La candidature Bloomberg et l’appel à l’unité, ou l’incertitude d’un projet politique dans un temps virtualiste de crise psychologique

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Qu’est donc devenue, dans le malstrom des deux premières “primaires”, ou ”American electoral circus” selon d’autres sources, la tentative bipartisane dont nous nous fîmes l’écho peut-être avec une frénésie (mentionnée à d’autres propos) qui fait froncer les sourcils à certains de nos lecteurs-censeurs? (“Censeurs”, dans le sens de la vieille tradition des lycées français, du temps où il y avait un proviseur et un censeur.) Nous parlons de la vraie-fausse candidature indépendante Bloomberg, ou d’un autre si Dieu et l’establishment en décident ainsi.

Comme on sait, il y avait réunion à ce propos le 7 janvier, à l’université de l’Oklahoma, à l’initiative de l’ancien sénateur Boren. Parmi les textes qui traitèrent de cette réunion, signalons-en deux. L’un est en français (ouf de soulagement chez certains de nos lecteurs) et ne mange pas vraiment de pain, – une reprise d’un texte d’AFP du 8 janvier.

Deux paragraphes dans ce sens :

«En choisissant de participer lundi à un forum organisé à l'université de l'Oklahoma (sud) par d'anciens responsables démocrates et républicains, M. Bloomberg a relancé les spéculations quant à ses intentions. “Je ne suis pas candidat”, a répété M. Bloomberg au cours de cette réunion mais l'objet même du forum (comment rassembler une Amérique divisée) pourrait faire croire que M. Bloomberg n'est pas candidat... pour le moment.

»“L'Amérique est en danger. Notre capacité à travailler ensemble afin de résoudre nos problèmes est sérieusement compromise”, a mis en garde l'ex-sénateur démocrate de Géorgie Sam Nunn, co-organisateur de la réunion avant d'appeler à un gouvernement rassemblant démocrates et républicains.»

Plus intéressant, un article du commentateur Arnaud de Borchgrave, qu’il nous arrive de citer (voir ce F&C du 20 septembre 2007 où il intervient en tant qu’acteur de l’information). Le passage suivant nous intéresse dans l’article UPI de Borchgrave, – du 9 janvier mais manifestement rédigé avant la victoire d’Hillary dans le New Hampshire et avec à l’esprit l’annonce d’une victoire écrasante de Obama au New Hampshire,:

«The surprise attendee at the Norman, Okla., gathering of 17 “outstanding public servants” was New York Mayor Michael R. Bloomberg, the moderates' undeclared favorite as an independent candidate who could bring about the bipartisan consensus they seek. But judging from the early presidential smoke signals from Iowa and New Hampshire, Sen. Barack Obama, as the bipartisan moderates understood his message, could become a more plausible unifier than Bloomberg.

»The switch from Bloomberg to Obama came when the senator from Illinois said, “The time has come to move beyond the bitterness and pettiness and anger that's consumed Washington.” Obama's recipe: “A working coalition for change.” Which is precisely what the elders from both parties originally had in mind for Bloomberg. Obama now looks like a long-distance runner who can make it all the way to the White House. Bloomberg's chances are not quite as promising.

»Hagel, a moderate Republican from Nebraska and the man long rumored to be Bloomberg's running mate if he decides to run, struck responsive applause when he said, “Every one of us in this group this morning believes there are opportunities to turn things around for our country, our future, our children, the world.”»

Borchgrave nous dit donc que le lundi 7 janvier, cette docte assemblée de personnages certes chenus mais hautement représentatifs de l’establishment, qui voient les USA dans une position aussi pathétique que celle de l’Angleterre pendant la guerre, semblent soudainement avoir trouvé leur Churchill unificateur, dito Obama le rassembleur, vainqueur dans l’Iowa, et que le problème qui les a rassemblés à Oklahoma City (“l’Amérique est en danger”) est sur le point d’être résolu. Obama va donc rassembler l’Amérique vite fait. Comme l’on sait, la Révélation n’a duré que 24 heures de plus, jusqu’au New Hampshire.

C’est pourquoi, non, contrairement à ce que recommandent l’amertume et le scepticisme de certains pour des textes s'éloignant de l'orthodoxie de l'analyse politique, nous ne perdrons certainement pas notre temps précieux dans l’aventure incertaine et finalement rassurante pour la raison de l’analyse politique (Obama déjà-élu a-t-il un programme? Quelles forces obscures soutiennent Bloomberg éventuel candidat? Le programme intérieur de Ron Paul n’est-il pas inquiétant? Hillary n’est-elle pas une simulatrice de fausses larmes en celluloïd?). Tout cela n’a aucun intérêt parce que c’est, aux USA, la même chose depuis bien plus de 200 ans. Nous importe peu également les fraudes électorales et autres manipulations d’une chose (le système américaniste) qui a inventé l’art politicien de la démocratie manipulable. Ne nous importent aujourd’hui que l’effet médiatique et de communication des événements politique, de quelque nature qu’ils soient (dérisoires, manipulés, vrais, etc.), sur la psychologie et les réactions énormes que cela entraîne, à cause justement de la communication. C’est la seule politique réelle aujourd’hui, même si elle est fausse de bout en bout. On fait avec ce qu’on a et l’on rengaine amertume et scepticisme, ou bien l’on va, comme disait Montherlant, “jouer avec cette poussière”.

Que les gens de l’assemblée du 7 janvier, Chuck Hagel compris, ait cru que l’affaire pouvait être bouclée, que Obama était enfin l’homme de l’unité retrouvée, tout cela mesure moins leur naïveté ou leur crédulité (explication passe-partout et sans consistance) que la formidable caisse de résonance de la communication amplifiant monstrueusement des faits interprétés par des psychologies exacerbées, exacerbant à son tour ces mêmes psychologies, que sont devenus les USA. S’attacher à ce phénomène n’est pas tomber dans le piège de l’illusoire ou du virtualisme mais rendre compte d’une réalité paradoxale : l’illusoire et le virtualisme sont devenus le moteur exclusif de ce qu’on nomme aujourd’hui la politique, donc la réalité politique. Alors, c’est là que va notre intérêt, plus que dans les analyses savantes des politologues, – lesquels planchaient laborieusement dimanche et lundi dernier pour savoir ce que serait une administration Obama en novembre 2008. Nous sommes donc conduits à conclure à nouveau que de tels contre-pieds, en 4-5 jours de temps, des certitudes enthousiastes d’un pays qui est la première puissance du monde, à propos de celui ou celle qui va devenir son nouveau président et qui ne le sera peut-être pas, alors qu’il reste 10 mois de campagne, – que tout cela constitue plus le signe convaincant d’un désarroi profond et d’un doute fondamental, bref d’une crise psychologique considérable, – qu’un numéro de plus de l’”American electoral circus”.


Mis en ligne le 10 janvier 2007 à 08H45