La cathédrale de virtualisme de George W

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La cathédrale de virtualisme de George W


11 novembre 2003 — Il y a, autour de GW, comme une “cathédrale de mensonges”, une architecture colossale, à la dimension de l’Amérique, faite des mensonges innombrables autour, dans et à propos de la guerre. Des indications nous en viennent quotidiennement qui, en d’autres temps moins indignes, auraient fait autant de scandales, qui passent aujourd’hui parce que demain une autre affaire, de la même sorte, nous presse. Cet ensemble acquiert une vie propre, une sorte de coordination et de dynamique vitales grâce au formidable appareil de communication dans lequel sont enserrés le gouvernement et son président. Le tout tend évidemment à prendre une forme per se, à créer un autre univers, une autre réalité. La cathédrale de mensonges est en fait une “cathédrale virtualiste”. (Dans tous les cas, nous parlons d’une cathédrale new age plus que gothique flamboyant. L’ensemble reste sans réelle beauté, sans vraie inspiration, où l’apparence du virtuel prime absolument le reste.)

Adam Cohen, du New York Times, nous offre un texte inhabituel sur ce thème, — ou sur une partie de ce thème, et c’est là qu’il y a un problème. Il cite le poète britannique Wilfrid Owens, qu’il désigne comme “le plus grand poète de la guerre 1914-18” (vieille habitude de nos amis anglo-saxons : on dirait que, là aussi, dans la Grande Guerre, il n’y eut que les Anglo-Saxons d’un côté contre l’Allemand, avec un rôle accessoire laissé aux Français, et du bout des lèvres encore). Owens lui va à merveille, à Adam Cohen. Il s’en sert pour faire une remontrance à son président, comme faisaient les poètes aux temps médiévaux en s’adressant aux rois. Il lui reproche de vouloir dissimuler aux yeux du bon peuple qui lui est si loyal les terribles sacrifices de l’étrange “après-guerre” que l’on s’est forgé en Irak en déformant ou en liquidant les traces des morts qui reviennent au pays. L’idée est noble, ou, disons, “honorable” (mot employé par Cohen).


« The Bush administration, however, is resisting this honorable approach. In its eagerness to convince Americans that things are going well in Iraq, it is leading troops into battle while trying to obscure what happens to them. President George W. Bush is not attending soldier funerals, as previous presidents have, avoiding a television image that could sow doubts in viewers' minds. He avoids mentioning America's dead - and the injured, who are seven times as numerous. The Pentagon has sent out emphatic reminders that television and photographic coverage is not allowed of coffins returning to Dover Air Force Base. »


Le cas Adam Cohen replacé dans le contexte virtualiste qu’on décrit est bien illustratif de la confusion des esprits. Cohen reproche à GW de cacher la vérité aux Américains pour ce qui concerne les pertes et quelques autres aspects du drame. Pour autant, il ne lui reproche pas la guerre. Au contraire, il prend soin de préciser que le poète Owens, pour dénoncer les pertes inutiles entraînées par le carnage, n’est en aucun cas antiwar, — indiquant par là qu’il était lui-même favorable à la guerre contre l’Irak. D’où la question qui concerne la logique de cette situation, alors qu’il est si abondamment démontré que cette guerre fut elle-même une cathédrale virtualiste : pourquoi reprocher aujourd’hui la méthode (virtualiste) qu’on approuva hier, puisqu’on approuve la guerre qui fut complète virtualité ? C’est là que les esprits libéraux, type-New York Times, ont du mal à s’en sortir.

Cela est dit, il l’a dit, tout en nuances et en sentiments “honorables”. D’autre part, les démonstrations s’amoncellent de l’extraordinaire tromperie que constitue l’administration GW, de la grossièreté sans exemple qui a caractérisé l’action du gouvernement pendant la période menant à la guerre, pendant la guerre, et jusqu’à aujourd’hui, — Et, sans doute, qui se poursuivra... Comment concilier ce contraste qui n’est pas loin d’être une contradiction ?

La question se pose bien de savoir comment on pourra longtemps continuer à envisager une analyse et une spéculation sérieuses sur une soi-disant “politique” américaine, devant un gouvernement qui est si massivement, si complètement un organisme fonctionnant quasi-exclusivement avec le mensonge. Deux textes de The Independent, qui concernent les explications et les analyses d’un ancien analyste de la CIA, Ray McGovern, sont à citer ici.

• Un premier cas concerne les jugements de McGovern sur le comportement du président et de l’administration. (McGovern apparaît dans un documentaire sur cette question, The Whole Truth About the Iraq War.) McGovern fait partie d’un ensemble de vétérans de la CIA, qui se sont regroupés au sein de l’association Veteran Intelligence Professionals for Sanity (VIPS), et qui forment désormais un redoutable groupe de surveillance des activités de renseignement. Un extrait de ce texte :


« What the Bush White House has done, [McGovern] believes, is far worse than the false premise that dragged the United States into the Vietnam War — a reported second attack on a US destroyer in the Gulf of Tonkin which later turned out not to have taken place. “The Gulf of Tonkin was a spur-of-the-moment thing, and Lyndon Johnson seized on that. That's very different from the very calculated, 18-month, orchestrated, incredibly cynical campaign of lies that we've seen to justify a war. This is an order of magnitude different. It's so blatant.”

» Mr McGovern accuses Mr Bush of an extraordinary act of chutzpah — taking advantage of his authority as President of the United States to make people believe there must be something to his insistent allegations that Iraq possessed potentially devastating weaponry.

» “Many of us felt there had to be something there ... If this had been another country, one would have written a convincing analysis that this guy is lying through his teeth, that there are no weapons in Iraq. But people thought, the President can't say he knows something if he doesn't. That was persuasive, in a way.

» “Now we know that no other President of the United States has ever lied so baldly and so often and so demonstrably ... The presumption now has to be that he's lying any time that he's saying anything.” »


• Pour compléter le texte précédent, on lira un second texte qui décrit l’action de montage virtualiste de l’administration, autour de la guerre, avant, pendant et après, telle qu’elle apparaît dans le documentaire déjà cité.

Il faut considérer que nous sommes désormais placés devant ce problème effrayant : l’administration GW ne peut être prise “au sérieux”, tant elle est un mélange de mensonge permanent et d’idéologie grossière et puérile. Elle n’est pas “sérieuse”, c’est une machine grossière déchaînée, littéralement sans queue ni tête, sans véritable intérêt ni but acceptables, dont tous les actes soulèvent des montagnes d’efforts inouïs de tromperie et aboutissent à d’effrayantes catastrophes qui ne signifient rien. Comment parler sérieusement ? Face à des imbéciles si complets, Adam Cohen, avec son “plus grand poète” de la Grande Guerre et ses sentiments “honorables”, a l’air d’un amant qui a cru qu’il s’agissait de Cendrillon et qui ne trouve même pas les pantoufles de verre.

Notre problème, aujourd’hui, est d’accepter la réalité de cette infinie absence de sentiments “honorables”, de ce parti pris du mensonge et de l’utopie grossière du “qui n’est pas avec nous est contre nous” et du Bien contre l’axe du Mal, de cette réalité de la stupidité sans bornes installée au pouvoir. De plus en plus, nous observons ceci : certes, les fous ont pris le pouvoir à l’asile, mais il s’agit des fous les plus déshonorables qu’on n’ait jamais imaginés.