La bêtise comme élément métahistorique

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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La bêtise comme élément métahistorique

9 mars 2021 – C’est une idée qui s’inscrit de plus en plus fortement, je dirais même “férocement”, en moi : dans ces temps si particuliers que nous vivons, l’universalité et la rapidité d’expansion quasiment instantanée de la bêtise caractérisant tous les actes des puissances et directions travaillant pour le service aveugle du Système. (En gros, les acteurs et figurants du bloc-BAO.) Je me disais cela hier, songeant effectivement à “l’enchaînement” (le mot s’y trouve) qui, après l’élimination du monstrueux Trump vécu quasiment un acte “re-fondateur”, pousse la direction actuelle des USA vers tout ce qui provoque le plus sûrement des crises déconstructrice dont ce même Système pourrait faire l’économie s’il avait un véritable projet de domination hégémonique et tyrannique du monde.

On l’écrivait bel et bien dans ce texte-là, qui suivait les remarques que je m’étais faites concernant l’évolution ultra-rapide du Texas, – si “ultra-rapide” que je ne donne que quelques mois, voire quelques semaines si le temps le permet, pour que cette évolution se transmute en une dynamique propre et d’effet déconstructeur provenant de décisions et maladresses des uns et des autres, et devienne alors cause de l’accélération de cette déconstruction, entraînant les uns et les autres, leurs décisions et leurs maladresses.

Voici le passage : « On a le droit d’être fasciné par l’enchaînement des événements, et de s’en demander la cause... Et la réponse jaillit aussitôt, aussi évidente que l’ombre accompagnant le crépuscule, pour se révéler en pleine lumière dans l’aveuglement d’une terrible bêtise prédatrice, entre la haine (elle-même nécessairement aveugle) antitrumpiste des démocrates qui leur fait ignorer tout le reste, et la sénilité pathologique évidente d’un président qui se demande (au Texas, justement) « What am I doing here ? », les deux saupoudrée par une idéologisation intense de tous les aspects de la vie politique. Il faut bien cela pour ainsi pousser, accélérer ce qui est évidemment une logique centrifuge, absolument mortifère pour l’équilibre, sinon l’existence des USA. »

Notez bien, je tiens à être précis, que si j’éprouve un certain plaisir à moquer le “ol’white Joe”, – il me pardonnera bien, je le crois, – je crois que la “bêtise” dont je parle est un facteur considérable, qui doit être dégagé de sa gangue de moqueries blasées et trop personnalisées, et des seuls personnages improbables comme l’est l’actuel président dont on sait qu’il n’en peut mais... Elle doit figurer comme un facteur universel qui étend son ombre sur tant de proies, qui deviennent alors comme autant de créatures de la nuit, des armées d’ombres perdant le contrôle d’elles-mêmes et lançant des aventures fulgurantes d’absurdité, sans souci des conséquences, ignorant même cette notion de conséquences.

(Vous savez bien à quoi je me réfère comme à une règle métahistorique : « Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît » ; et je crois qu’Audiard-père, sans s’en douter, traduisait en langage populaire des vérités considérables qui sont en train de secouer notre monde en transformant une observation anecdotique et ironique en une terrifiante vérité-de-situation jusqu’à la capacité de désintégrer le-dit monde.)

En effet, j’ai tendance à faire de cette bêtise un acteur majeur du Grand Jeu en cours dont l’issue ne peut être que ruines et dislocation des mirifiques projets de nos stars les plus avancées sur la voie du Progrès, de la modernité, du wokenisme enfin. Je pense que cette gigantesque comédie en forme de simulacre naît directement de ce phénomène nommé “bêtise”, notamment celle qu’avait si bien décrit Flaubert avec ces compères Bouvard & Pécuchet. Ce constat est à la fois le fait d’un monumental emportement de l’esprit qui se perd dans ses propres simulacres, et d’une trajectoire implacable du destin, – par conséquent, plus que jamais tragédie-bouffe dans la dimension cosmique...

Comme je l’ai suggéré d’ailleurs, ce qui est en cours au Texas, du point de vue objectif du Système dont le centre est à Washington et qui a des prétentions absolutistes qu’il est en train de gâter catastrophiquement dans la boue du marigot où il barbote, c’est bien une dynamique devenant entité, et sans aucun doute suscitée par cette bêtise : “cette évolution [qui se transmute en] une dynamique propre et d’effet déconstructeur provenant de décisions et de maladresses des uns et des autres, [et devient] alors cause de l’accélération de cette déconstruction, entraînant les uns et les autres, leurs décisions et leurs maladresses”.

Ce point de vue confirme bien qu’il faut donner à cette bêtise une place métahistorique et lui accorder le bénéfice de la possibilité qu’elle survienne de l’en-dehors de soi, pour faire des apprentis-imbéciles de ces créatures aveuglées qui « osent tout... » sur la voie catastrophique. Ils suivent cette voie comme un Rantanplan complètement indifférent, sinon aveugle, aux effets des causes qu’il chérit ; mais il faut être au moins chien pour accepter d’être un Rantanplan, cela dépasse les capacités de l’humaine nature.

C’est dire enfin que je ne cesse de prêter une grande attention à ce phénomène de l’abêtissement général et absolument extraordinaire des élitesSystème et des directions qui les opérationnalisent, dans les effets catastrophiques des causes qu’ils embrassent aveuglément. Je m’en avisai , outre le texte du 8 mars, déjà dans le texte du jour d’avant, montrant par là que l’idée insiste et s’impose :

« C’est bien ce totalitarisme de l’entropisation qui est remarquable dans le néo-puritanisme, à un point où seule la bêtise absolue, la bêtise lumineuse du fond des cavernes du Mordor et de la nage artistique dans les marigots de “D.C.-la-folle” en constitue l’axe central, – à condition que l’on fasse sienne, comme je le fais moi-même sans aucun doute, cette analyse de Pierre-André Taguieff que je complète et chapeaute par cette remarque de René Guénon, les deux qui nous situent là où doit nous apparaître l’horizon de notre jugement :

• Taguieff : “On connaît le dogme des pseudo-antiracistes contemporains, que j’appellerai le dogme inexistentialiste : ‘Le racisme anti-Blancs n’existe pas.’ On est tenté d’ajouter : sauf chez la plupart de ceux qui affirment cet énoncé dogmatique. Le déni du racisme anti-Blancs peut en effet exprimer soit une adhésion idéologique au racisme anti-Blancs doublée d’une volonté de cacher cette adhésion, soit une forme de conformisme relevant du politiquement correct, soit une forme de bêtise consistant à nier les évidences.” (‘L’imposture décoloniale’, 2020)

Guénon : “L’on dit même que le diable, quand il veut, est fort bon théologien ; il est vrai, pourtant, qu’il ne peut s’empêcher de laisser échapper toujours quelque sottise, qui est comme sa signature...”

Cet excès, dont seul le diable est effectivement le producteur patenté, est tel qu’il porte en lui la marque de sa propre mort par suicide. Cela entraînera la civilisation qui en a accouché, – ditto, le Système, — ce qui explique que je ne sois pas vraiment malheureux de vous conter tout cela. »

Je suis bien plus sérieux qu’il ne paraît, et bien moins fou que l’on voudrait faire croire. Je crois que ce simple fait, ce trait que l’on croit banal et que l’on traiter par le mépris très souvent, constitue le moteur cosmique du drame que nous connaissons ; ce temps des effets énormément catastrophiques des causes vertueuses que nous chérissions tant... La bêtise en marche, avec son spectacle où les vessies jouent le rôle des lanternes, avec la surpuissance du Système pour la pousser, voilà l’explication suprême. C’est par là, je crois, que passe la pente affolante de l’effondrement du Système.

Que l’on me prenne pour un farceur ou pour un fou, ou les deux à la fois si l’on veut, m’importe nécessairement assez peu puisque mon seul souci est de rechercher, grâce à l’espèce de “sélecteur cosmique” qu’est l’inconnaissance, ce qui se révèlerait comme la vérité-de-situation fondamentale. Notre époque est marquée dans son déroulement, entre des masses considérables de puissances très difficiles à contenir et à déplacer constituées par des paquets énormes de technologies de plus en plus avancées (bienheureusement de plus en plus en crise terminale, passé leur “principe de Peter”), par un fantastique déséquilibre entre les effets et les causes et une très grande variabilité de ces deux facteurs (un effet pouvant très vite devenir cause et ainsi de suite). La bêtise, à la fois dérisoire et universelle, immensément grandie et instantanément répandue par la puissance de la modernité, est le grain de sable magique de l’effondrement ; avec lui, comme avec le « Donnez-moi un levier et un point fixe, et je soulèverai le Monde » d’Archimède, avec la bêtise je précipite la métahistoire dans sa phase catastrophique, – au point de m’interroger pour savoir s’il n’y a pas là une sorte de ruse de Jupiter pour faire accoucher d’autorité le Diable de sa « quelque sottise » dont parle Guénon...

Comme je ne me décourage pas, je poursuis le récit du Tome-III de ‘La Grâce de l’Histoire’ et j’ai introduit cette idée de l’importance et de l’universalité de la dérisoire et médiocre bêtise. Bien entendu, c’est sur ce sujet que je suis en-cours, et je place ici un extrait de ce travail ; on y retrouvera des références qu’on trouve dans des textes du site ; c’est mon côté-Attali (mais un Attali devenu loyal), j’aime bien me plagier moi-même, et surtout j’aime précieusement garder certaines citations fondamentales, les répéter et les répéter encore, pour en sortir tout le suc et jusqu’à la moelle de l’os...

(Le dernier paragraphe est mis en évidence pour son importance à mes yeux, quant au chemin suivi : la nécessité de la bêtise dans le Grand-Chambardement actuel, comme moyen ultime d’aveugler le Mal : « ...pour aveugler le Mal qui est en notre destin collectif, qui à lui seul constitue notre destin. Cet aveuglement du Mal par la bêtise qu’il a lui-même produite est le plus sûr et le seul moyen d’échapper à son emprise... ».)
 

Extrait du Tome-III, – sans engagement ni garantie de l’auteur...

» ...Il est vrai que nous sommes placés devant un problème considérable, ou peut-être bien une lumière révélatrice. La sottise, l’ignorance, l’inculture, la médiocrité et l’attirance vers la bassesse de la forme même de l’intelligence (quelle que soit son intensité, il s’agit d’une forme d’intelligence actant et tirant vers le bas, le encore-plus-bas, donc renforçant directement la bêtise en l’armant d’arguments irrésistibles, en la structurant littéralement, en rendant intelligemment aimable et attirante la bêtise), – voilà leur lot... Tous ces travers avérés constituent les principaux caractères des thèses indigénistes et plus généralement wokenistes, pour ce mouvement que nous avons baptisé du néologisme de ‘wokenisme’ – pour notre propos et pour la facilité du propos, en France et aux USA, et parce qu’en cette matière la suprématie du suprémacisme revient de droit à l’anglophonie-américaniste de la démarche. Tout cela, “sottise, ignorance, inculture, médiocrité, attirance vers la bassesse”, est si incontestable, si évidemment mis en lumière par la réflexion, la mémoire, l’équilibre et l’harmonie du caractère comme moyen d’observation, qu’il n’y a nul besoin de démonstration, ni aucune possibilité de dialogue, – et d’ailleurs, pour quoi faire, pour quoi dire ?

» On connaît la rigueur de la démarche ‘scientifique’ d’un Pierre-André Taguieff, et d’autant plus rigoureuse que les sciences sociales et idéologiques invitent à une invective qu’il prend soin d’écarter absolument. Cet intellectuel est réputé pour la précision logique de ses arguments, pour la fermeté de leur caractérisation et de leur identification... Dans ce cas, pourtant, Taguieff est conduit sans réticence ni la moindre hésitation, presque avec une rage contenue, à considérer la bêtise “comme une option’ ; ce jugement essentiellement trivial et grossier de la bêtise effectivement posé comme une option sérieuse du diagnostic scientifique :

» “On connaît le dogme des pseudo-antiracistes contemporains, que j’appellerai le dogme inexistentialiste : ‘Le racisme anti-Blancs n’existe pas.’ On est tenté d’ajouter : sauf chez la plupart de ceux qui affirment cet énoncé dogmatique. Le déni du racisme anti-Blancs peut en effet exprimer soit une adhésion idéologique au racisme anti-Blancs doublée d’une volonté de cacher cette adhésion, soit une forme de conformisme relevant du politiquement correct, soit une forme de bêtise consistant à nier les évidences.” (‘L’imposture décoloniale’, 2020)

» Cette bêtise constitue et même institue la donnée centrale d’un passage de notre conclusion d’un texte initial sur le sujet du wokenisme présenté comme identifié comme nous le développons ici, ce texte datant du 11 décembre 2020, pour nous conduire à enchaîner sur la conséquence qui est l’absence complète de la possibilité d’argumenter et de dialoguer avec ces propositions théoriques du domaine ‘pseudo-antiraciste’ :

» “Alors et enfin, on comprend que ce qui nous arrête c’est l’extraordinaire et catastrophique ingénuité de ces pensées, leur bêtise abyssale, qui décourageraient aisément la critique par leur aspect complètement déformé, vide, complètement dépourvu de la moindre ontologie ; au point, c’est vrai, où l’on serait tenté de dire ‘à quoi bon ?’ (‘A quoi bon répondre de façon argumentée à ces théories pour démontrer leur inanité par ailleurs si évidente ?’).

» On ne fait ici, avec Taguieff, que transcrire en termes de jugements structurels sur le comportement fondamental ce que l’essayiste Anne-Sophie Chazaud constate du point de vue opérationnel, puisque le dialogue ne saurait exister en raison de la détermination de l’interlocuteur qui ne se voit qu’en justicier, et donc devenu ennemi sans retour remplaçant le dialogue avec l’autre à la capitulation de l’autre. “Tout ce que je dis est incontestable et ne peut être modifié, tout ce que tu dis est contestable et peut être modifié”, comme variante du “tout ce qui est à moi n’est pas négociable, tout ce qui est à toi est négociable”, – c’est ce qu’écrit  Chazaud :

»“ Accepter de parler cette langue de la justification, de l’excuse, de la défense, de la preuve (non !Je ne suis pas raciste, voyez comme je suis fréquentable, comme je suis bienveillant !) c’est être sur un terrain où l’on a déjà perdu... ”. (‘Liberté d’inexpression, – Nouvelles formes de la censure contemporaine’, L’Artilleur, 2020.)

» La même Chazaud nous livre une définition tout à fait convenable du petit monde du wokenisme, de cette nébuleuse surprenante par les raccourcis naïfs et les approximations infantiles de ce qu’elle érige en réflexion fondamentale, en grand tapage, en très-grand bruit par contraste avec le ‘bas-bruit’ qui est le dernier avatar du langage communicationnel dans sa dynamique pandémique pavlovienne, à la mode du temps-courant au galop ; ainsi Chazaud nous parle-t-elle de ce

« moment social hystérique où les nouveaux censeurs se conduisent exactement comme s’ils n’avaient pas accédé au stade des compréhensions du petit enfant en éveil à la sémiologie, au langage, à la représentation : pour eux, le mot chien mord ; pour eux, ce qui est représenté est forcément la vérité toute nue, enclose sur elle-même, forclose du symbolique, et doit, d’ailleurs, être leur vérité, la vérité de leur insondable et permanente souffrance qui, comme chacun sait, finit toujours par être, d’une manière ou d’une autre, indicible... »

» A cette étape du raisonnement, ou du simple constat épuisé, tombe assez mollement, comme un fruit pourri d’un arbre qui n’en peut plus, ce verdict qui ne mérite aucun appel : cette bêtise est absolument nécessaire au destin de notre civilisation, dont elle est le terminus comme l’on se dissout dans un brouillard gluant, – car l’étape n’en est pas une, même si elle feint de l’être, puisque, cul-de-sac et impasse, il s’agit bien du terminus. Et là, aussitôt, le constat devient terrible et claque dans le silence du ‘Rien’ comme un coup de tonnerre : cette bêtise est nécessaire pour aveugler le Mal qui est en notre destin collectif, qui à lui seul constitue notre destin. Cet aveuglement du Mal par la bêtise qu’il a lui-même produite est le plus sûr et le seul moyen d’échapper à son emprise... Ainsi dira-t-on, en haussant le propos, que cette bêtise est nécessaire pour achever l’effondrement de cette civilisation qui ne peut plus tenir. Ce n’est rien d’autre qu’une entreprise de salubrité publique à l’échelle cosmique. »