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1219Bill Sweetman nous donne une fort intéressante petite nouvelle sur le JSF, sur le site Ares, le 11 février 2011. Le 10 février, Sweetman assistait à une présentation du budget de la défense par le Center for Strategic and Budgetary Assessments (CSBA), un think tank de Washington. Todd Harrison, expert du CSBA, y fit quelques commentaires intéressants sur le JSF.
«First, Harrison said, “it is not realistic to say that we're going to end up buying the full 2,400 aircraft” in view of long-term budget and force structure trends. But, he added, it “wouldn't be wise to come out and say that, and send a signal to our allies that we're going to cut down on our buys. We don't need them jumping ship on the program – it could send the program into a death spiral.” Harrison added that the US “doesn't have to take a decision until 2017-18” on where JSF peak production rates will settle out.»
Sweetman interroge alors Harrison, lui faisant remarquer que les partenaires internationaux du programme, – s’il y en a encore dans la situation hypothétique envisagée, – ne seraient pas très heureux de se voir ainsi baladés, pour aboutir à une production réduite, et donc à des coûts en forte augmentation. Sweetman demande à Harrison si son commentaire reflète la position actuelle de la direction du Pentagone.
»His response was that he had no such direct indication, but that retaining plans in place to build the full 2,400 aircraft was the best policy. Even if the Pentagon doesn't buy that many aircraft, he pointed out, there would still be the option to retain the planned rate and complete production earlier.»
A la fin de son billet, Sweetman fait remarquer que, dans une intervention d’il y a à peu près un an, un autre expert du CSBA, Barry Watts, avait signalé au cours d’une conférence le décompte de la production réelle des avions à technologie furtive développés par les USA, par rapport à la production envisagée. Il s’agit d’une conférence donnée le 14 avril 2010 au cours d’un séminaire du Mitchell Institute for Airpower Studies. Voici le passage où Watts dénombre qu’à partir d’une projection de production des quatre modèles d’avions répertoriés de 2.778 exemplaires, les USA en ont produit en tout 267 exemplaires… Bien entendu, cette proportion de 10% de production réelle par rapport à la production prévue que Sweetman cite dans son texte apparaît comme une suggestion à peine implicite du même Sweetman que le JSF pourrait suivre la même tendance.
«…After the F-22 production was capped at 187 airplanes, I went back and asked myself, look, there have been four all aspect low observable combat aircraft programs that we have invested money in. The F-117, the B- 2, the ill-fated ATA, Advanced Tactical Aircraft which became the A-12, and was supposed to replace the A-6 in the carrier air wings, and of course the F-22.
»The question was, at the beginning of those programs how many airplanes did the services plan to buy? Now a caveat I must register. All those programs were started before the Cold War ended, and one would assume that the numbers that the services came up with and envisioned looking at a Soviet adversary should have come down somewhat — 30 or 40 percent as we went into the peace dividend periodw [inaudible]. But the answer to the question as to how many of those four programs originally were envisioned to buy, was 2,778 airplanes. That's larger even than the planned JSF line. The next question, of course is, so how many did we really buy? I'll just pause for dramatic effect here before I give you the answer. It's 267 airplanes out of almost 2,800. So there is a history here relative to the planned buy of the JSF which says to me something like we have spent huge amounts of money developing these kinds of combat aircraft and we have procured pitifully few, I think I could suggest at this point in time.»
(La stealth technology, ses ambitions, ses “succès” et le reste… Vaste sujet et vaste programme. Vous pouvez lire à ce propos deux textes sur ce site, les 22 juillet 2007 et 23 juillet 2007.)
Il est certes capital de considérer le destin du JSF à la lumière de la mystique de la stealth technology, qui est sans doute l’une des aventures les plus ambitieuses, les plus “spiritualisées”, les plus mystificatrices et les plus calamiteuses du système du technologisme tel que le Pentagone l’a développé. La correspondance suggérée par Bill Sweetman, lorsqu’il rapproche les chiffres de la production réelle par rapport à la projection projetée des avions développés autour de la technologie de la furtivité de ce que pourrait être le destin du JSF, rend compte effectivement d’une sorte de “fatalité” de la dégradation de la puissance US sous l’empire du technologisme. Cette fascination du Pentagone (de l’USAF essentiellement) pour la technologie furtive, en regard des résultats pitoyables obtenus, dépasse la simple activité de la programmation et des choix de matériels militaires pour atteindre le domaine d’une pseudo mystique dépendant effectivement de l’emprisonnement de l’esprit par des conceptions qui ont introduit (furtivement ?) l’irrationalité dans un domaine qui prétend n’être que celui de la raison.
De même, la construction à partir des années 1996-1998 du “mythe JSF”, du JSF virtualiste décrivant le triomphe d’un programme global annexant à lui seul le domaine où il était développé (le JSF, “seul avion de combat du XXIème siècle”), relève de la même fascination et du même emprisonnement des esprits. L’on parle ici d’une attitude nullement machiavélique, comme l’est effectivement le virtualisme, en assurant que le Pentagone, jusqu’il y a peu (autour de 2007-2008), a cru effectivement à la narrative du “mythe JSF”, tout comme les pays “invités” à participer à cette entreprise quasiment surhumaine (les pays coopérants du programme). Ce que suggère Harrison, c’est qu’un vaste effort soit lancé pour tenter de reconstituer cette narrative, tenter de réactualiser le JSF virtualiste pour tenter d’empêcher les pays coopérants de quitter le programme. Considérée froidement, cette proposition revient à dissimuler les réalités du programme à ces pays et à laisser entendre, jusqu’en 2018-2019, que la production envisagée restera à la hauteur de ce qu’elle prétend être encore aujourd’hui. La question de Sweetman (“le Pentagone envisage-t-il une telle opération de ‘re-virtualisation’ du JSF ?”), la réponse plutôt dilatoire de Harrison, semblent montrer que le Pentagone pourrait effectivement envisager cette “politique”. (Harrison, dans le chef du CSBA dont il dépend et qui est réputé pour le grand sérieux de ses analyses, ne peut certainement pas lancer de telles suggestions sans être assuré qu’elles auront un écho favorable, sinon qu’elles rendent compte effectivement d’un état d’esprit existant. Simplement, le terrain est glissant, car il s’agit de laisser entendre à demi-mot qu’on va mentir aux alliés pour empêcher qu’ils quittent le programme, alors qu’on n’est tout de même pas assuré que les alliés ne lisent pas les journaux ni le blog de Sweetman, expert réputé pour son sérieux et son indépendance s’il en est.)
L’observation, ou plutôt l’hypothèse qu’on peut présenter à partir de tout cela, est qu’effectivement les projections de production du JSF sont en train d’être envisagées dans la perspective d’une baisse radicale, qui impliquerait simplement que le JSF est abandonné purement et simplement. Il y aurait une production minimale, d’ores et déjà entamée, de quelques centaines d’exemplaires, qui camouflerait à peine l’abandon du programme, alors qu’il importerait par-dessus tout de conserver les “marchés captifs” de ce programme, pour les exploiter avec d’autres programmes, ou d’autres solutions improvisées (production de versions modernisées des modèles en service, développées dans les années 1970, – une grande avancée de la modernité, pour sûr). Il y aurait alors un vaste programme de désinformation et de dissimulation, qui correspondrait effectivement à une restauration du statut virtualiste du JSF, tel qu’il exista jusqu’en 2007-2008. (Mais y a-t-il jamais eu, autour du JSF, autre chose qu'une entreprise constante de virtualisme ?)
Le moins qu’on puisse dire est que cette ambitieuse sauvegarde par une opération de deception sans précédent n’est pas assurée de son succès. Le scepticisme transparaît dans la présentation de Sweetman, qui a déjà fortement documenté le mouvement général de retraite d’ores et déjà en cours dans les pays coopérants (voir son texte «Global Impact», sur Ares, le 10 février 2011). Le doute est aujourd’hui général à propos du destin du JSF, et c’est un obstacle majeur pour une re-“virtualisation” de la chose, tant le virtualisme nécessite la croyance, sinon la conviction sincère dans l’acceptation de la narrative virtualiste. Nous ne sommes pas loin d’être convaincus que la magie du “mythe JSF” est morte, et que sa résurrection est une entreprise quasi impossible, – le JSF, c’est désormais avéré, n’étant pas Jésus Christ.
…Nous ne sommes pas loin de penser que de telles suggestions, comme celle que fait Harrison, qui sont certainement dans l’esprit et les supputations du Pentagone, marquent plus qu’aucune analyse l’état catastrophique du programme. Cet état catastrophique n’est plus au stade de la supputation mais bien au stade des constats, et de la détermination des mesures qui vont nécessairement devoir être prises (notamment, sur la réduction radicale de la production). Nous dirions alors que nous entrons dans une phase nouvelle du programme JSF, qui est celle de la tentative de dissimulation d’une catastrophe qui est désormais un fait bien plus qu’une crainte.
Mis en ligne le 24 février 2011 à 09H51
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