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16 décembre 2004 — Les attaques contre le secrétaire à la défense Rumsfeld fusent de partout, retrouvant la vigueur d’il y a huit mois, au moment du scandale d’Abu Ghraib (“Torturegate”). Pourtant Rumsfeld vient d’être confirmé à son poste. Et alors ? Qui a jamais prétendu que GW ait la moindre autorité ? Le président continue à jouer au porte-drapeau et au philosophe anti-terreur devant lequel tous les commentateurs indépendants font naturellement leurs dévotions mais son gouvernement est une foire d’empoignes ouverte à toutes les influences.
Rumsfeld a reçu, à nouveau, quelques rudes coups. Certains d’entre eux, il les doit aux défauts de ses qualités, quand il répond sans désemparer à des critiques violentes de soldats. Aussitôt, ses adversaires exploitent cela, car nul n’ignore que l’on est sûr d’émouvoir une audience favorable lorsque l’on prend en compte le sort des simples soldats confrontés à la morgue et aux maladresses de l’autorité. Un autre motif moins conjoncturel d’hostilité au secrétaire à la défense est l’accumulation des scandales des tortures ; justement, on croirait qu’on passe du conjoncturel au structurel, comme si la torture était devenue une part de l’activité courante des forces armées. Enfin, il y a la guerre en général, et son évolution consternante, dont Rumsfeld peut en bonne partie, et à juste titre, être tenu pour responsable.
Ce qui est intéressant dans le processus actuel, c’est que les attaques contre Rumsfeld suivent des axes très différents, avec des objectifs également très différents. Il n’est pas certain que cette conjonction plutôt de circonstance donne une addition des forces.
• Il y a d’abord une attaque qu’on pourrait qualifier de “professionnelle”, c’est-à-dire qui attaque Rumsfeld pour des raisons qui n’ont à voir qu’avec sa gestion et sa direction du Pentagone, pour des raisons stratégiques, pour des raisons éthiques, etc. Un article très complet de Jim Lobe détaille cet aspect de l’attaque contre Rumsfeld, où l’on peut compter les vives critiques de John McCain. (En ayant à l’esprit qu’en cas de départ de Rumsfeld, dans certaines conditions, McCain se verrait bien comme son successeur.)
« Despite being asked by President George W. Bush to stay in his post, Pentagon chief Donald Rumsfeld appears to be in growing political trouble, and not just because of his cavalier reply last week to a question posed by a member of the Tennessee National Guard in Kuwait about the lack of armored vehicles to protect U.S. soldiers in Iraq.
» Senior Republican lawmakers, including two of the most highly decorated Vietnam veterans in the U.S. Senate, have hardened their criticism of Rumsfeld's performance, with one of them, Senator John McCain, telling Associated Press this week he has “no confidence” in the defense secretary.
» Calling some of Rumsfeld's actions in the Iraq war “irresponsible,” the second senator, Chuck Hagel, stressed that his critique “goes beyond” the question of armor for the troops or the failure to anticipate an escalating and increasingly deadly insurgency. »
• D’autre part, il y a l’attaque des néo-conservateurs. Elle prend de plus en plus des allures systématiques avec la chronique de William Kristol, dans le Washington Post du 15 décembre. Les néo-conservateurs reprochent à Rumsfeld ses erreurs d’évaluation dans la guerre et, surtout, son refus d’une augmentation des forces en Irak, et, plus largement, son refus général d’augmenter les forces armées US pour poursuivre la “croisade contre le mal”.
• Ce dernier point débouche sur un enjeu plus général, qui est évoqué par Patrick J. Buchanan dans sa dernière chronique, où il évoque les pressions des néo-conservateurs pour élargir l’actuelle campagne en Irak contre d’autres pays : « With Bush's 51 percent victory, Colin Powell's departure, and the purge at CIA, many on the Old Right […] assume the neoconservatives are now free to pursue war without end. Yet, six weeks have now passed since Nov. 2, and there is as yet no conclusive evidence George Bush is looking to widen the war in Iraq or launch wars on other axis-of-evil nations. »
Le point central est plus que jamais celui des moyens. Si l’on s’en tient à l’effectif actuel des forces armées US, surtout avec l’aggravation de la situation en Irak, Buchanan a raison par défaut. Les néo-conservateurs savent bien cela, qui poussent à une augmentation substantielle du volume des forces et des moyens budgétaires. Il est d’ailleurs probable que Rumsfeld, plutôt nationaliste que néo-conservateur, partage les options de Buchanan et soit défavorable dans son principe à une extension de la guerre à d’autres zones.
Cet affrontement devrait lui aussi être résolu par défaut. Les néo-conservateurs font preuve d’irréalisme en prônant ces augmentations, d’une part parce que les moyens manquent, d’autre part parce que cette augmentation ne ferait sentir ses effets que dans un ou deux ans au mieux, vu la lenteur et l’inefficacité de la machine militaire américaine. D’ici là, bien des événements seront survenus, notamment en Irak, qui modifieront encore les facteurs en cause. Dans ce sens, on retrouve un peu la situation déjà mentionnée en mai dernier pour Rumsfeld : tant que GW Bush n’a ni les moyens ni la volonté de modifier ses ambitions et sa politique, Rumsfeld est le mieux désigné pour gérer la catastrophe irakienne et ses suites, même s’il en est responsable. Le vrai risque que court Rumsfeld est une brutale aggravation de la situation irakienne. En attendant, l’analyse prévisionnelle de Michael A. Weinstein se confirme comme la plus probable : l’évolution des USA vers un statut de “puissance régionale” et un isolement grandissant.