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7342 octobre 2002 — Le programme JSF a été l'objet, ces dernières semaines, d'une étrange aventure, avec des hauts et des bas, des annonces de retard puis des annonces de démenti. Cette aventure doit beaucoup aux dédales bureaucratiques, — mais, à notre sens, et selon notre nature soupçonneuse, pas seulement aux dédales bureaucratiques. Et il semble que cette “aventure”, qui pourrait s'appeler la “chasse au JSF”, ne fait que commencer.
Un article de Defense News, publié le 30 septembre, donne une version des faits. (Il y en a/il y en aura d'autres, on le verra au fur et à mesure qu'elles apparaîtront.)
• Le 12 septembre, nous dit Defense News, l'USAF propose un plan budgétaire pour les années 2004-2009, où il apparaît que les crédits prévus pour le JSF sont réduits d'un certain nombre de centaines de millions de dollars. (Mais d'autres sources disent : autour de $2 milliards.) Selon l'hebdomadaire, « [t]he cut, which could have delayed the start of JSF production from 2008 to 2010, was made to cover health-care costs, overruns on key space programs, and new, classified investments, service officials said. »
• Le 25 septembre, réunion des différents services avec la hiérarchie de OSD (Office of Secretary of Defense). “Pete” Aldridge, n°3 du Pentagone et à l'OSD, dit toute sa colère à propos de la programmation de l'USAF. Aldridge est un partisan du JSF. Il ne peut accepter l'idée du JSF retardé de deux ans, d'autant qu'il sait l'aspect très délicat de ce programme, avec la coopération internationale. Il veut que l'USAF revoit sa copie. Cela est dit par Defense News dans des termes assez vifs : « Pentagon acquisition chief Edward “Pete” Aldridge, a staunch defender of JSF, ordered Air Force Secretary James G. Roche to come up with a new plan. » (On note l'emploi du verbe “to order.)
• Le 1er octobre, devrait avoir commencé une série de consultations entre le secrétaire à l'USAF Roche et ses services pour trouver une formule nouvelle qui satisfasse Aldridge. (« Roche will discuss options at a quarterly meeting of the service’s entire senior leadership beginning Oct. 1, and will meet with Aldridge soon after to review the resulting plan. »
Ces incidents ont conduit à diverses interprétations, à divers commentaires. On a d'abord parlé d'une “erreur” dans le maniement et la répartition des crédits au sein de la programmation. On a parlé de complots, de manoeuvres, et ainsi de suite. On a cité les besoins du programme FA-22, après qu'il ait été relancé en si grande pompe. La deuxième explication est bien entendu plus satisfaisante.
« Air Force officials denied their plan to cut JSF had anything to do with a recently announced plan to add strike capability to the F/A-22 Raptor fighter. That program is now under Pentagon review and could be pared back from a planned buy of 295 aircraft to 180.
» But some defense industry analysts see a connection between the two moves, suggesting it may be a ploy to get more money for the Raptor and other Air Force priorities. One U.S. defense industry source said the Air Force cut JSF on the belief that Congress and Pentagon leaders would restore funding funding rather than see that program suffer. “It’s a smokescreen to get a budget plus-up,” the source said.
» Another Pentagon observer said the Air Force’s proposal would have hurt the JSF’s ability to compete for funds with other U.S. fighter projects. “There is a great amount of money at stake,” said Richard Aboulafia, who analyzes military aviation for the Teal Group, a defense industry consulting firm here. “The JSF is directly competing with the F/A-22 and the Navy’s F/A-18E/F.”
» He said the Air Force was likely angling for a budget increase or manipulating the Navy to fund a greater share of JSF costs. “It’s a common maneuver,” Aboulafia said. “But [the Office of the Secretary of Defense] needs to be careful — they need to keep the ‘J’ in JSF.” »
L'observation générale qui importe ici est qu'il s'agit du JSF. La remarque de Aboulafia (« It’s a common maneuver ») est juste dans son principe, dans le principe qui régit les guerres bureaucratiques au Pentagone. Elle demande par contre à être fortement nuancée pour ce qui est de la circonstance, et n'apparaît plus si “commune” que cela, et apparaît même significative et particulièrement importante. En effet, il s'agit du programme JSF, qui a l'importance qu'on sait, qui nous est présenté comme le premier programme du Pentagone, en importance budgétaire ($250 milliards au bas mot) et en importance politique, avec les engagements internationaux qui vont avec. En temps normal, lorsque OSD tient bien ses bureaucraties, on ne “manoeuvre” pas avec un tel programme. Le fait qu'on ait “manoeuvré”, au contraire, en dit long.
Cette escarmouche, dont on peut être sûr qu'elle va se poursuivre avec d'autres tactiques, nous indique que l'USAF, premier “client” du JSF avec une commande de plus de 1.800 exemplaires, considère ce programme comme secondaire. Le JSF est désormais en concurrence directe, dans l'esprit de l'USAF, avec le F/A-22, avec évidemment la préférence donnée à 100% au second. L'USAF devra se battre contre l'OSD (Office of Secretary of Defense), ou, du moins, un homme à l'OSD (Aldridge). L'histoire nous dit que, dans cette sorte de bataille, ce sont les services qui ont le dernier mot, — d'abord parce qu'ils ont les clés des processus bureaucratiques, et qu'avec cela on peut inventer des nécessités imposant des mesures que l'OSD refuse d'abord politiquement mais est ensuite obligé d'accepter sous la pression bureaucratique ; ensuite, parce que les services et leurs bureaucraties restent tandis que le personnel d'OSD passe. En 1961, McNamara et l'OSD avaient imposé le TFX (F-111) à l'USAF et à la Navy, et ce programme était la clé de la voute de la réforme du Pentagone par McNamara ; finalement, la bureaucratie l'emporta lorsque, en 1967, la Navy abandonna sa version du F-111. McNamara partit quelques mois après.
La “chasse au JSF” est ouverte. Désormais, l'incertitude et la fragilité marquent ce programme. L'attitude méfiante et hostile de l'USAF n'est pas un événement inédit dans son histoire puisqu'on sait déjà que l'U.S. Navy émet un jugement assez analogue et a déjà planifié ses propres réductions. (L'OSD reste muet sur ce dernier point alors qu'il devait en parler en mai dernier : signe qu'il est embarrassé et cherche à gagner du temps, pour verrouiller les engagements non-US dans le JSF.) La situation est, par conséquent, de plus en plus claire : les services contre l'OSD.
Il reste six à huit ans pour que toutes ces oppositions se concrétisent dans des mesures de réduction ou de retardement annoncées officiellement, rendant officielle par là même la crise du JSF. C'est bien plus de temps qu'il ne faut et nous fixerions plutôt en mois le délai jusqu'au moment où le JSF va connaître ses premiers déboires officiels.