La Belgique et le WSJ

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La Belgique et le WSJ


1er mars 2003 — On lira ci-après un échange entre le ministre belge de la défense et le Wall Street Journal, à la suite d’un article du 13 février du journaliste Philip Shishkin. On ne s’attardera pas au contenu de cet article du 13 février, on ne le citera même pas, par lassitude de relever les contre-vérités et arguments robotisés de journalistes qui font considérer avec nostalgie l’humanité de leurs inspirateurs du temps de la Pravda. (Illustrons ce propos d’une anecdote rapide, de Renata Lesnik, qui avait été collaboratrice d’une radio soviétique avant de passer à l’Ouest. Elle rapportait l’épuisement psychologique, la nervosité intenable, que provoquait ce maniement continuel du mensonge auquel elle était obligée, — il n’y a en effet rien de plus épuisant que le mensonge continuel de ces journalistes s’il leur reste quelque conscience à ce propos ; un jour, Lesnik fut prise d’une audace insensée puisqu’elle ignorait comment l’autre réagirait, mais elle n’y tenait plus ; elle s’ouvrit de l’humeur extrême où la mettait ce devoir de mensonge à son chef de service, disons un nommé Boris ; Boris réagit bien, il ne la dénonça pas et, de façon très différente et fort subtile, constatant l’extrême nervosité où ce devoir mettait la jeune femme, il ouvrit son tiroir, sortit une bouteille de vodka, et lui dit : « Tiens, bois, c’est ce que je fais d’habitude. » Nos robots US ne font pas ça ; ils vous répondent par une leçon de morale, ajoutant l’ennui au reste et montrant qu’ils ont définitivement déserté l’humanité.)

Ce qui nous a paru remarquable, c’est l’extraordinaire vigueur de la lettre de Flahaut. Cette vigueur marque bien, aujourd’hui, l’humeur des dirigeants belges et de nombre de leurs concitoyens face aux agressions américaines. Il n’y a là ni extrémisme, ni antiaméricanisme du type qui fait disserter chez les éditeurs Rive Gauche. Il y a une réaction d’Européens, finissant par ne plus supporter la grossièreté des leçons assénées par les journalistes américains au nom d’une vertu dont ils représentent une caricature parfaitement homothétique. Aujourd’hui, les Belges sont donc à classer parmi les “bons Européens”, et non sans verdeur audacieuse et courageuse, — il en faut pour traiter le WSJ de pute remarquable par le niveau où elle est tombée. C’est une surprise heureuse, pour une classe politique qu’on pouvait croire, avec les meilleures raisons du monde, complètement corrompue au niveau de la psychologie et du caractère. Que le sentiment européen, en même temps qu’un sentiment national (« My Country », écrit Flahaut), conduisent à une telle transformation, voilà qui est à mettre parmi les grandes espérances européennes.

La violence de l’échange mesure l’état des relations transatlantiques. C’est une bonne mesure, et, si elle est basée sur une anecdote et sur une affaire secondaire, elle en est encore plus significative puisque impliquant un ministre d’un pays européen pourtant réputé pour sa mesure et sa prudence, et l’organe quasi-officiel de la fraction US la plus extrémiste qualifié de « newspaper of this quality ».

(Pour la mesure des choses, on rapprochera ce texte de celui que nous avons récemment publié sur le mécontentement d’un universitaire turc à la suite d’un article du New York Times.)

La défense du WSJ est classique : l’appel au témoin, capitaine de surcroît, de l’armée belge, mécontent de son ministre et qui le dit, anonymement, « who understandably declined to be identified by name » (la police politique belge veille) ; l’appel au Grand Témoin, par-dessus tout, le mercenaire US sur place (les US le voient comme ça), le secrétaire général de l’OTAN de service.

D’autre part, — la réponse du WSJ est remarquable par un autre côté, par ce qu’elle exprime d’un état d’esprit. Il y a un refus complet de prendre en considération des aspects humains et les nuances qui s’y attachent, ainsi que les nuances pourtant nombreuses et chamarrées de la Belgique ; il y a l’entraînement dans les pensées-slogans, pensées ramenées à des concepts extraordinaires par leur aspect primaire (les Belges ont peur de se battre contre Saddam) ; il y a l’emprisonnement de l’esprit, pour juger d’une situation humaine, dans les seules données chiffrées, d’ailleurs bien contestables si on les apprécie relativement. (Aujourd’hui, 85% du personnel, civil et militaire, du DoD, est affecté à des tâches non-militaires (gestion, administration, etc) ; un budget deux fois supérieur à ceux de tous les autres pays de l’OTAN ne permet pas aux USA, comme des néo-conservateurs comme Max Boot et autres ne cessent de s’en plaindre, de mener plus que la préparation d’une mini-guerre contre l’Irak, ce qui explique que rien n’a pu être fait contre la Corée du Nord.)


• Il s’agit donc de deux textes extraits du Wall Street Journal (Europe), du 26 février 2003, — le premier (la réponse de Flahaut) sous forme de Letter To The Editor, le second (le commentaire WSJ) sous forme d'édito.


An Insult to My Country and Its Military

I have read The Wall Street Journal's recent article concerning the armies of Europe, and in particular the Belgian armed forces (“Military Budgets Show Why U.S. Can't Rely on Major NATO Help,” Feb. 13). Beyond the fact that the article's assertions insult my country and the men and women with a military and humanitarian vocation, I am surprised that a newspaper of this quality is prostituting itself to this level.

Your unfair treatment of a long-term ally of the United States is sufficient to suffocate the most fervent defender of the freedom of the press. Deriding the concept of objectivity with such violence must alarm any citizen (American, European and Belgian).

The ease and vulgarity of your assertions suggest the intention to harm and bear witness to a lack of professionalism. Even if I can understand that the present political context makes you lose the sense for analysis and fair criticism, the deviations you give way to are inexcusable. Is it reasonable, for example, to consider that the prototype of a Belgian soldier is a 24-year-old corporal who is a hairdresser by profession? [Editor's Note: The hairdresser in question is identified in the article as 47 years old, with 24 years of service in the Belgian Army.] I respect any person and profession, as I do respect all the employees, civil and military, of the department I am responsible for. Let me tell you this:

Yes, we guarantee employment to these persons. To my knowledge the same is not true in the United States.

Yes, our personnel may call in their union, because this is part of our commitment to democratic principles of active listening and well-being for our employees.

Yes, the primary mission of our armed forces is to maintain the peace, and to help the civilian population (Belgian or foreign), without being belligerent or being convinced of having been elected by a higher authority to keep watch over the world order.

Yes, our soldiers marched, because unlike some others, we accept that people express their thoughts and their desires, even if we prefer deliberation.

Yes, we spend a reasonable budget that corresponds to our bilateral and international obligations, but we refuse to squander our public funds for the sole purpose of national glory, since we prefer to spend them on social affairs, health tare and pensions for our fellow citizens. In none of these fields do we have lessons to receive from anyone else to whatever extent this may annoy them.

I do not wish to lose any more time relating my feelings about what I consider to be an awful caricature, unworthy of a journalist, unworthy of the Americans we like and respect. But every people has its exceptions, every profession has its misfits.

For the quality of information of your fellow citizens, for the honor of American journalism, for the respect toward the men and women of my department, I sincerely hope you will cease to believe yourselves the keeper of universal wisdom.

(...)


Belgian Blitzkrieg

The Belgians may not want to fight Saddam Hussein, but that doesn't mean they can't still go to battle. As evidence, we'd point to Belgian Defense Minister André Flahaut's lengthy letter on the opposite page responding to Philip Shishkin's February 13 story on the decrepit shape of the Belgian war machine, if that's what it can still be called.

Normally, we'd let the story and Mr. Flahaut's reply speak for themselves. But the vehemence and substance of the minister's response are revealing enough that the letter deserves greater attention.

Mr. Shishkin's news story was, we understand, the product of nearly a year of investigative reporting. He received little cooperation from the Belgian Ministry of Defense, which declined to make Mr. Flahaut available for an interview for the story he now derides. Mr. Shishkin is a reporter who works separately from the writers of these columns, but we'd point out that the paper is standing by his facts.

Interestingly enough, the Shishkin article also provoked responses from Belgian citizens and military personnel. One Army captain, who understandably declined to be identified by name, said of Mr. Shishkin's description of the state of the Belgian military: “It's not nearly as bad in the Belgian Army as you describe,” he wrote. “It's far worse!”

The point here is broader than the Belgians. As NATO Secretary-General George Robertson is fond of pointing out, the alliance's European members as a group spend only two-thirds as much as the U.S. on defense, and for their money get only 10% of America's military capability. The discrepancy arises largely from Europe's under-investment in the equipment and technology that make today's modern armies effective.

These columns have long urged European countries to upgrade their defense capabilities and close that gap. So we were hardly surprised to see Mr. Shishkin's story report that the Belgian Army spends more than 60% of its budget on personnel. Personnel are crucial to any fighting force, naturally. But an ill-equipped army isn't much more than a glorified civil service. The high percentage of European budgets that goes toward personnel is a reflection of how little is spent on equipment and materiel.

Mr. Flahaut's furious reply highlights how uncomfortable this truth is for Belgium's power elite. It also reinforces our argument — and Lord Robertson's — that European militaries are not organized to field an effective fighting force. Instead they are seen by governments as jobs programs, props for ceremonial occasions and — when absolutely necessary — a source of “peacekeepers” after the fighting has stopped. No wonder the Belgians want nothing to do with Saddam.


[Notre recommandation est que ce texte doit être lu avec la mention classique à l'esprit, — “Disclaimer: In accordance with 17 U.S.C. 107, this material is distributed without profit or payment to those who have expressed a prior interest in receiving this information for non-profit research and educational purposes only.”.]