La campagne-western et la contraction du temps

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Les USA sont en campagne électorale. C’est-à-dire que le gunfight, comme l’on disait de O.K. Corral, a commencé, dans une ambiance absolument de western. Les acteurs du show ne veulent pas décevoir ceux qu’ils imaginent être les spectateurs, et les commentateurs-Système trempent leurs plumes compassées pour déplorer toute cette fumée déjà aveuglante des armes qui ont déjà servi. Il semble bien que l’affrontement de l’Iowa, – moins le non-candidat qui n’existait pas, Ron Paul, – ait joué son rôle de détonateur.

• Rick Perry, chez qui tout le monde reconnaissait, depuis trois-quatre jours, le Messie tant attendu, s’est aussitôt révélé pour ce qu’il est : il est là pour faire parler la poudre. Littéralement. Sa sortie, dans l’Iowa justement, où il se trouvait sans être sur la liste des candidats républicains, a été largement rapportée et commentée. Il ne s’agissait, ni plus ni moins, d’une image de menace physique contre le président de la Federal Reserve, Ben Bernanke, par ailleurs qualifié de “traître” à la nation s’il lui prenait l’idée d’imprimer quelques billets supplémentaires (exercice dont Bernanke, – “this guy”, selon Perry, – est coutumier, comme l’on sait). AFP, via RAW Story, notamment, rapporte l’incident ce 16 août 2011.

«At a campaign stop in the heartland state of Iowa on Monday, Perry said he would consider any attempt to boost the US economy before the November 2012 elections as “almost treasonous” and invoked the specter of mob justice.

»“If this guy prints more money between now and the election, I don't know what y'all would do to him in Iowa -- but we would treat him pretty ugly down in Texas,” Perry told supporters. “I mean, printing more money to play politics at this particular time in American history is almost treacherous -- or treasonous, in my opinion,” Perry told supporters at a backyard get-together, with US President Barack Obama not far away on a campaign-style swing through Iowa.»

• …Effectivement, Obama n’était pas très loin de Perry, puisque lui aussi a pris le chemin de la campagne électorale, – nous sommes à 15 mois de l’élection, il est temps de s’y mettre. RAW Story, relayant à nouveau AFP, le 15 août 2011, nous décrit une réunion électorale d’Obama, dans l’Iowa, – comme ça se trouve ; et, là-dessus, un affrontement assez sec et violent avec un dirigeant de Tea Party qui se trouvait dans l’assemblée, qui exprima vertement son indignation d’avoir été traité, au travers de Tea Party, de “terroriste” par le vice-président Joe Biden exprimant le 2 août son avis sur ce rassemblement…

«Ryan Rhodes, a leader of the group in Iowa, took on Obama during an open-air town hall meeting, which marked a moment of new intensity in the president's campaign for a second term. Rhodes shouted out that the president's calls for more civility in politics had little chance of coming to pass after “your vice president is calling people like me, a Tea Party member, a ‘terrorist.’” […]

»“I know it's not going to work, if you stand up, and I asked everybody to raise their hand... I didn't see you, I wasn't avoiding you,” the president said, but later circled back to answer Rhodes's question. “I absolutely agree that everybody needs to try to tone down the rhetoric,” he said, before going on to detail some of the more explosive charges that conservatives have laid against him. “In fairness, since I have been called a socialist who wasn't born in this country, who is destroying America and taking away its freedoms because I passed a health care bill, I am all for lowering the rhetoric.”»

• Nous avons donc droit, en toute raison et clarté, à l’un ou l’autre commentaire effrayé et alarmé devant tant de fureur, d’antagonisme, d’hostilité et d’incompréhension, et tout cela si tôt dans la saison (?) électorale. Cette fois, c’est Rupert Cornwell, de The Independent, qui s’y met (le 17 août 2011). La campagne devient “the greatest political show on earth” et “le théâtre de l’absurde”, au choix. Il y a de la place pour tout le monde, et bien assez d’événements pour alimenter le spectacle.

«The greatest political show on earth is under way in earnest. With last weekend's official declaration of Rick Perry, and the Iowa straw poll that sealed the ascent of Michele Bachmann and the demise of Tim Pawlenty, the battle to secure the Republican nomination to face President Barack Obama has come into focus… […] In every US presidential campaign there is a disconnect between razzmattazz and reality; as the eloquent former governor of New York, Mario Cuomo, once put it, “you campaign in poetry, but you govern in prose.” Never though has the disconnect been as wide as now: between a country suffering from a dismal economy, a runaway deficit and a massive crisis of self-belief, and a Republican party that to any balanced observer has taken leave of its senses.

»The theatre of the absurd did not begin in Iowa at the weekend. Who can forget the warm-up in Washington, as the Tea Party-led conservatives in the House of Representatives, wilfully ignorant of the real world beyond their ideological nostrums, held the creditworthiness of the US to ransom over the hitherto pro-forma matter of an increase in the national debt ceiling?

»That led to the humiliation of downgrade by the rating agencies – not out of any fear that the world's largest economy could not meet its obligations but because of the accumulated evidence that the US political system had become so dysfunctional it could not take routine economic decisions like passing an annual federal budget, let alone a coherent deficit-reduction package. The same tragi-comedy is now set to be enacted on the presidential campaign trail.

»None of this is to absolve entirely the current occupant of the Oval Office. Barack Obama has failed to live up to the expectations of four years ago. It's not just that the poet of the campaign trail has proved prosaic and humdrum in office. Too frequently, he has come across as vacillating and inexperienced, a soft touch at the negotiating table, over-quick to compromise on the principles of his party. The country has yearned for inspiration from the White House; what it has got, all too often, has been semi-detached fatalism…»

… Mais quoi, il faut comprendre, – nous sommes en août 2012 et l’élection est pour bientôt ; eh non ! Justement, nous sommes en août 2011, et c’est bien là l’extraordinaire de la chose. En fait, cette “campagne” est déjà ouverte depuis novembre 2010, avec la défaite des démocrates, c’est-à-dire d’Obama, lors des élections mid-term, et les premiers élus Tea Party. La période irréelle qui avait suivi, entre les deux Congrès, de novembre 2010 au début janvier 2011, fut la dernière période où la “normalité” parvint à l’emporter sur le désordre. La ratification du traité START-II, d’abord menacée par le désordre washingtonien, finalement réalisée dans des conditions washingtoniennes “normales”, fut le symbole de cette très courte période… Mais, d’ores et déjà, nous étions en plein désordre, et ce temps-là de novembre-décembre 2010, temps très court par simple appréciation chronologique, fut un oasis de calme et d’arrangements washingtoniens as usual, assez étrange et comme déplacé, au milieu d’un désordre dont l’éclat avait précédé novembre 2010 ; désordre dont l’on connaît bien les dates et événements fondamentaux originels, que ce soit l’élection partielle du Massachusetts de janvier 2010, voire la première “sortie” de Tea Party, en avril 2009 (où l’on entendit, gâterie à garder à l’esprit, le gouverneur Perry du Texas évoquer la sécession de son Etat de l’Union). Par conséquent, Tea Party étant ce qu’il est et jouant le rôle qu’il joue, de diabolus ex machina (mais transformé en “the devil into the machine”, depuis novembre 2010, à Washington), – nous serions donc en campagne depuis avril 2009…

Soyons sérieux… Une telle organisation structurelle, le test de l’Iowa perçu comme une “primaire” des “primaires”, des réunions à caractère complètement électoral, un président qui fait un “tour” de trois jours dans l’Iowa, avec tout l’attirail électoral, y compris un “bus” symbolique (Obama “on the road again”), les positions des uns et des autres déjà bien marquées, c’est simplement du jamais vu. Ce qui est impressionnant, dans ce pays, les USA, pays complètement formel, sinon formaté, et surtout pour le processus politique nécessairement contrôlé par le Système, c’est la mise en place des structures de la période électorale et le démarrage effectif de leur fonctionnement quinze mois avant l’élection, alors que le délai le plus long, quand il y a une réelle et féroce compétition dans une atmosphère de crise, – comme il y avait eu en 1968, comme il y eut en 2008 avec Obama-Clinton, – ce délai est de huit-neuf mois au plus avant l’élection, lorsque les positions sont bien marquées et que les “primaires” ont pris leur vitesse de croisière. (Arrêtons-nous bien à cette idée de “structure”, si importante dans ce cas ; aucun rapport avec les agitations électorales françaises, les “primaires” socialistes et les discours sarkozystes, etc., – pourtant neuf mois avant l’élection, – qui n’ont rien de commun en puissance structurelle avec cette organisation politique absolument tournée vers l’élection, cette énorme machinerie politique US organisée par le Système, sans équivalent au monde. Que cette machine tourne d’ores et déjà à plein régime pour les présidentielles, c’est effectivement du jamais vu.)

Le phénomène auquel nous assistons est un phénomène de contraction du temps. Le temps apparent (les dates déjà fixées, les “primaires”, l’élection présidentielle, etc.) ne bouge pas, mais le temps réel accélère irrésistiblement. Les événements se bousculent, se rapprochent, s’amplifient les uns et les autres, grâce à la formidable puissance du système de la communication en pleine folie de fonctionnement, avec ses effets déformants, ses faux effets miroir, etc. Tous les protagonistes sont emportés, plus personne ne contrôle cette machinerie du bruit, de l’écho, de l’effet, du simulacre absolu dont la puissance, dans ce Système qui est devenu lui-même simulacre, finit par créer un formidable enchaînement d’événements créant eux-mêmes une nouvelle vérité historique par leurs effets de déstructuration puis de dissolution du Système. Nous sommes en pleine phase d’autodestruction, où toute la surpuissance du Système joue à plein contre le Système, où la dynamique de la surpuissance est complètement au service de la dynamique d’autodestruction. Effectivement, le temps vrai, par différence de plus en plus accentuée avec le temps apparent, accélère selon un effet géométrique, s’alimentant de lui-même, à la façon d’un mouvement de rotation qui semble être du sur-place (par référence au temps apparent), mais qui anime un mouvement vrai de plus en plus rapide, le tout à la manière d’une roue tournant de plus en plus vite. L’effet n’est pas dans les événements conformes, qui sont fixes selon la norme (temps apparent), mais dans la productions annexe et satellitaire de ce temps apparent d’événements d'une autre substance, de plus en plus nombreux, de plus en plus “sonores”, de plus en plus puissants au niveau de la communication, avec l’essentiel du formidable effet de ce phénomène se portant sur les psychologies, et les modifiant à mesure, c’est-à-dire de fond en comble… Sans doute est-ce ainsi, derrière le cadre apparemment strict du temps apparent, que la vérité politique de la situation, correspondant au temps vrai, évolue radicalement et va nous apparaître, à un moment ou l’autre, complètement différente de ce qu’elle était, ou nous paraissait être.

La saison américaniste, d’ici novembre 2012, sera du plus grand intérêt.


Mis en ligne le 17 août 2011 à 09H39