantôt jouet aveugle de l’action de ces forces, parfois tentant de réagir d’une manière nécessairement secondaire mais qui peut avoir son influence et son effet. Les idées dont notre dialectique est encombrée, à prétention idéologique et humaniste, de la morale type-droits de l’homme à la politique de révérence pour la démocratie, ne servent qu’à renforcer la confusion et à faire figure de faux nez ou de cache sexe pour les forces supérieures en action, – quasi exclusivement les forces déstructurantes, bien sûr. Certes, l’homme a un rôle à jouer dans cette immense crise; il passe nécessairement par une révision radicale de la vanité extraordinaire, du narcissisme qui ont conduit l’appréciation qu’il a lui-même portée jusqu’ici sur son propre rôle, sur sa propre importance historique et ontologique.
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