La belle santé de l’hypothèse F-22 pour le Japon

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Nous sommes à la veille du Salon du Bourget où le grand absent sera le F-22 de l’USAF, pour des raisons non explicitées; les uns disent que les Américains craignent que les Français ne leur dérobent des secrets agonisants; d’autres que le F-22, en bien petit nombre, est fort occupé par ses engagements opérationnels indéterminés; d’autres encore, que l’USAF ne veut pas risquer d’incident avec un avion qui est un cauchemar de soutien logistique, et dont certains récents accidents ont soulevé plus de questions qu’ils n’ont apporté de réponses… Rien n’est satisfaisant dans ces divers exposés et tout cela ne nous apporte des lumières que sur les traits de caractère de ceux qui les expriment, de la paranoïa aux soupçons comme façon d’être, et inversement. Néanmoins, le F-22 sera effectivement une “vedette” du Bourget, car l’on parlera de lui, à l'insu de son plein gré et quoi qu'il en soit par ailleurs.

Ce qui n’était qu’une rumeur et bientôt une rumeur confirmée, devient aujourd’hui une rumeur amplifiée. Il apparaît clairement que le Japon veut le F-22 que l’on croyait destiné aux oubliettes, et qu’il est prêt à faire beaucoup pour cela.

Dans un court billet sur DoDBuzz.com, le 11 juin 2009, Colin Clarke, qui aborde le sujet général de la politique d’exportation d’armement de l’administration Obama à partir d’une déclaration d’un dirigeant de Boeing, consacre un passage important au F-22 éventuellement exporté vers le Japon… Où il nous est notamment révélé qu’il y a eu une intervention directe du Premier ministre japonais auprès d’Obama, après son élection et avant son entrée en fonction, à propos du F-22, et où il nous est confirmé que l'hypothèse du F-22 pour le Japon est désormais soutenue avec force par le sénateur Inouye.

«The F-22 is the greatest single challenge on the arms export front. The so-called Obey Amendment forbids foreign sales of the plane and even bars the spending of money to analyse whether the plane could responsibly be exported. Raymond sidestepped questions about the plane, noting that Lockheed is the lead. But I know that the Japanese prime minister wrote President Obama asking for the plane before the president took the oath of office — a very bold move for Japan and a clear indication of just how hungry they are for the plane. And Sen. Daniel Inouye, chairman of the Senate Appropriations Committee, appears likely to push for export to Japan.

»Even if the Japanese plane costs an estimated $250 million per plane — after it is stripped of some its most sensitive techs for export — I would not be surprised if they continue their push to buy a plane that would give them a clear advantage over both China and North Korea.»

Là-dessus, une surprise nous attend. Loren B. Thompson, commentateur attitré des vertus aéronautiques de Lockheed Martin, qui nous avait inondés ces dernières semaines de plaidoyers pour le F-35, revient à ses anciennes amours. (Il fut également un chaud partisan du F-22.) Il publie, le 9 juin 2009, sur son site du Lexington Institute, un vibrant plaidoyer en faveur de l’exportation du F-22 au Japon, sur la base de 50-60 exemplaires, selon l’argument désormais courant que l’appareil est idéal, pour le Japon, pour tenir à distance les menaces de la zone, de la Chine à la Corée du Nord. Rien d’absolument nouveau dans ce billet, sinon le passage assez cocasse où les capacités du F-22 sont montées en épingle, via la citation assez vague d’un article de Air Force Magazine, au détriment de celles du F-35 qui semble alors rabaissé au rang d’un avorton mal constitué.

(La douce saveur de cette affaire est que l’article de Air Force Magazine auquel Loren B. semble faire allusion est bien celui de sa copine Rebecca Grant, qu’il a entre-temps convertie au F-35 en même temps qu’à un bel emploi au Lexington Institute, jusqu’à faire “plume commune” pour écrire ensemble des articles à la gloire du F-35 qui diffèrent essentiellement par les signatures différentes… Rebecca Grant, ex-fan du F-22, devenue fan du F-35 sur l'insistance de Loren B., convertissant à nouveau Loren B., qui ne demandait que ça, au F-22… Ouf, si on ne s’y perd, on ne s’y retrouve qu’à moitié à croiser tant de chemins de traverse.)

Voici Loren B. raisonnable partisan du F-22 pour le Japon: «The Japanese government has been asking Washington for years to be allowed access to the stealthy F-22, which it regards as uniquely suited to its security needs. Those needs arise from being located in close proximity to Russia, China and North Korea – all of which test missiles and fly military aircraft in the area around the Japanese home islands. If you were living in such a neighborhood, then you too would probably want to have a potent deterrent against aggression, and Japan has decided that buying the F-22 is the next best thing to having its own nuclear arsenal.»

...Et Loren B., version pro-F-22, enchaînant en se demandant comment on peu s’intéresser au F-35.

»There are plenty of other fighters that the Japanese could buy, but with the exception of the U.S. F-35 joint strike fighter, none of them is stealthy. Stealth would probably be necessary to successfully penetrate enemy airspace if the Tokyo government decided it needed to preempt missiles being readied for launch. But according to an article published in Air Force magazine last December, the F-35 isn't as stealthy as the F-22 in some aspects. It also isn't as fast; it isn't as maneuverable; it can't fly as high; and it can't go as far when flying supersonic missions. So Tokyo wants the F-22, a desire its defense minister reiterated just last week.

»This would seem to be what Secretary Gates calls a “no-brainer” decision. The Japanese have been reliable security partners of America for half a century, and they have a clear defensive need for the best fighter available. Not only can they afford the cost of modifying the F-22's sensitive technology to make it transferable, but once it is delivered they can carry more of the security burden in an important region (the U.S. deployed a dozen F-22s to Okinawa in May). The burden for both countries would be eased if they were flying similar fighters, and let's face it: America could use the export earnings. So why not sell Japan the 50 or so fighters they say they need?»

Les rapports entre le F-22 et le F-35 (JSF) dans le chef des commentateurs-promoteurs du domaine ressemblent à un jeu de yo-yo, ou un jeu de chaises musicales à capacités éjectables. Tantôt l’un (le F-22) disparaît corps et bien et l’autre (le F-35) apparaît soudain comme le seul qui puisse jamais être considéré sérieusement; tantôt le premier (F-22) renaît de ses cendres et le second (F-35) n’est même plus un “brillant second” et fort proche d’être considéré comme un usurpateur…

D’où il ressort de ces diverses indications et, disons, selon un raisonnement à plusieurs étages, que les rumeurs initiales sont plus que fondées et ne cessent de se renforcer. Le F-22 pourrait avoir un destin à l’exportation et, dès lors, se poserait la question de sa relance au niveau national malgré le veto de Gates contre de nouveaux F-22 pour l'USAF. En fait, la décision d'exporter amènerait un trouble général et certain dans la vie déjà compliquée des plans pour l’avenir des avions de combat aux USA.

• Si, finalement, un marché se faisait entre les USA et le Japon concernant le F-22, il faudrait un certain temps (on parle de deux années) avant que la version export pour le Japon soit prête; c’est une perspective optimiste, comme l’on se doute, et le délai cité est un minimum… Cela impliquerait, d’ici là, de laisser la chaîne de production du F-22 en activité même limitée, c’est-à-dire avec une commande supplémentaire pour l’USAF. Cela rencontrerait parfaitement le désir de nombre de parlementaires, au point où l’on pourrait même imaginer l’opération inverse: que certains, y compris des parlementaires, favorisent une exportation du F-22 au Japon pour faire évoluer les choses de façon à forcer à une commande supplémentaire de F-22 pour l’USAF, – malgré Gates et son allergie au F-22.

• Du coup, nous retomberions dans la concurrence entre le F-22 et le F-35, cette fois au détriment du F-35 qu’on cherche à tout prix à accélérer, accélération pour laquelle il faut de l’argent supplémentaire, alors qu’au contraire il faudrait envisager de ponctionner l’actuelle programmation budgétaire du F-35 pour commander des F-22 supplémentaires…

• On ne vous parle pas, sinon en passant, du fait que l'exportation du F-22 vers le Japon renforcerait le parti de ceux qui, en Australie, s'opposent à l'achat du JSF et pensent que le F-22 ferait bien mieux l'affaire...

Ouf! Si l’on n’a percé le secret du mouvement perpétuel, on détient au moins celui de la furtivité de l’hypothèse.


Mis en ligne le 12 juin 2009 à 12H49