La bataille du rail

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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La bataille du rail

7 avril 2018 – Je vous l’avoue, grands-amis lecteurs, la grande bataille en cours en France ne me passionne guère. (Ou dois-je écrire cela au passé ? On verra plus loin.) Peut-être ai-je tort et d’ailleurs je ne prétends aucunement avoir raison. Simplement, je cède à la honte d’être Français et citoyen de ce pays qui n’a cessé de se mettre toujours au plus bas ces dernières années, jusqu’aux abysses de la médiocrité, au Mordor furieux du non-Être qui se permet de souffler comme une forge, comme s’il n'“était” autre chose que du rien...

Mais bon, peut-être me trompe-je, – pour ce qui concerne “la bataille du rail” en cours notamment, dont je me disais qu’il y en avait eu de plus glorieuses, – mais là aussi, brusquement, incertitude à propos de ce jugement, hésitation soudain...

Les dernières 24 heures m’ont donc fait m’interroger. (Inutile de vous dire, si me venait l’idée d’en parler comme je l’écris présentement, de quel côté je me trouve, je dirais objectivement, avec une certaine distance mais sans hésitation, par l’évidente force des choses.) Hier, je me baladai, dix minutes par-ci un quart d’heure par là sur les réseaux TV-info, pour m’arrêter plus longuement au “Débat” de LCI, de la vénérable Arlette Chabot, avec Soarig Quéméner, jeune femme charmante qui dirige la politique à Marianne, et Jean-Sébastien Ferjou, directeur d’Atlantico. J’avais déjà vu ces deux-là à l’une ou l’autre occasion, notamment durant la campagne présidentielle, et les avait mis un peu en-dehors de l’insupportable classe des bobardiers-Système qui pullulent en France où la presseSystème montre un zèle souvent à la mesure de la Grande Nation, – un “zèle d’exception”... Dans le cas présent, le “débat” dont je parle c’était plutôt un chœur à l’unisson.

Ainsi appris-je l’échec d’une rencontre entre syndicats et gouvernement après les premières grèves, notamment devant un gouvernement totalement imperméable au sens des mots “négociation“, “compromis”, etc. Et mes deux commentateurs d’insister de concert sur la gravité potentielle de la situation devant cette passe d’armes qui suscitait le durcissement du mouvement, manifestait la possibilité d’une impasse, illustrait l’incompréhension de ce “gouvernement-techno” dirigé par un “banquier-président” tous gelés dans une sorte d’arrogance vertueuse et de mépris cultivé aux sources de la bienpensance-Système. Sur l’instant, je me suis surpris à me dire qu’avec un peu de chance, – oui, c’est bien “de chance” qu’il s’agit, — la chose pouvait tourner vraiment mal ; alors, nous aurions la possibilité d’une belle et bonne crise française, au cœur d’une Europe fourbue et divisée, dans un monde déjà emporté par les vertiges du tourbillon-crisique.

(Macron vient de me téléphoner qu’il est assez d’accord sur les risques de l’aventure après quelques jours d’indifférence jupitérienne, signe qu’il panique un peu le brave garçon. Il en discutera à bâtons drôlement rompus et écoutilles ouvertes sur les vents de la tempête avec Jean-Pierre Pernault, l’homme de la France profonde via TF1-LCI, jeudi prochain.)

Bien entendu, les parallèles ne manquent pas – vous imaginez, presque-mai-18 cinquante ans après mai-68 ! WSWS.org voit déjà la révolution “en-marche”et, vouant aux gémonies infernales tous les prétendants social-traîtres et gauchiste-judas, nous indique la force progressiste-trotskiste prête à faire “don de sa personne-collective” à la France désemparée : le Parti de l’Égalité Socialiste de la véridique-IVème Internationale fondé en 2016. Bref, en quelques quarante-huit heures, un mouvement assez puissant mais incertain et aventureux semble se muer en une représentation animée d’un malaise extrêmement profond, à la mesure de la crise du globalisme, que les Macron’s girls-boys avaient cru tenir sous le boisseau de leur symphonie libérale et hors-parti, volontariste-réformiste, progressiste-postmoderne, pleine d’un optimisme idyllique et enchanteur, un peu comme la flûte du magicien de Hamelinemmenant sa troupe de rats à la noyade générale. (Décidément, l’image me colle au stylo, ces derniers temps.)

Je serais bien en peine de vous dire, 1) ce que je pense de la durabilité et de la puissance du phénomène lui-même, et 2) des perspectives qu’il pourrait évrtuellement finir par dégager. L’intérêt du jeu est qu’il y a, car on ne sait jamais, la possibilité d’un chaos très français, et qu’il n’y a aucune alternative de structuré et de sérieux à ce qui se trouve en place. La surprise de la donne, si nous continuons sur cette pente, c’est que Macron deviendrait ainsi un Trump-à-la-française, celui par qui le bordel arrive en-France, – le chaos-Macroniste explosant derrière le chaos-Trumpiste. Toujours me vient à l’esprit cette réflexion finalement si convenue et qui montre son usure à force d’emploi, mais qui ne parvient pas à être quitte de l’énergie qu’elle ne cesse de dégager, comme si l’usure même du jugement était paradoxalement productrice d’énergie : “Quelle étrange époque est-ce là, mon bon monsieur Bouvard-&-Pécuchet ?”

Je reste disons mollement persuadé, parce que je ne peux me départir des pressions de ma raison, que ce départ de feu débouchera sur un feu de paille bien plus que sur une nouvelle interprétation wagnérienne de l’incendie de Rome. Par ailleurs et au contraire, je reste d’un même jugement tout à fait conscient que ma raison-seule qui m’a si souvent conseillé et que j’ai toujours prudemment laissée à ses certitudes sans les endosser, – cette raison-seule toujours en danger catastrophique d’être raison-subvertie quand elle croit se suffire à elle-même, – s’est à peu près aussi souvent trompée du fait des contrepieds de cette “étrange époque” qu’elle a prétendu tenir le bon bout. Pour faire bref, je ne sais qu’écrire qui fasse une conclusion conforme à ma fonction de chroniqueur des temps qui vont...

Mais ils vont si vite, ces temps qui courent plutôt qu’aller !

Alors, me dis-je, – “je ne sais qu’écrire”, sauf que, sauf que... La France, tombée si bas qu’on en perdait le souvenir pour la laisser “aller jouer avec cette poussière”, semble prétendre brusquement exister à nouveau, – ou tenter d’exister à nouveau comme on est tenté, souvenir retrouvé, d’à nouveau s’acoquiner avec la Grande Histoire, ce que je désigne comme la métahistoire. “Bienvenue au club” dirait, sarcastique, un esprit ironique mais néanmoins prêt à assister à une apocalypse de plus dans cette “époque étrange” qui réveillerait un Saint-Louis pour lui donner à voir ce qu’est devenu son royaume. En bon antiSystème, nous suivrons donc avec intérêt les péripéties des jours prochains. En cela je veux dire, dans l’intérêt que l’antiSystème accorde à la chose, qu’il y a du nouveau qui peut apparaître comme une conclusion sérieuse. La sentinelle doit redoubler de vigilance désormais.

Quant au jeune Macron, diantre, quelle aventure. Cela s’appelle un déniaisage, ou un dépucelage si l’on veut. Jupiter l’observe et, croyez-moi, si vous écartez sa barbe fleurie au vent divin du plus haut de l’Olympe, vous distinguez un sourire dont vous ne pouvez arriver à deviner s’il est condescendant ou simplement intéressé, pour tromper un instant d’ennui. Il va falloir que le gamin souque ferme.